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Lettre de Jean Racine à Thomas Corneille, à la mort de Pierre Corneille

Publié le 15/02/2012

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Monsieur,

J'ai appris avec une profonde douleur le décès de votre frère aîné, M. Pierre Corneille; etsi mes fonctions ne m'avaient retenu loin de Paris, je me serais fait un pieux devoir d'accompagner à Saint-Eustache sa dépouille mortelle, comme de vous exprimer de vive voix mes condoléances les plus émues. Quelle perte pour vous, Monsieur et pour votre famille ! Car, en dépit de l'humble discrétion qui enveloppait le bonheur de son foyer, nul n'ignorait, à l'extérieur, la douce intimité....

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« Le deuil que vous portez, Monsieur, atteint une autre famille, que le defunt aimait d'un amour singulier, je veux dire l'Academie francaise.

Si in justice etait de ce monde, ou si elle ne marchait pas si lentement et comme en boi- +ant, votre frere y fut entre an lendemain du Cid, c'est-a-dire, presque des la Tondatiori de cette societe.

II lui pardonna une attente injustifiee de dix ans, comme it lui avait pardonne les trop fameux K Sentiments sur le Cid ).

Des y fut introduit, remplit son role d'Academicien avec la meme cons - cience apportait dans ses functions a in Table de Marbre de Rouen.

On le vit, durant pres de quarante annees, se rendre regulierement aux seances, prendre part aux travaux et aux discussions avec le serieux d'un magistrat, faisant d'un mot la lumiere, se defendant d'imposer ses vues, qui, etant tou- jours celles du bon sens et du bon goilt, etaient unanimement adoptees.

Per- sonne, a le voir an milieu de ses confreres, s'il ne l'efit auparavant connu, n'aurait pu deviner en cet homme modeste, et presque timide, le grand Corneille.

tine seule consolation sera, en l'occurrence, capable d'adoucir l'uni- verselle douleur parmi les membres de ce corps déjà illustre: c'est la pensee qu'il ltd sera bientot donne, Monsieur, de posseder en son sein celui qui Porte si dignement un nom glorieux, et dont les merites lui rappelleront ceux du disparu.

Je n'ai point men mission pour vous en aviser, mais je crois etre, en le faisant, Pinterprete de tous.

Si vous m'en croyez, vous commen- cerez au plus tot les visites d'usage et cette demarche, a laquelle, de son vivant, votre frere bien-aime vous ent encourage, sera consideree par l'Aca- demie comme une faveur posthume.

Chacun se dira, j'en suis convaincu : Rien ne manque a sa gloire, it manquait a la notre 1. La repercussion d'une telle perte se fait sentir au dela du cercle de ces families naturelle et adoptive.

Tous ceux qui manient la plume, tons les amateurs de belles-lettres, tons.

les «connaisseursv de theatre deplorent avec vous, avec l'Academie, la disparition d'un homme qui fut le plus probe des ecrivains, Phonneur de notre poesie nationale et le Pere de notre tra- gedie francaise.

Pour comprendre a quel point M.

de Corneille reverait notre langue et s'efforeait de donner a sa pensee, a ses sentiments l'expression in plus juste et In plus forte, il n'est que de comparer la premiere et in derniere edition de ses oeuvres.

C'est comme une ascension ininterrompue, oft se revele un besoin et une sorte de passion de se surpasser soi-meme.

Ah! quel exemple it laisse a ceux que tourmente l'ambition d'offrir an public des oeuvres par- faites, oil le fond le plus solide s'allie a In forme la plus brillante! Avant done, que d'ecrire, apprenez a penser... Ce conseil que donnait naguere mon ami Despreaux aux pokes...

et aux autres, votre frere l'a illustre de la plus heureuse maniere.

11 est la preuve evidente que les meilleurs ecrits sont ceux qui ont ete medites a loisir, avant que d'être rediges.

Il nous donne encore cette autre lecon, a savoir que le grand ecrivain n'est jamais satisfait et trouve, jusqu'a sa mort, des passages A retoucher dans ses chefs -d'oeuvre meme. Maitre de sa pensee et des mots qui in peignent, it ne l'a pas moms ete de cette forme, conventionnelle sans doute, mais si belle, si attrayante, que l'on nomme le vers.

J'ai dit et je repete : «M.

de Corneille a fait des vers cent fois plus beaux que les miens.

