Devoir de Philosophie

« Les hommes ont toujours aimé lire des histoires, dont ils savaient qu'elles étaient feintes, parce qu'ils en attendaient une vérité plus intime, plus vaste, plus proche de leur coeur que la vérité dite historique », affirme le philosophe Jean Guitton. En vous référant précisément à vos lectures, vous vous demanderez de quelle vérité l'oeuvre littéraire, malgré son caractère fictif, peut être l'expression.

Publié le 22/02/2012

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• Jean Guitton (né en 1901), philosophe français catholique, a publié des études sur de grands philosophes (Le Temps et l'Éternité chez Plotin et Saint Augustin ; Pascal et Leibniz) et des essais (La Pensée moderne et le Catholicisme ; Jésus). • La difficulté essentielle tient au rapport entre la citation et le libellé. Jean Guitton oppose la vérité historique et la vérité romanesque (celle des histoires feintes). Le libellé ne parle que de la vérité littéraire et l'élargit au champ de l'oeuvre littéraire en général. Privilégiez donc les romans, mais sans vous y limiter. D'autre part, votre devoir ne se limitera pas à une opposition entre l'Histoire et les histoires : vous essaierez de définir la vérité de la littérature.

« Simon ne nous avaient d'emblée dépeint l'envers du décor ?Le roman l'emporte donc sur l'histoire, fût-elle romancée : affranchi des contraintes du réel, l'auteur n'en est queplus à l'aise pour disséminer des graines de réalité.

L'Histoire sert de toile de fond à une intrigue qui appâte lelecteur.

Et contrairement à ce que semble dire Jean Guitton, en lisant Les Pays lointains de Julien Green ou Autanten emporte le vent de Margaret Mitchell, nous aurons appris quelque chose sur la guerre de Sécession.

La littératurenous instruit donc sur l'Histoire, mais elle nous divertit en même temps.Ancrée dans l'espace et le temps, la littérature prétend même parfois se substituer à la réalité.

Les témoignages, lesautobiographies sont là pour établir, voire pour rétablir une vérité historique.

Anne Frank écrivait son Journal avanttout pour oublier sa peur, sa solitude et sa claustration.

Mais comme tant d'autres témoins de la guerre, elleespérait sans doute aussi que son existence ne resterait pas oubliée, que le martyre des victimes ne serait ni tu nifalsifié.

Quant à Jean-Jacques Rousseau, il rédige ses Confessions pour se justifier : il veut faire taire les médisancessur sa vie en rétablissant la vérité.Ce qui est vrai des écrits intimes l'est aussi du roman réaliste.

Honoré de Balzac, dans l'Avant-propos à la Comédiehumaine,déclare « faire concurrence à l'Etat civil », et Stendhal élabore sa théorie du « petit fait vrai ».

Le sous-titre de sonroman Le Rouge et le Noir est « Chronique de 1830 ».

Il explique qu'il « promène son miroir le long du chemin ».

ÉmileZola dans Le Roman expérimental déclare même que le roman doit être « une enquête sur la nature des êtres et deschoses ; l'imagination n'y a plus d'emploi ».

«On part de ce point que la nature suffit.

[...] Au lieu d'imaginer uneaventure [...] on prend simplement dans la vie l'histoire d'un être ou d'un groupe d'êtres dont on enregistre les actesfidèlement.

»Sans doute ces oeuvres sont-elles de remarquables témoignages sur la société de leur temps.

Leur valeurdocumentaire est attestée.

Mais elle passe par le détour de la fiction : que serait Le Rouge et le Noir sans lesintrigues sentimentales de Julien Sorel ? Nous intéresserions-nous à la grève des mineurs de Germinal si l'amourcontrarié d'Etienne Lantier pour Catherine ne conférait une dimension privée à cette épopée par ailleurs proche dufantastique ou du mythe ? Rien ne nous fait mieux sentir la vie dans la mine que son assimilation à une bêtemonstrueuse. *** Au-delà de cette indéniable vérité historique contenue dans les oeuvres littéraires et diffusée à travers la fiction, ilexiste d'autres vérités propres à la littérature, et qui pour Jean Guitton sont essentielles : celle du personnage, celledu lecteur, celle de l'auteur.Le personnage nous offre une vérité proche de notre intimité, de notre coeur, dont il partage les passions.

