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LES PERSONNAGES DANS PÊCHEUR D'ISLANDE DE PIERRE LOTI

Publié le 21/03/2011

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   Il ne viendra jamais à l'esprit d'un critique ou d'un bibliographe d'établir dans un dictionnaire alphabétique la liste des personnages qui jouent un rôle dans l'ouvrage de Pierre Loti. Cette nomenclature avait son utilité pour Balzac. Avec Pierre Loti elle aurait l'air d'une vaine gageure. Il yen a deux raisons. D'abord, d'un roman à l'autre, les personnages ne se survivent pas, Loti mis à part, qui est partout, déguisé ou avoué dans tous ses livres. Ensuite ces personnages sont très peu nombreux, quatre ou cinq, ou moins même, mêlés à une intrigue dont la simplicité extrême rend inutile l'abondance qu'exigent les aventures d'un roman de Balzac ou les groupes sociaux et familiaux de l'épopée tentée par Zola.    Le drame de Pêcheur d'Islande se joue entre Yann et Gaud, qui seuls, pourraient presque suffire. La grand'mère Moan et son petit-fils Sylvestre servent à des épisodes dont la grandeur et l'émotion sont admirables, mais ils jouent, surtout Sylvestre, un rôle de second plan, qui crée une atmosphère plus qu'il ne développe l'action. A la rigueur pourtant, et si l'on ne veut pas trop insister sur les différences d'importance qui les distinguent, on peut dire qu'il y a quatre personnages dans Pêcheur d'Islande : Yann, Gaud, la vieille Moan et Sylvestre, ceux-ci se définissant suffisamment eux-mêmes. Mais tous les autres sont, ou peu s'en faut, des comparses. La physionomie de M. Mével est esquissée, sans qu'elle prenne tout son relief. Le père de Yann n'a guère des traits plus précis et Tante Floury dont la rencontre avec Gaud est l'occasion d'une si belle scène, ressemble à n'importe quelle autre femme de pêcheur, anxieuse, croyante, et que son désespoir, encore caché, rend, au premier abord, sauvage et cruelle.    Aux personnages humains qui animent de leur vie tragique Pêcheur d'Islande, il faut ajouter deux personnages muets dont la présence continue donne au chef-d'œuvre son véritable accent : la mer et la mort.

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« appréciation absolue me déconcerte.

J'avoue même qu'elle me troublerait si je ne lisais dans la même étude, dontRamuntcho a été l'occasion, ce passage : « ...

C'est beaucoup que d'avoir ainsi reproduit l'enveloppe extérieure deschoses.

Pourtant un art qui ne la dépasserait pas et ne pénétrerait pas plus avant ne nous laisserait après lui qu'unedéception.

Que nous importent les lignes et les couleurs ? Elles ne nous intéressent qu'autant qu'elles sontrévélatrices de l'âme qui y est enfermée.

C'est aussi bien ce que M.

Loti excelle à rendre...

» A la bonne heure.

Il ne s'agit plus d'un Pierre Loti « organisé pour recevoir uniquement l'impression des chosesextérieures ».

M.

Doumic lui reconnaît le don, où « il excelle », de nous révéler l'âme qui est enfouie dans les ligneset dans les couleurs.

Qu'est-ce à dire, sinon que la psychologie ne lui est pas étrangère ? Il est vrai que M.

Doumicparaît plutôt s'attacher à l'âme des choses et de la nature qu'à celle des êtres humains.

Il dit, en effet, à propos deRamuntcho : « On ne s'attend pas que les personnages aient une physionomie particulière et s'enlevant avecbeaucoup de relief...

» A côté d'une a figure assez vivante », mais qui est d'un « comparse », il ne voit «guère quedes esquisses », et, trop fidèle à sa thèse, il déclare que, « comme dans tous les livres de M.

Loti, les êtres sontcondamnés à une sorte d'effacement.

Ils disparaissent à demi dans l'ombre que projettent les choses...

» A demi : lasévérité de l'éminent critique s'atténue, et son affirmation que, dans l'œuvre de Pierre Loti, « il n'y a pas de placepour l'individu » est, pour une moitié, moins péremptoire.

Je la crois encore injuste.

Si j'avais à traiter de Ramuntcho,il ne m'en coûterait pas de soutenir, et je n'aurais peut-être pas de la peine à démontrer, que les principauxpersonnages de cette « noble idylle » sont vivants, très vivants, et qu'ils ressemblent à des modèles... Mais il s'agit de Pêcheur d'Islande.

Et ici, sans m'amuser au jeu, injuste peut-être, qui consisterait à opposer M.René Doumic à lui-même, j'invoque son témoignage pour prouver que toute psychologie n'est pas absente del'œuvre, et surtout de cette oeuvre, de Pierre Loti.