>> Vers proverbes, qui s'imposent a la memoire et qui renferment une pensee profondement humaine, ou une regle de vie, ou une verite d'experience; vers synthetiques, qui resument admirablement une situation, condensent en une ligne, en un hemistiche les faits anterieurs, ou ceux qui vont suivre; vers heroiques, bien sonnants, oil &late toute la fierte d'une race; vers simples et emouvants,inspires par un amour candide; tirades et couplets magniflques jaillis -d'un seul jet, et faits de genie; tout cela chante dans nos 'Ames; et, alors que nous croyons produire de nous-memes, tout cela s'interpose inconsciemment entre notre propre pensee et son expression. Quel poete, en ecrivant la langue des dieux, pourra se defendre desormais de ces reminiscences? Et n'est-ce pas la le plus bel eloge de celui qui, le pre- mier 'a frappe de tels vers? Enfin l'auteur de ces merveilles a ete un veritable createur.

II a enfante 1.

Anachronisme volontaire. Le deuil que vous portez, Monsieur, atteint une autre·tainille, que le défunt aimait d'un amour singulier, je veux dire l'Académie française.

Si la justice était de ce monde, ou si elle ne marchait pas si lentement et comme en boi­ ~t, .votre frère y fût .entré au lendemain du Cid, c'est-à-dire, presque dès la 'Ûilndation de cette société.

Il lui pardonna une attente injustifiée de dix ans, comme il lui avait pardonné les trop fameux « Sentiments sur le Cid ».

Dès qlJ.'ilyfut introduit, il remplit son rôle d'Académicien avec la même cons- "'c\éi1èec·qû'il apportait dans ses fonctions à la Table de Marbre de Rouen.

On le vit, durant près de quarante années, ;Se rendre régulièrement aux séances, prendre part aux travaux et aux discussions avec le sérieux d'un magistrat, faisant d'un mot la lumière, se défendant d'imposer ses vues, qui, étant tou­ jours celles du bon sens et du bon goût, étaient unanimement adoptées.

Per­ sonne, à le voir au milieu de ses confrères, s'il ne l'eût auparavant connu, n'aurait pu deviner en cet homme modeste, et presque timide, le grand Corneille.

Une seule consolation sera, en l'occurrence, capable d'adoucir l'uni­ -verselle douleur parmi les membres de ce corps déjà illustre: c'est la pen_sée qu'il lni sera bientôt donné, Monsieur, de posséder en son sein celui qui ·porte si dignement un nom glorieux, et dont les mérites lui rappelleront ceux ,du disparu.

Je n'ai point reçu mission pour_ vous en aviser, mais je crois être, en le faisant, l terprète de tous.

Si vous m'en croyez, vous commen­ cerez au plus tôt les visites d'usage et cette démarche, à laquelle, de son vivant, votre frère bien-aimé vous eût encouragé, sera considérée par l'Aca­ démie comme une faveur posthume.

Chacun se dira, j'en suis convaincu : Rien ne manque à sa gloire, il manquait à la nôtre 1.

La répercussion d'une telle perte se fait sentir au delà du cercle de ces familles naturelle et adoptive.

Tous ceux qui manient la J?lume, tous les amateurs de belles-lettres, tous_ les « connaisseurs » de theâtre déplorent avec vous, avec l'Académie, la disparition d'un homme qui fut le plus probe des écrivains, l'honneur de notre poésie nationale et le Père de notre tra­ gédie française.

Pour comprendre à quel point M.

de Corneille révérait notre langue et s'efforçait de donner à sa pensée, à ses sentiments l'expression la plus _juste et la plus forte, il n'est que de comparer la première et la dernière édition de ses œuvres.

C'est comme une ascension ininterrompue, où se révèle un besoin et une sorte de passion de se surpasser soi-même.

Ah! qud exemple il laisse à ceux que tourmente l'ambition d'offrir au public des œuvres par­ faites, où le fond le plus solide s'allie à la forme la plus brillante! Avant donc, que d'écrire, apprenez à penser ...

Ce conseil que donnait naguère mon ami Despréaux aux poètes...

et aux autres, votre frère l'a illustré de la plus heureuse manière.

Il est la preuve évidente que les meilleurs écrits sont ceux qui ont été médités à loisir, avant que d'être rédigés.

Il nous donne encore cette autre leçon, à savoir que le grand écrivain n'est jamais satisfait et trouve, jusqu'à sa mort, des passages à retoucher dans ses chefs-d'œuvre même.

· Maître de sa pensée et des mots qui la peignent, il ne l'a pas moins été de cette forme, conventionnelle sans doute, mais si belle, si attrayante, que l'on nomme le vers.

J'ai dit et je répète : « M.

de Corneille a fait des vers cent fois plus beaux que les miens.

» Vers proverbes, qui s'imposent à la mémoire et qui renferment une pensée profondément humaine, ou une règle de vie, ou une vérité d'expérience; vers synthétiques,. »

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