Mais ilprend également, par la stylisation propre à l'art, une dimension plus « vaste ».

Nous nous attachons auxpersonnages comme à des individus véritables : nous les aimons, ou nous les haïssons.

Oscar Wilde a dit un jour quele plus grand drame de sa vie fut la mort de Rubempré, l'un des personnages de la Comédie humaine.

Souvent,comme Emma Bovary qui imagine la vie à partir des romans sentimentaux qu'elle a lus dans sa jeunesse, nousprenons les personnages pour modèles.

L'intimité entre le lecteur et l'être de fiction vient aussi du fait que biensouvent, une fois le livre refermé, nous savons tout du héros : nous avons vu naître Gargantua et mourir Ivan Illitch; les moindres sentiments de la princesse de Clèves ou du Narrateur d'A la Recherche du temps perdu nous ont étédévoilés.

Nathalie Sarraute compose même ses romans à partir des « tropismes » de quelques personnages, c'est-à-dire le monologue intérieur, toutes les petites agitations de l'esprit.

Or, cette vérité de l'âmehumaine ne nous est pas accessible dans la vie courante.

Nous connaissons donc parfois mieux les héros de papierque nos proches ou nous-même.A cette intimité irremplaçable s'ajoute la variété des personnages.

La littérature livre tous les échantillons possiblesde la condition humaine.

Cosette est une enfant, les héros de François Mauriac sont souvent des adolescents,Madame de Rénal est l'image de la femme de trente ans, le héros du Noeud de vipères est un vieillard.

En outre,toutes les couches de la société, toutes les civilisations sont représentées, depuis l'ouvrière Gervaise dansL'Assommoir jusqu'à la duchesse de Guermantes dans A la Recherche du temps perdu.Toutes les passions et situations humaines sont représentées : Bérénice représente l'amour tendre, Phèdre l'amour-passion.

Don Juan est un séducteur, le Swann de Marcel Proust un jaloux.

Le Père Goriot est un « Christ de lapaternité », Génitrix la caricature de la mère possessive.

Chez Honoré de Balzac, Rastignac est un ambitieux, tandisque le Frédéric Moreau de Flaubert dans L'Éducation sentimentale est un velléitaire.

Les personnages de Rabelaisaiment la vie, tandis que Jeanne la subit dans Une vie de Guy de Maupassant.

Bref, le personnage est la somme etla synthèse de toutes les formes d'expériences.Lire revient donc pour le lecteur à s'enrichir d'une autre vie, et à diversifier ses connaissances.

Il voyage à traversle temps : passé plus ou moins lointain avec les romans du Romain Pétrone ou de Denis Diderot, avenir avec leroman d'anticipation ou de science-fiction.

Il visite l'Orient avec les oeuvres de Pierre Loti, l'Amérique latine avecGarcia Marquez.

Par l'imagination il se projette dans la Lune ou le centre de la Terre avec Jules Verne.

L'enfer et leparadis n'ont plus de secrets pour lui après la lecture de La Divine Comédie de Dante.

Tour à tour explorateur ouprisonnier, saint ou assassin, plongé dans un univers sordide ou exotique, le lecteur choisit de sortir de lui-même oude retrouver un univers familier.En vivant par procuration ces aventures, nous purgeons nos passions et apprenons à mieux nous connaître.

«Chaque lecteur quand il lit est le propre lecteur de soi-même.

L'ouvrage de l'écrivain n'est qu'une espèced'instrument d'optique qu'il offre au lecteur afin de lui permettre de discerner ce que, sans ce livre, il n'eût peut-êtrepas vu en soi-même.

La reconnaissance en soi-même, pour le lecteur, de ce que dit le livre, est la preuve de lavérité de celui-ci », écrit Marcel Proust dans Le Temps retrouvé.

Des souvenirs enfouis dans la mémoire remontent,. »

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