Car c'est bien à l'occasion de Pêcheur d'Islande associé à MonFrère Yves, que je lis ces phrases significatives et décisives.

«...

Il y a dans ces deux livres une note nouvelle...

Lotiy arrive à l'émotion vraie, à l'entière sincérité.

Il s'est laissé toucher par le sentiment de l'universelle fraternité dansla souffrance, par la pitié douce et profonde.

Et nous aussi nous sommes de plein cœur avec lui, et avec les êtresdont il nous vante la misère, voisine de la nôtre... « Ces grands enfants, ces humbles, ces simples et ces pauvres, combien vraiment Loti les a aimés ! Il ne s'agit pasde savoir, comme vous le pensez bien, s'il s'est apitoyé sur leur sort.

Larmoyer ce n'est pas aimer.

La seulesympathie qui ait de la valeur en littérature est celle qui permet à l'écrivain d'entrer en communion intime avec sespersonnages, de s'intéresser aux moindres détails de leur vie, d'en pénétrer le sens et de faire une histoire ou unroman avec tous ces mêmes faits, qui sembleraient à d'autres insignifiants et sans prix...

» Il me suffirait de ces lignes, où l'analyse est si nuancée et si exacte, pour appeler M.

René Doumic à mon aide danscette partie de mon étude où je veux établir la vérité et la sincérité des personnages de Pêcheur d'Islande.

Mais il ya plus, et, à vrai dire, il y a tout ce que je désire.

Après avoir comparé Yves et Coupeau « qui se ressemblent parplus d'un côté », et donné à Mon Frère Yves, la préférence sur Y Assommoir, M.

Doumic ajoute « ...

Yann, lepécheur d'Islande, avec les quelques sentiments très simples et très profonds qui composent toute son âme, estvraiment une figure de grande idylle, presque d'épopée.

» § 2.

—Le caractère de Yann Cette âme de Yann est-elle d'ailleurs si simple ? Il est, lui, un simple par son origine et par sa condition, mais sonâme recèle des sentiments dont la profondeur ne tient pas moins à leur complexité qu'à leur probité.

Un « têtu » telqu'il est et tel qu'il se définit lui-même, n'est pas fait d'un seul bloc, massif et brutal.

Il n'est pas une pierre : il estun homme, et il n'y a pas un homme, même s'il est tombé dans la vie animale, qui ne renferme un monde.

Yann a desscrupules, des fiertés et des timidités.

Le « grand gars » a été bien vu par Jules Lemaître.

« ...

C'est une âmesérieuse et sans agilité, aux mouvements profonds et lents, qui, une fois commencés, continuent et se prolongenten lui, et quelquefois contre sa volonté...

Il a des susceptibilités de colosse, délicates dans leurs causes, lourdes ettenaces dans leurs manifestations.

Ce matelot fieffé a des évolutions pesantes comme celles d'un monstre marin.Mais le fond de son âme est exquis et rare...

» Ce sont bien là les traits essentiels qui constituent la physionomie de Yann et qui fixent son personnage.

JulesLemaître en a fait la synthèse avec une grande force.

Mais vous ne trouverez pas dans Pêcheur d'Islande unportrait qui les rassemble.

Pierre Loti procède par étapes et par touches successives.

Sa psychologie a desraffinements d'art qui le rapprochent delà nature.

Aucun homme n'est jamais tout entier le même : le plus simple est« divers et ondoyant » et les circonstances le mènent plus qu'il ne les prépare et ne les dirige.

Il est plus souventleur prisonnier que leur maître.

Ainsi Yann révèle d'une scène à-l'autre, par des « mouvements profonds et lents »,et « quelquefois contre sa volonté », la mobilité de son âme.

Son :« entêtement » a des nuances, des dessous etdes retours.

Pierre Loti en suit l'évolution, faite de transformations et de contradictions, avec une pénétration quine s'arrête pas à demi : elle va, comme pour Yves, jusqu'au fond de l'âme et de l'être, et le portrait moral qui sedégage peu à peu d'une série d'esquisses égale le portrait physique, si vivant, et dont la ressemblance crie la vérité. Ce « géant » dépasse les « proportions ordinaires des hommes ».

Sa carrure, ses muscles, ses épaules, ses bras,ses yeux, ses dents, ses moustaches, sa barbe, lui donnent une physionomie qui dispense d'une illustration.

PierreLoti a été peintre.

Il voit et il rend tout de telle sorte que ses livres peuvent se passer de gravures.

Quel dessinpourrait ajouter à cette phrase : « Ses joues dorées avaient gardé un velouté frais, comme celui des fruits quepersonne n'a touchés » ?. »

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