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Les personnages de Huis-Clos de SARTRE

Publié le 22/02/2012

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Les personnages de Huis clos ont ceci de remarquable qu'ils ne se connaissent pas. Au lever du rideau, aucun d'eux n'a de relation avec aucun des autres. Or c'est là une situation étrangère à la tradition théâtrale, une situation exceptionnelle que l'on pourrait qualifier d'anti-théâtrale. En effet, qu'elle soit tragique, comique ou dramatique, la scène est toujours le lieu de résolution d'une crise relationnelle qui précède le plus souvent le début de la pièce. Les personnages sont membres d'une famille ou d'une cité, ils sont père et fils, amant et maîtresse, maître, valet, roi ou sujet; ils ont entre eux des relations sentimentales, sociales ou politiques dont le rideau levé dévoile les accrocs ou les nodosités. Dans le théâtre classique, il n'y a pas d'étrangers : les inconnus ne le restent jamais longtemps et les scènes de reconnaissance sont là pour rétablir les liens ignorés. Les personnages de Huis clos s'interrogent d'ailleurs avec insistance sur leurs « relations communes» et semblent désemparés de ne s'en découvrir aucune. En établiront-ils au cours de la pièce? Pas davantage. Sujet négatif de l'oeuvre, les relations humaines brillent par leur absence. D'où cette lumière insoutenable de l'enfer.
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« Inès Serrano, méchante fille «Eh bien, j'étais ce qu'ils appellent, là-bas, une femme damnée.

Déjà damnée, n'est-ce pas.

Alors, il n'y a pas eu degrosse surprise.»Dans l'univers de Huis clos, Inès est la figure de la résignation froide, et la distanciation son mode relationnel.

Maisl'homosexualité complique son personnage : femme qui aime les femmes, elle est à la fois la rivale et l'alliée deGarcin, la complice et l'ennemie d'Estelle.

Deuxième du trio, elle en est l'axe.

Marginale, elle est le tiers incommodeque les deux autres tentent tour à tour et en vain d'exclure.

Représentante d'un troisième sexe, elle rendimpossibles en les multipliant les solutions d'accouplement.Or, si l'enfer n'est pour elle qu'une continuation de l'existence par d'autres moyens, ce n'est pas seulement parceque son saphisme a donné à sa vie un avant-goût de damnation.

Mais bien parce que son crime ne diffère guère desa punition : ayant provoqué la séparation et la mort d'un couple qu'elle avait parasité, elle est condamnée àparasiter éternellement un couple qu'elle ne pourra pas davantage séparer qu'il ne peut s'unir.

Ce qui peut semblerune peine bénigne pour qui déclare : «Je suis méchante : ça veut dire que j'ai besoin de la souffrance des autrespour exister.»Il y a chez Inès une ivresse de la damnation qui semble un temps toute proche de déjouer la logique infernale, d'enfaire exploser l'étau par l'insertion d'un coin de liberté.

Sa résignation ressemble en effet à du libre consentement, etn'est pas exempte d'une jouissance mauvaise.

«Damnée, la petite sainte.

Damné, le héros sans reproche.

Nousavons eu notre heure de plaisir, n'est-ce pas? [...] A présent, il faut payer.» Faut-il pour autant imaginer Inès heureuse lorsqu'elle se définit comme « Une torche.

Une torche dans les coeurs »,et qu'elle ajoute : «Je vais brûler, je brûle et je sais qu'il n'y aura pas de fin...

»? Évidemment pas, car le parasite acette faiblesse d'être par nature dépendant : «Quand je suis toute seule, je m'éteins.» La victoire du parasiten'anticipe jamais que sa défaite.

Inès est morte d'avoir triomphé de cette «petite sotte» de Florence dont elleprécise qu'elle «ne la regrette pas».

Elle sait de même que sa volonté de puissance l'anéantira si son désir d'Estelletriomphe : « C'est toi qui me fera du mal.

Mais qu'est-ce que ça peut faire.

Puisqu'il faut souffrir, autant que ce soitpar toi.» Inès est condamnée à ne rien regretter jamais : c'est là peut-être la part la pire de sa punition.Mais il y a autre chose.

Inès a découvert la raison infernale : «Le bourreau, c'est chacun de nous pour les deuxautres.» Or cette découverte fait d'elle la victime d'une relation parasitaire qui s'inverse et qu'elle vit comme un viol: «Je vous sens jusque dans mes os.

Votre silence me crie dans les oreilles.[...] les sons m'arrivent souillés parceque vous les avez entendus au passage.» De même, ses visions du monde la font assister aux préliminaires d'uncouple s'enlaçant sur son lit d'amour et de mort.

«Est-ce qu'il va la caresser sur mon lit ? », s'offusque-t-elle, tandisque s'effaçant les images terrestres se résolvent sur cette scène qui lui fait tellement horreur qu'elle ne peut enêtre la spectatrice sans en devenir la victime.

Femme damnée, doublement damnée, Inès est menacée parl'imminence d'une autre scène primitive : l'union charnelle de Garcin et d'Estelle.

Cette scène bien sûr n'aura paslieu, puisque l'enfer, par nature, n'est pas le lieu de la jubilation des corps mais celui de leur tourment.

En enfer, rienn'arrive et tout menace.

On appelle cela damnation.Mais peut-être n'est-ce que l'éternité.

Estelle Rigault, une nymphette en enfer ESTELLE, soulagée.Ah! Alors nous allons rester tout seuls, monsieur, madame et moi?Elle se met à rire. Soulagée, Estelle se met à rire.

C'est une enfant.

Une starlette au-prénom d'étoile — à moins que ce prénom, au lieude la révéler, n'interroge son personnage : qui Est-elle?Un personnage voilé, donc ? C'est-à-dire à dévoiler? En grec, cela se dit : numphè, celle qui est en voile, la nympheou la jeune épousée.

L'interrogatoire auquel la jeune femme sera soumise par le duo d'enquêteurs InèsGarcin lamettra d'autant plus facilement à nu qu'Estelle est par nature superficielle.

Exclusivement dévouée à la surface,c'est elle qui incarne avec le plus d'éclat le thème narcissique du miroir.

«Si vous me laissez toute seule, procurez-moi au moins une glace.

[...] quand je ne me vois pas, j'ai beau me tâter, je me demande si j'existe pour de vrai.»Personnage sans épaisseur, elle n'a ni remords ni vie intérieure : « Tout ce qui se passe dans les têtes est si vague,ça m'endort.»Estelle adultère, infanticide? Qu'est-ce que cela veut dire, puisque «personne n'a rien su», puisque son «mari nes'est jamais douté de rien»? De même qu'il n'y a pour elle d'existence hors du regard des autres, sans eux point demorale, aucun crime et pas de faute.

Rien qu'une absolue liberté, délivrée de toute contingence.

Le paradis.

Oui,mais voilà : la scène est en enfer et la jeune femme découvre l'univers contondant de la contingence où « Tout estsi laid, si dur, si anguleux.» «Je détestais les angles », se plaint la belle en enfer.

Ni pals, ni grils, vraiment ?Entre Inès et Garcin, Estelle est l'enjeu.

Un enjeu sexuellement impossible pour la première, et sexuellement inutilepour le second qui n'a plus d'autre désir que celui d'une confiance qui le sauverait mais que la coquette estincapable de lui fournir.

Forme vide, Estelle ne peut donner que sa forme et son vide.

Cependant, tandis qu'Inès. »

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