Les modalités et les enjeux du lyrisme dans Ethiopiques
Publié le 14/08/2014
Extrait du document
L'écriture de Senghor n'est pas faite d'une mosaïque de thèmes ou d'images. Une unité s'impose, celle d'un projet poétique : la quête d'un lyrisme nègre. Éthiopiques montre bien l'ambivalence et l'originalité de ce lyrisme, qui oscille entre l'inventaire poétique du monde et la création d'un monde en devenir.
I - « MANIFESTER L'AFRIQUE « : UN LYRISME DE LA CÉLÉBRATION
La nomination
«
E X P 0 S É S F C H E S
quer l'Afrique : moment crucial qui marque le retour aux « prétemps du monde » (p.
154), la nuit est ambivalente.
Elle est d'abord une menace, car l'ombre et l'ab
sence de mouvement sont des figures de la mort, tout comme le sommeil.
Elle est
aussi promesse de l'aube et de la révélation, au terme de l'initiation : « C'était l'heure de la rosée, le premier chant du coq avait percé la brume [ ...
] Ce fut un
grand déchirement des apparences, et les hommes restitués à leur noblesse, les
choses à leur
vérité»(« Teddungal »,p.
109).
Le rythme
Mais ni la nomination ni l'évocation ne produiraient leur effet sans le rythme :
il est en effet, selon Senghor,« consubstantiel à l'image; c'est lui qui l'accomplit,
en unissant, dans un tout, le signe et le sens, la chair et
l'esprit.[ ...
] C'est le verbe
de Dieu, c'est-à-dire la parole rythmée, qui créa le monde».
C'est pourquoi le tam
tam et tous les instruments de musique mentionnés au début de chaque poème ont
bien plus
qu'une simple fonction d'accompagnement.
Ils sont le support fonda
mental du lyrisme nègre, et aussi le garant de son authenticité:
«C'est la voix du
tam-tam qui bat
le rythme essentiel, qui dit les choses essentielles.
Et ce sont ces
choses essentielles qu'écoute le poète dans le silence et dont il se nourrit, et qu'il
rendra sous forme de paroles rythmées et chantées.
Sous forme de poème, pour
dire l'essentiel, qui est
le permanent» (Liberté Ill, p.
385).
Il -ANNONCER « LA BONNE NOUVELLE »
UN LYRISME PROPHÉTIQUE
Il ne suffit pas au poète de nommer les choses et ainsi de les faire exister : sa
mission est aussi de
« prophétiser la Cité de demain, qui renaîtra des cendres de l'ancienne» (Postface, p.
160).
Éthiopiques témoigne de cette dimension spécifi
quement nègre du lyrisme que Césaire a, lui aussi, explorée dans
Cahier d'un retour au pays natal.
Assumant parfaitement le statut du griot, « celui qui accom
pagne
» (p.
128).
Senghor se fait aussi prophète, pour que « du tam-tam surgisse le
soleil du monde nouveau » (p.
132).
L'évocation du « Royaume d'enfance »
( « Teddungal », p.
109) ne se dissocie donc pas, dans la poésie de Senghor, de l'an
nonce de« la Bonne Nouvelle»(« L'absente», p.
111), car son travail de poète
tend en permanence à la création d'un « troisième temps » qui soit à la fois fu
sion et dépassement de l'antagonisme entre passé et
futur : « Je ne sais en quels
temps c'était,
je confonds toujours présent et passé/ Comme je mêle la Mort et la
Vie -un pont de douceur les
relie»(« D'autres chants», p.
149).
Conclusion : Le lyrisme de Senghor est donc profondément ancré dans
les valeurs africaines primordiales, qui
rattachent la parole à la
magie : incantation et prophétie,
il fait du poète à la fois un griot et un
homme d'action.
Cette ambivalence est bien à l'image de celui qui s'est
choisi une « récade* bicéphale » (p.
107)..
»
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