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LES IDÉES LITTÉRAIRES DE LECONTE DE LISLE

Publié le 28/06/2011

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de lisle

Leconte de Lisle a laissé la réputation d'un artiste. D'aucuns même veulent qu'il n'ait pas été autre chose. Ils accordent qu'il a eu le don des beaux vers et l'amour des belles formes. Ils se refusent à admettre qu'il ait prêté quelque sentiment à ces formes, ou enfermé quelque pensée dans ces vers. Rien n'est plus superficiel et plus injuste que ce jugement. En ce qui regarde la pensée, il me paraît amplement réfuté par l'analyse que je viens de faire de son œuvre. L'auteur des Poèmes Antiques et des Poèmes Barbares a eu sur la religion, sur l'histoire, sur la nature, des vues et des idées dont certaines sont discutables, dont beaucoup étaient, à l'époque, intéressantes et neuves, et témoignaient d'un esprit curieux, ouvert, attentif au mouvement intellectuel, tout le contraire d'un esprit frivole et vide. On peut dire qu'il a été, dans la mesure où un poète peut l'être, un penseur. Pour ce qui est de sa sensibilité, ou, si l'on aime mieux, de son impassibilité, il y a là-dessus beaucoup à dire, et j'y reviendrai. Mais s'il ne fut pas un artiste exclusivement, il est certain qu'il fut avant tout un artiste. Non seulement de très bonne heure il eut de l'art un sentiment vif et profond, mais de très bonne heure aussi il s'attacha à réfléchir sur son art, et, à ce sujet, il a exprimé à plusieurs reprises, soit sous la forme de considérations abstraites, soit sous la forme de jugements portés sur ses contemporains et confrères en poésie, des conceptions très arrêtées et très personnelles.

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« et non, comme l'aurait souhaité en ce temps-là le jeune rédacteur de La Variété, à celles du spiritualisme chrétien.C'est par la perfection de sa forme.

« André Chénier, déclare-t-il, était païen de souvenirs, de pensées etd'inspirations; mais il a été le régénérateur et le roi de la forme lyrique...

La facture du vers, la coupe de la phrasepittoresque e t énergique que tout un siècle avait bannie ont fait de ses poèmes et de ses élégies une œuvrenouvelle et savante, d'une mélodie entièrement ignorée, d'un éclat d'autant plus saillant qu'il était plus inattendu etplus hardi.

» L'article dont j'extrais ces jugements oppose, dans une conclusion vigoureuse, à l'art tel qu'il était à lafin du XVIIIe siècle, « méprisable routine, absurde mélange des traditions païennes et des croyances modernes », «chaos sans principe et sans forme », l'art « régénérateur » d'André Chénier :Comment avait-il donc deviné, ce moderne enfant de la vieille Grèce, que la poésie lyrique attendait un rayon desoleil, plongée qu'elle était depuis deux siècles dans l'ombre de l'oubli ?...

Comment avait-il deviné que la Franceintelligente demandait un libérateur?...

Nul ne le sait sans doute ; mais sait-on bien ce que Chénier a fait de cesmorceaux de fadeur, froids et vides, que le xviiie siècle appelait des élégies ? II veut bien nous le faire connaîtredans un seul vers, harmonie et délicatesse vivantes !Le baiser dans mes vers étincelle et respire.

Mais sait-on ce qu'il a fait de l'amour, de l'enthousiasme et de l'énergie,ces trois rayons de la poésie spontanée ignorés avant lui?...

Il en a fait Lamartine, Hugo, Barbier : le sentiment de laméditation ou de l'harmonie, l'ode, l'iambe! Il a bien mérité de notre littérature actuelle, si étincelante, si mobile, siprofonde aussi, quoiqu'on en dise ; car elle n'a d'autre passé, d'autre sève primitive que lui.Considéré comme une page d'histoire littéraire, ce morceau appellerait les plus expresses réserves.

11 n'est pasdouteux qu'en écrivant ses ïambes, Auguste Barbier n'ait pris pour modèle les ïambes d'André Chénier.

Mais il sembleplus qu'aventureux de faire dériver les Odes de Victor Hugo de Y Ode sur le serment du Jeu de Paume, ou lesMéditations et les Harmonies des Élégies et des Épîtres ; et l'on s'étonne que, parmi les disciples de Chénier, lecritique de La Variété oublie justement de nommer celui qui tient de lui la tradition du « poème », l'auteur deSymétha et de la Dryade, le seul ou à peu près de la première génération romantique qui ait cherché à faire « duChénier ».

N'est-ce pas, d'autre part, un paradoxe, que de présenter la poésie artificielle et livresque de l'auteur desBucoliques comme un produit de l'inspiration créatrice et du génie spontané ? Mais la justesse des vues historiquesde Leconte de Lisle n'importe pas ici.

Ce qu'il y a lieu de retenir, c'est le goût qu'il manifeste pour cette littératurechâtiée, raffinée et savante, si opposée aux effusions sentimentales en alexandrins verbeux et prosaïques ou auxplats couplets de romance que lui-même avait pris et qu'on prenait encore, trop souvent, pour la poésie véritable.André Chénier lui révéla le prix et la beauté d'une forme accomplie, et, comme on a dit depuis, impeccable.

Ildéveloppa chez lui la conscience littéraire et le besoin impérieux de la perfection. II Vers 1840, Leconte de Lisle comprenait donc toute l'importance de l'art.

Mais sur l'art en général, aussi bien que surson art, il n'avait encore que des idées assez confuses.

Les premières qu'il ait exprimées ont ce caractère degénéralité qui plaît d'ordinaire aux tout jeunes gens.

Il est séduit par la théorie de l'union, ou de l'interpénétrationdes arts, idée chère aux romantiques, que Vigny, notamment, dès 1825, avait développée dans un fragment assezpeu connu dédié aux Mânes de Girodel.

Chaque art, pris en particulier, musique, peinture ou poésie, est uneharmonie ; ces trois harmonies se complètent, et en s'unissant l'une à l'autre, forment une harmonie totale qui, ausens absolu du mot, est l'art.

Telle est la thèse que Leconte de Lisle se proposait d^ soutenir dans un « poèmespiritualiste et artistique », dont il exposa le plan à Rouffet, en lui demandant sa collaboration.

« C'est, disait-il, unsujet immense et magnifique.

» Si magnifique et si immense en effet, que l'exécution resta singulièrement au-dessous.

Le « spiritualisme » qu'il comptait mettre dans son poème, c'était- sans doute le spiritualisme à la façon deGeorge Sand, qui était» comme nous le savons, sa grande admiration do cette époque ; c'est chez elle aussi qu'il sefournissait de théories esthétiques.

On s'en aperçoit en parcourant ces Sept Cordes de la Lyre, qui furent, de sonpropre aveu, un des livres auquel il dut le plus, et dont il est indispensable, pour cette raison, de dire quelquesmots.Cet ouvrage, bien oublié aujourd'hui, est un drame philosophique en cinq actes, dont le Faust de Goethe a fournil'affabulation, Pierre Leroux les idées et George Sand le lyrisme, selon son ordinaire, vertigineux.

La combinaisondonne une allégorie dont le sens, en gros, est assez clair.

Albertus personnifie la raison ; Hélène, le sentiment, oul'intuition poétique ; les sept cordes de la lyre, ce sont les grandes aspirations de l'âme humaine, élan vers l'infini,amour de la nature, amour de l'humanité, amour de la vie.

Et la raison doit s'unir à l'intuition, l'intelligence et lesentiment doivent se pénétrer l'un l'autre, et les sept cordes vibrer à la fois, pour produire l'harmonie qui est l'âmehumaine, qui est la beauté, qui est Dieu.

Mais, dans le détail, que d'obscurités ! Il y a de tout dans ces deux centspages : de la métaphysique et de la poésie, de la sociologie et de la politique ; entre temps, quelques dissertationssur la beauté et sur l'art dont Leconte de Lisle n'a pas manqué de faire son profit.

Albertus, qui est philosophe etmême professeur de philosophie, discute avec ses élèves sur la nature de la poésie.

Il ne voit en elle « qu'une formeclaire et brillante, destinée à vulgariser les austères vérités de la science, de la morale, de la foi, de la philosophie,en un mot.

» Mais ses disciples qui, s'ils sont moins instruits, sont beaucoup plus intelligents que leur maître, luiexpliquent que le poète a sa fonction propre, et une fonction supérieure, au sein de l'humanité.

Dieu, disent-ils, adivisé la race humaine en un certain nombre de familles.L'une de ces familles s'appelle les savants, une autre les guerriers, une autre les mystiques, une autre lesphilosophes, une autre les industriels, une autre les administrateurs...

Toutes sont nécessaires et doivent concourirégalement au progrès de l'homme en bien-être, en sagesse, en vertu, en harmonie.

Mais il en est encore une quirésume la grandeur et le mérite de toutes les autres ; car elle s'en inspire, elle s'en nourrit, elle se les assimile ; elleles transforme pour les agrandir, les embellir, les diviniser en quelque sorte ; en un mot, elle les propage et lesrépand sur le monde entier, parce qu'elle parle la langue universelle...

Cette famille est celle des artistes et des. »

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