Devoir de Philosophie

Les personnages du Misanthrope de Molière

Publié le 09/03/2011

Extrait du document

On sait, par les déclarations de Molière que nous avons textuellement reproduites plus haut, comment il procède pour établir ses personnages. « On veut que ces portraits ressemblent et vous n'avez rien fait si vous n'y faites reconnaître les gens de votre siècle... « — « Il est impossible à Molière de faire aucun caractère qui ne rencontre quelqu'un dans le monde. « Ainsi, Molière lui-même nous invite à rechercher les originaux auxquels il a pu emprunter quelques traits et qu'y ont « reconnus « les contemporains1. Dans Alceste les contemporains ont reconnu le marquis, plus tard duc de Montausier. Il en a l'humeur contrariante : Il y a des gens, dit Ménage, qui se plaisent à contredire sur toutes choses, jusque-là qu'ils ne se souviennent plus du sentiment dont ils étaient auparavant, pour prendre le sentiment contraire, seulement pour contredire. Un seigneur de la Cour, un peu contredisant, que je ne nommerai point parce que je l'honore beaucoup...

« apparences ; elle s'attache à un trait qui l'a frappée, elle néglige les autres.

Ce protestant converti avait gardéquelque chose de la raideur huguenote.

On n'aperçut que sa « vertu hérissée » et ses « mœurs antiques », commeparle Saint-Simon.

Mme de Sévigné fait honneur à Montausier. Qui pour le pape ne dirait Une chose qu'il ne croirait. Et Boileau dans son Epître VII souhaitera pour ses vers ce suprême hommage : Et plût au ciel encor, pour couronner l'ouvrage, Que Montausier voulût leur donner son suffrage ! Montausier avait sa légende.

Il était de ceux dont, pour quelque cause que ce soit, s'empare la littérature, même deleur vivant.

A défaut du théâtre, le roman s'était déjà occupé de lui.

Mlle de Scudéry en avait fait le Mégabate duGrand Cyrus ; et nous savons de reste que l'auteur des Précieuses ridicules lisait Mlle de Scudéry.

Voici ce portrait,déjà si nuancé, et qui, lui non plus, n'avait pas été pour déplaire au modèle, un portrait qu'il est bien curieuxd'étudier dans le détail quand on a le Misanthrope présent à l'esprit. Mégabate, quoique d'un naturel fort violent, est pourtant souverainement équitable...

Comme Mégabate est fortjuste, il est ennemi déclaré de la flatterie : il ne peut louer ce qu'il ne croit point digne de louange, et ne peutabaisser son âme à dire ce qu'il ne croit pas, aimant beaucoup mieux passer pour sévère auprès de ceux qui neconnaissent point la véritable vertu, que de s'exposer à passer pour flatteur.

Aussi ne l'a-t-on jamais soupçonné del'être de personne, et je suis persuadé que, s'il eût été amoureux de quelque dame qui eût eu quelques légersdéfauts, ou en sa beauté, ou en son esprit, ou en son humeur, toute la violence de sa passion n'eût pu l'obliger àtrahir ses sentiments.

En effet, je crois que s'il eût eu une maîtresse pâle, il n'eût jamais pu dire qu'elle eût étéblanche.

S'il en eût eu une mélancolique, il n'eût pu dire aussi, pour adoucir la chose, qu'elle eût été sérieuse...

Ceuxqui cherchent le plus à trouver à reprendre en lui, ne l'accusent que de soutenir ses opinions avec trop de chaleur. Pour tirer de ce morceau la scène du sonnet, les scènes avec Célimène et même le couplet d'Éliante, il fallait êtreMolière.

Mais il semble bien que là puisse se trouver le premier germe de ces fameuses créations. Par quelques traits aussi, Alceste ressemble à Boileau, qui s'est, à son tour, montré lier de la ressemblance.

Le grandcritique était connu pour la rudesse de sa franchise.

On conte qu'il aurait dit devant Molière : « A moins que le roine me commande expressément de trouver bons les vers de Chapelain, je croirai toujours qu'un homme, après avoirfait la Pucelle, mérite d'être pendu.

» C'est de lui que Molière aurait copié le chagrin contre les vers d'amateur.Boileau lui-même l'atteste dans une lettre de 1706 au marquis de Mimeure, où il conte comment, pour combattre lacandidature de M.

de Saint-Aulaire à l'Académie française, il porta en séance le poème de ce grand seigneur, siméchant versificateur : « Quelqu'un s'étant mis en devoir de le défendre, je jouai le vrai personnage du Misanthropedans Molière ; ou plutôt j'y jouai mon propre personnage, le chagrin de ce Misanthrope contre les mauvais versayant été, comme Molière me l'a confessé plusieurs fois lui-même, copié sur mon modèle.

» Ajoutons que Boileau estun des rares écrivains du dix-septième siècle, dont l'humeur chagrine confine à la misanthropie. Plus que de Montausier et plus que de Boileau, il y a dans Alceste beaucoup de Molière.

Gardons-nous ici des deuxexcès contraires.

Molière, — nous ne cesserons de le répéter, — ne fait pas du théâtre un genre personnel ; il neprend pas le public pour confident ; il n'est pas de ces « montreurs » romantiques que Leconte de Lisle accuse delivrer le plus intime d'eux-mêmes à la « plèbe carnassière ».

Mais, d'autre part, le moyen de croire que cetobservateur des hommes de son temps s'exceptât lui-même et lui seul de son enquête passionnée sur la naturehumaine ! On n'observe directement que soi-même.

Il est absurde de faire du théâtre de Molière une autobiographie: il serait vain de se refuser à y voir parfois un reflet de ses propres émotions. Ce n'est pas sans raison que les auteurs de la Préface de 1682, témoins de sa vie, ont parlé de ces comédies « oùl'on peut dire qu'il a joué tout le monde, puisqu'il s'y est joué le premier en plusieurs endroits sur les affaires de safamille et qui regardaient ce qui se passait dans son domestique ».

Bien plus encore que sur Y Ecole des Femmes «ce qui se passait dans son domestique » a mis sa marque sur le Misanthrope.

Mari plus que quadragénaire et déjàmalade d'une femme qui n'avait pas la moitié de son âge, coquette et comédienne, comment croire qu'il n'ait pas misdans la plainte amoureuse d'Alceste quelque écho de sa plus intime souffrance ? Par d'autres côtés encore Alceste ressemble à Molière.

Ce procès qui fait tempêter Alceste contre ces honnêtesgens aux méchants complaisants, Et qui n'ont pas pour eux les haines vigoureuses, Que doit donner le vice aux âmesvertueuses, ne fait-il pas songer à cette affaire de Tar tuf feront, justement alors, Molière est si fort occupé ? Et comment nepas reconnaître Tartuffe lui-même dans ce « franc scélérat » et dans ce « pied-plat » qui partout en impose ? Au travers de son masque, on voit à plein le traître, Partout il est connu pour tout ce qu'il peut être, Et sesroulements d'yeux et son ton radouci N'imposent qu'à des gens qui ne sont pas d'ici. Le Misanthrope a été écrit dans l'atmosphère de Tartuffe, dans l'irritation causée à Molière par l'hostilité des uns,. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles