Les Poètes romantiques au Théâtre
Publié le 16/05/2011
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I. — LES THÉORIES
L'école romantique, voulant conquérir le grand public, devait songer à se rendre maîtresse de la scène; et comme la tragédie avait été le genre le plus illustre de l'école classique, il fallait trouver quelque chose à lui opposer. Une double influence y aida, celle du mélodrame français et celle du théâtre étranger de Shakespeare, de Schiller, de Calderón et de Lope de Vega. Les deux s'accordaient pour. répandre le goût des sujets historiques modernes, de la couleur locale et de la liberté hors des règles classiques. Le genre nouveau naît avec Dumas, Hugo, Vigny. Victor Hugo s'en fait le théoricien avant d'en devenir le principal représentant : la préface de Cromwell, avec un grand bonheur de formules, précise à la fois la critique de la tragédie classique et la théorie du drame romantique. Hugo, prétend affranchir le théâtre des règles conventionnelles, pour le rapprocher de la nature et de la vie; les règles de la tragédie étaient extrêmement sévères.
a) La tragédie n'admettait que les passions nobles et les douleurs sublimes; elle voulait concentrer l'attention des spectateurs sur des objets de terreur et de pitié. Hugo estime que c'était mutiler la vie, la représenter arbitrairement; le drame romantique prétendra, serrer de plus près la vérité, peindre la vie complète, comme l'a fait Shakespeare, en réunissant les domaines de la tragédie et de la comédie, en alliant les larmes au rire, le sublime au grotesque, le terrible au bouffon, et quelquefois dans un même personnage.
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— d) Peut-être même est-il exact que le vers de Racine, au point de vue du théâtre, ne vaille pas celui de Molière, qu'Hugo mettait très haut.
— e) Il existe d'autres prestiges que ceux de lahaute condition des héros et de l'éloignement dans le temps ou dansl'espace; et les effets de surprise théâtrale, même aux dépens de laconstance des caractères, peuvent donner l'impression vraie de la vie.
— f)Le tout est de ne pas exagérer en faisant trop bon marché de l'unitéscénique, de l'intérêt psychologique et de la logique intérieure despersonnages.
Le drame shakespearien existe et brille de beautés supérieures.
En serapprochant de ce type, puisque la tragédie classique semblait bien avoir faitson temps, le drame romantique français ne pouvait avoir tort en principe.Mais bien entendu, sa valeur devait dépendre des pièces où les théoriesnouvelles allaient être appliquées, où les auteurs nouveaux allaient user deslibertés reconquises.
N'arrive-t-il pas que les libertés soient lourdes à porteret que les contraintes au contraire, allégeant les responsabilités, facilitent lacréation ?
II.
— NOUVEAUTÉ D'HERNANI D'HUGO
On comprend qu'Hernani ait plu à la jeunesse, qu'elle ait fait de ce drame leCid du Romantisme et l'ait imposé à l'opinion lettrée en plusieurs batailles célèbres.Hernani donne dès l'abord une impression de vie alerte, de vision neuve.
Le sujet n'est pas antique et l'auteur autilisé sa liberté d'invention, affranchie des règles, pour tenir sans arrêt notre curiosité en haleine.
— a) De l'intérieurd'un vieux palais de Saragosse, la scène passe au patio du palais, puis au château de Silva dans les montagnes,ensuite aux caveaux sombres qui renferment le tombeau de Charlemagne à Aix-la-Chapelle; enfin elle nous ramène àSaragosse, sur la terrasse du palais d'Aragon.
— b) Dans l'intrigue même, quelle attrayante complexité ! Une bellejeune femme se voit disputée par trois hommes; l'un est son oncle, le vieux dut Ruy Cornez; l'autre est le roid'Espagne en personne, Don Carlos, futur Charles-Quint; le troisième, Hernani, apparaît en proscrit, en mystérieuxchef de bande, qui a son père à venger sur la personne du roi : c'est lui qu'aime Dona Sol.
Mais Hernani est enréalité un grand d'Espagne, qui se révélera à l'avant-dernier acte.Aussi l'action consiste-t-elle en une succession de péripéties inattendues, qui sortent de cette situation initiale sicomplexe avec un art très poussé des surprises, des coups de théâtre.
— a) Hernani surgit dans l'ombre pourdéfendre boita Sol contre Don Carlos venu pour l'enlever.
— b) Un pèlerin réfugié au château de Silva se dressesoudain devant toute la maison armée du Seigneur, déchire sa robe de bure et s'écrie : « Je suis Hernani ! Ma têteest mise à prix, qui veut gagner une fortune ? » — c) Le duc Ruy Cornez, fidèle au devoir de l'hospitalité, refuse delivrer Hernani au roi son maître, et ensuite Hernani donne sa vie au vieillard pour le jour et l'heure qu'il voudra.
- d)Hernani, arrêté avec ses complices de conspiration dans les caveaux d'Aix-la-Chapelle, fait la surprise de révéler quiil est : Jean d'Aragon, grand d'Espagne.
— e) Don Carlos, élu empereur, pardonne aux conjurés, rétablit Jeand'Aragon dans ses titres, dans ses biens, et lui accorde Dona Sol.
— f) Les deux amants célébrant leurs noces, ivresde bonheur dans la nuit du jardin d'où les invités se retirent, entendent soudain retentir le cor, rappel de la funestepromesse faite à Ruy Cornez, signal de mort pour Hernani — g) C'est enfin la triple mort des jeunes gens et duvieillard.
— h) Ah ! comme nous voilà loin de la simplicité d'action d'Andromaque, où toutes les péripéties étaient depure psychologie, amenées par les seules passions des personnages en réaction les unes contre les autres !
Les caractères d'Hernani ressemblent à l'action.
Ils ont de l'éclat, du panache, ils aiment surprendre le spectateur,ils échappent nettement à la commune réalité; ils s'avèrent plus délibérément extraordinaires que ceux du théâtrede Corneille; ils ne se soucient pas toujours de rester identiques à eux-mêmes.
— a) Hernani est à la fois bandit etgrand d'Espagne.
Aussi séduisant qu'inquiétant, il se révèle chevaleresque, courageux, téméraire, confiant en lui-même, Mais tout haine, et soudain tout amour.
Quand il rencontre âme plus grande que la sienne, il s'incline sur-le-champ.
Quand il faut mourir en tenant la plus folle des promesses, il ne discute pas cet engagement d'honneur etn'hésite un moment que par amour pour sa jeune femme.
— b) Dona Sol s'est prise pour Hernani d'un amour absolu;cette jeune noble est prête à commettre la folie de suivre le misérable banni dans les montagnes; elle se tueraplutôt que de reprendre sa foi, qui a un caractère de fatalité.—c) Ruy Gomez a de fières attitudes, il a le sentimentcornélien de l'honneur; niais c'est pourtant le même homme qui, férocement jaloux d'une femme qui ne veut pas delui, accomplira un acte d'infâme cruauté.
— d) Don Carlos montre un caractère à surprise dont le revirement estprodigieusement brusque : ce roi libertin devient — le temps de prononcer son monologue — un empereur conscientde toutes ses responsabilités; il s'élève alors à la grandeur de l'Auguste cornélien, il pardonne magnifiquement àceux qui avaient médité de le perdre.
— e) Comme les caractères d'une tragédie classique sont complexes encomparaison, mais sans rien d'illogique, et plus communément humains ! L'héroïque Corneille lui-même, quand il faitsouffrir Rodrigue et Chimène, hésiter Cinna et Auguste, trembler Polyeucte devant Pauline, donne à ces héros, quidépassent cependant le commun des hommes, une psychologie que le commun des hommes peut encore suivre etcontrôler..
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