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Les jeux de l'amour: AMOUR ET THÉATRE (Marivaux)

Publié le 29/06/2015

Extrait du document

amour

Les personnages du Jeu n'échappent pas aux atteintes de l'amour-propre. Ainsi au premier émoi amoureux de Silvia rencontrant Dorante se mêle une satisfaction de vanité : celle qu'elle éprouve à entendre sa conversation galante et à se voir l'objet de compliments qu'elle a la liberté d'écouter puisqu'elle joue les soubrettes. Mais, dans une seconde phase,

le sentiment qui est né en elle la dérange. Elle éprouve alors non plus une jouissance mais une blessure de sa vanité, par­ticulièrement quand son père et son frère se moquent d'elle en lui montrant qu'elle est sensible aux discours d'un valet

(II,       11).

Elle prend sa revanche dans le troisième acte et le triom­phe de son amour coïncide alors avec celui de son amour-propre.

En effet, elle amène Dorante à s'abaisser devant elle et elle réussit à le séduire dans son costume de femme de cham­bre. « Quelle insatiable vanité d'amour-propre ! « remarque M. Orgon quand il voit sa fille « charmée de triompher «

(III,     4). Pour Silvia, aimer c'est conquérir. Et c'est au tour de Dorante d'éprouver simultanément amour et humilia­tion de sa vanité, surtout lorsque Mario excite sa jalousie, en prétendant aimer Silvia.

L'amour est donc, dans la comédie de Marivaux, un sen­timent complexe auquel d'autres sentiments se mêlent par­fois inextricablement : plaisir de la conquête et même de la tromperie, souffrance de l'amour-propre humilié, jalousie... Cette complexité ainsi révélée atteste selon Marivaux toute la richesse de l'être humain, mais elle n'est pas sans danger : l'amour de soi peut être parfois un obstacle à l'amour entre deux êtres. Ainsi lorsque Dorante s'éloigne à l'acte III, Sil­via croit avoir tout perdu pour avoir trop désiré pour elle-même. Cette contradiction, fréquente dans le théâtre de Marivaux, entre amour et vanité est finalement résolue quand l'amour se révèle au grand jour. Mais l'amour est un bien menacé.

AMOUR ET LIBERTINAGE

Marivaux parle ainsi de son temps dans le Spectateur Fran­çais : « Les sentiments n'étaient plus à la mode, il n'y avait plus d'amants, ce n'était plus que libertins qui tâchaient de faire des libertines. On disait bien encore à une femme : Je vous aime, mais c'était une manière polie de lui dire : Je vous désire... «

Cette opposition entre amour et libertinage est sensible dans le Jeu de l'amour et du hasard dans les craintes expri­mées par Silvia : que sera Dorante ? Sera-t-il un mari volage et libertin ? Elle va même jusqu'à lui dire : « Votre amour n'est pas une chose bien sérieuse pour vous. Que de ressour­ces n'avez-vous pas pour vous en défaire ! « (III, 8). Lisette exprime les mêmes inquiétudes et demande a Arlequin de lui jurer un amour éternel.

L'amour des libertins est un faux amour. Il suppose un masque. Il dissimule un simple désir sous les dehors de la passion. L'amour, en revanche, est selon Marivaux authen­tiquement et intimement lié à l'âme : « Si l'on savait bien ce que c'est que cet amour-là, quelles sont ses ressources et le charme des progrès qu'il fait dans le fond de l'âme, com­bien il la pénètre et tient sa sensibilité en vigueur...1 «

 

La totalité du Jeu peut être résumée par ces mots : les « pro­grès de l'amour dans le fond de l'âme «. On touche ici un paradoxe de ce théâtre : la comédie fondée sur l'extériorité (gestes, paroles), sur l'apparence (jeu, déguisement), révèle ce qui est au plus profond de l'âme : l'amour dans toute sa vérité. Ce n'est plus alors un jeu libertin.

amour

« comme but de montrer ce jeu de cache-cache de l'amour dans ses subtilités, ses raffinements, ses cruautés parfois.

A chaque scène nouvelle correspond une nouvelle étape du mouvement des sentiments.

Ainsi le spectateur assiste au déroulement simultané de la mécanique théâtrale et de la mécanique complexe de l'amour.

Une dernière raison pousse Marivaux à accorder à ce thème une telle importance: pour lui, l'être humain n'a d'existence véritable que lorsqu'il éprouve des sentiments.

Aussi, pour lui, faire « vivre » des personnages de théâtre, c'est les rendre sensibles à l'amour, de loin le sentiment le plus complexe et le plus riche en nuances.

AMOUR, RAISON ET CONVENTIONS SOCIALES Au lever du rideau du Jeu de l'amour et du hasard, aucun sentiment ne s'est encore déclaré dans le cœur des jeunes gens.

On peut même dire que l'opinion de Silvia sur l'amour est empreinte de méfiance.

Les charmes exercés par les hom­ mes sont des agréments trompeurs et elle n'espere pas trou­ ver l'amour dans le mariage: «Dans le mariage, on a plus souvent affaire à l'homme raisonnable qu'à l'aimable homme» (I, 1).

Il s'agit là d'une figure classique de l'amour ennemi de la raison.

Cette attitude de réserve voire d'hosti­ lité a deux causes principales : d'une part le mariage évoqué dans cette première scène est un mariage de raison ; par ail­ leurs, conformément aux conventions sociales de l'époque, la jeune fille n'a jamais connu l'amour.

Cette situation initiale est très importante.

En premier lieu parce qu'elle présente les règles de la vie sociale qui distin­ gue (voire oppose) mariage et amour.

En second lieu parce qu'elle souligne dans le personnage de Silvia l'innocence, la nouveauté sur le chapitre des sensations du cœur.

L'irrup­ tion de l'amour dans cet univers raisonnable, convention­ nel et presque indifférent, sera d'autant plus remarquable.

L'amour va, en effet, déjouer tous les calculs, déranger tous les plans de Silvia et de Dorante.

La totale nouveauté de cette expérience que la raison ne peut ma~triser, passionne Marivaux.

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