Lettre de La Bruyère à un ami qui cherchait à le détourner d'écrire son livre des Caractères
Publié le 04/06/2012
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Vous me mandez que vous avez lu « les réflexions « dont j'ai fait suivre ma traduction des Caractères de Théophraste. L'éloge que vous daignez donner à cette oeuvre dépasse fort les mérites d'un écrivain qui « n'a pu que glaner après les anciens et les habiles d'entre les modernes «. Cependant, de telles louanges tombent d'une bouche trop autorisée pour que je ne les juge infiniment précieuses....
«
:XVII' SIÈCLE Hi
Le style même s'éloigne trop de la langue du siècle pour ne pas 2) style
choqnPr un certain nombre de ceux qui .se piquent de s'entendre
aux choses de l'esprit.
Mais, par dessus tout, vous redoutez le déchaînement des
3) Allusions auteurs médiocres, des gens de la finance, des grands seigneurs, contemporaines
de tous ceux enfin que j'ai déchirés du fouet impitoyable de la
satire.
II.
Réponse à ces arguments.
Croyez, Monsieur, que, dès longtemps, j'ai envisagé ces criti
ques et ces attaques et que le souci de mon repos ne
me fera pas
me dérober.
A ceux qui me reprocheront le décousu
et le caractère super
ficiel de mon livre,
je répondrai : c< ce ne sont point des Maximes
que j'ai voulu écrire ; elles sont comme des
lois de morale et je
ne m'attribue ni assez d'autorité, ni assez de génie pour faire le
législateur
».
Il m'a été donné de recueillir quelques observations
et d'en consigner le résultat, au gré de ma fantaisie.
Au lecteur
d'en dégager des leçons et des préceptes de conduite.
Pour le style, je lui concède quelque singularité.
Mais, à qui
ne peut rivaliser avec
Corneille ou Racine est-il défendu de tenter
quelque route nouvelle
~D'ailleurs, on y trouvera peu de mots
qui ne
soient simples et surtout appropriés au sujet.
La disposi-
tion en fait d'ordinaire toute la nouveauté.
Quel lecteur enfin peut
reprocher
à un écrit un tour dont l'unique but est de piquer sa
curiosité et de ménager l'intérêt
?
Quant à la malignité publique, elle aurait mauvais gré à s'armer
d'une œuvre qui ne vise nul
en particulier.
Tous les noms dont
on pourra illustrer mes portraits, par avance
je les désavoue.
Tout méchant écrivain, tout avare, tout pédant, tout orgueilleux,
tout homme enfin,
«dont la maladie ou la passion obscurcissent
la raison
», s'y pourra reconnaître, mais je me défends d'avoir
voulu peindre nommément quiconque.
Et que m'importe à moi les cabales et les haines de ceux qui
ne sont qu'arrogance et mauvaise foi ! « La vraie grandeur, qui
se laisse toucher et manier
''• « les puissances traitables et
humaines »,j'ai reconnu leurs mérites.
Mais, quelle âme géné-
1) But poursuivi
2) Style
3) Caractère général de l'œuvre.
»
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