Les Fleurs bleues de Raymond Queneau : L’alchimiste et l’astrologue
Publié le 11/01/2020
Extrait du document
Passant outre une fois de plus, Joachim d’Auge héberge et finance les travaux de Timoleo (p. 138-139). Il suit ainsi une mode de la fin du Moyen Âge, selon laquelle certains nobles ou riches marchands entretinrent à grands frais des alchimistes, par curiosité ou par cupidité, puisque l’alchimie se proposait de fabriquer de l’or. On retrouve alors les activités alchimiques en pratique à l’époque, désignées par leurs appellations occultes et incompréhensibles au profane (p. 136, par exemple). Mais comme ses prédécesseurs historiques avaient échoué dans leur quête, Timoleo Timolei échoue. Malgré les longs efforts que décrit Joachim d’Auge à Stèphe (p. 163), Timoleo ne produira, semble-t-il, jamais assez d’or pour fondre la statue équestre de son bienfaiteur. Et l’« élixir de longue vie », cet « or potable2 » dont parle le duc, ne réussira pas à donner la vie éternelle à l’alchimiste, sur la tombe duquel Joachim d’Auge va se recueillir, au chapitre 13.
En définitive, la seule découverte de Timoleo est la distillation de l’essence de fenouil, si chère au duc et à Cidrolin : « Une recette de Timoleo Timolei » (p. 172), comme le précise Joachim. Cette invention n’est pas une fantaisie de Queneau. L’alchimie, qui s’est éteinte avec l’avènement des disciplines réellement scientifiques, a tout de même laissé quelques découvertes, parmi lesquelles la plus importante : la distillation des alcools à partir de plantes ou de fruits. L’alchimie réduite à la fabrication de l’anisette, telle est l’image qu’on pourrait retenir des Fleurs bleues.
«
Faut-il prendre au sérieux cet alchimiste qui habite Arcueil comme
le musicien humoriste aimé de Queneau, Erik Satie (1866-1925) ?
Cette première rencontre s'achève dans la peur et le bégaiement de
l'alchimiste devant le cheval qui parle.
1 L'Église et l'alchimie
L'alchimie, qui s'est développée en Europe au Moyen Âge, a vu sa
pratique culminer vers 1300.
Il s'agit d'une science occulte qui mêle
des techniques chimiques et des spéculations mystiques afin
d'aboutir au " grand œuvre », c'est-à-dire de transformer de vils
métaux en or, ou d'obtenir la vie éternelle, par exemple.
Condamné
par une bulle du pape Jean XXII en 1317, cet art est soupçonné
d'impiété par l'Église.
Dans le roman, Onésiphore Biroton et Riphinte
condamnent naturellement cette pratique :
Les feux de ses fourneaux évoquent ceux de !'Enfer et le désir de
l'or est chose bien condamnable.
Qyant à l'élixir de longue vie, cela
me rappelle ce que le démon dit à nos premiers parents : eritis sicut dei1, en leur conseillant de manger cette pomme prétendue elle
aussi de longue vie ...
(p.
151).
Les soupçons des deux ecclésiastiques pèsent sur l'alchimiste à
plusieurs titres.
Si son art est déjà par lui-même suspect, son nom,
qui rappelle bien sûr Galileo Galilei (en français, Galilée, 1564-1642),
renvoie en plus aux opinions du physicien italien qui adopta les
thèses du Polonais Nicolas Copernic (1473-1543), soutenant que la
terre tournait autour du soleil, et non l'inverse.
Les deux savants
furent en leur temps condamnés par l'inquisition pour avoir défendu
ces théories scientifiques qui s'opposaient aux Écritures.
L'astrologue de Russule, " le sieur Dupont '" est pour sa part bien
reçu par l'abbé Riphinte, puisqu'il refuse ces idées (p.
151).
1.
C'est-à-dire: «vous serez comme des dieux" (Genèse, Ill, 5).
PROBLÉMATIQUES ESSENTIELLES 79.
»
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