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L’histoire d’un monstre - THÉRÈSE DESQUEYROUX de MAURIAC

Publié le 02/03/2020

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POURQUOI THÉRÈSE A-T-ELLE ÉPOUSÉ BERNARD?

• Les raisons d’un mariage

Pourquoi Thérèse a-t-elle épousé Bernard? Et surtout, pourquoi a-t-elle voulu l’épouser? Car Bernard ne lui a pas été imposé; ce garçon raisonnable, toujours maître de lui, n’a même guère montré d’empressement. Sa mère n’a pas ménagé ses critiques à l’adresse de la jeune fille : une éducation laïque, une grand-mère scandaleuse, un père qui pense mal. Monsieur Larroque de son côté apprécie peu les la Trave, qu’il évite; les rencontre-t-il à quelques repas de famille, la conversation tourne bientôt à la querelle. Ce mariage, il est vrai, a pourtant répondu au vœu des deux familles : les propriétés de Thérèse et de Bernard se joignaient; comment ne pas songer à les confondre ? Aussi Monsieur Larroque s’est-il réjoui de voir les vacances à Argelouse rapprocher Thérèse de Bernard. Et Madame de la Trave escomptait bien des avantages pour son fils, d’une alliance avec les Larroque : « le père Larroque pourrait le servir ■■, « il a le bras long » (pp. 32, 39). L’intérêt commandait ce mariage et l’emportait sur les principes. Mais il reste certain que l’attitude de Thérèse, « en adoration devant Bernard » (p. 39), a été déterminante : son impatience a hâté un mariage auquel on ne l’aurait sans doute pas contrainte.

Pourquoi donc Thérèse Larroque a-t-elle voulu devenir Thérèse Desqueyroux? Se penchant sur les années de leur adolescence et sur le temps de leurs fiançailles, elle chercKe ce qui distinguait Bernard aux yeux d’une jeune fille comme elle, intelligente, raisonneuse, aimant la réflexion et la lecture. Ce garçon qui n’était « point si laid » (p. 33), était aussi plus fin que les autres ; il avait fait des études, vécu à Paris, voyagé. Nul trouble cependant chez elle : aucun émoi des sens ou du cœur; ni même entre eux d’affinité intellectuelle. Si l’empressement de Thérèse n’est point amoureux, quelles en sont alors les raisons ? Ce mariage faisait d’Anne sa belle-sœur, et la liait plus étroitement à elle : mais la « joie puérile » (p. 39) de ce rapprochement lui semble aujourd’hui avoir été celle d’Anne et non la sienne. A-t-elle épousé Bernard par intérêt? Elle était plus riche que lui; pourtant c’est bien par ces hectares de pins dont il était le maître, que Bernard

Pourquoi Thérèse a-t-elle voulu le tuer? Bernard manque de l’imagination et de la patience nécessaires pour suivre Thérèse dans le dédale de ses souvenirs, sur le chemin tortueux de ses pensées, de ses désirs, de ses tentations. Il veut tout de suite des faits, des gestes, une réponse rapide et simple. Autant dire qu’il ne saura rien.

• La lumière de la conscience

Ce chemin compliqué et incertain qui l’a menée à son acte, Thérèse s’est efforcée, elle, de le reconnaître, obstinément, à tâtons, revenant sur ses pas chaque fois qu’elle se trompait, cette nuit de son retour à Argelouse. Elle s’est penchée sur son passé pour y chercher la réponse à cette même question : pourquoi a-t-elle voulu tuer ? Car ce crime dont on la charge, elle-même ne le connaît pas : comment en saurait-elle la raison? « Je ne sais pas ce que j’ai voulu »; il lui semble qu’a agi en elle une « puissance forcenée » étrangère à sa volonté (p. 22). Plus tard, quand Bernard enfin l’interroge, elle croit découvrir cette raison : « J’allais vous répondre : « je ne sais pas pourquoi j’ai fait cela »; mais maintenant peut-être le sais-je, figurez-vous ! Il se pourrait que ce fût pour voir dans vos yeux une inquiétude, Une curiosité - du trouble enfin, tout ce que depuis une seconde j’y découvre » (p. 175). « Peut-être... Il se pourrait que... » : point de certitude en cette simple hypothèse, rien qui ressemble à la solution exacte du problème.

Les hommes ont jugé Thérèse et ne l’ont pas reconnue coupable; son mari l’a jugée et condamnée; mais Thérèse est soumise aussi au jugement de sa conscience. Conscience toute raisonnable, qui ne se mêle pas de décider du bien ou du mal, mais seulement de distinguer le vrai et le faux; exigence de clarté, lucidité sans complaisance : « Sa conscience est son unique et suffisante lumière » disait d’elle, au lycée, une de ses maîtresses (p. 26). C’est de cette lumière

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« teur Pédemay; l'habilété de l'avocat qui a su diriger Thérèse et Bernard; l'entente de la victime et de l'assassin s'associant pour tromper le juge, il a fallu.

tous ces efforts, cette présence d'esprit, cet acharnement, pour sauver Thérèse.

Tout cela pour lui éviter d'être cette femme dans le box des accusés, dévisagée par les jurés ,et le public, semblable à celle que Mauriac adolescent aperçut« dans-une salle étouffante d'assi­ ses » (avant-propos, p.

5), « maigre empoisonneuse entre deux gendarmes » (Le Romancier et ses personnages), ou à cette autre, inculpée d'un double meurtre avec prémédi­ tation, dont plus tard il retracera et commentera le procès dans L'affaire Favre-Bulle.

Le procès de ·Thérèse n'a pas eu lieu.

Mais l'affaire .est allée assez loin pour que nous puissions entrevoir l'appa­ reil de la justice, et les silhouettes de quelques-uns de ceux qui la servent : l'avocat Duros, plus soucieux de politique que de sa cliente, mais satisfait de son succès, et faisant valoil'.

son mérite; le juge d'instruction, dont le souvenir hante Thérèse : derrière son tapis vert, c'est lui encore qui lui apparaît en ses-cauchemars, qui l'interroge, la presse, la traque comme un gibier, éclate de rire de la voir confondue.

Ailleurs quelques images résument un fait divers dont elle fut en partie témoin : les gendarmes sur la piste d'un assassin, puis le misérable ligoté sur une charrette de paille; le départ enfin pour le bagne: «On disait qu'ilétait mort sur le bateau avant d'arriver à Cayenne • (p.

137).

• La justice familiale Le témoignage de son mari a sauvé Thérèse.

Mais elle n'a été enlevée à la justice de tout le monde que pour être livrée à la justice des siens.

Sans témoins, sans défenseur~ sans qu'on lui permette de parler, dans le huis dos du salon d' Argelouse, dans sa propre maison, elle va comparaître devant son mari.

La famille a déjà délibéré, elle a pesé et arrêté sa sentence.

La conviction du juge est faite.

Il n'a pas.

besoin d'explication, parce qu'il connaît la raison du crime : Thérèse a voulu le déposséder de ses pins.

C'est à la fin seulement du roman, au moment où Thé­ rèse et lui se séparent, que, moins sûr de cette explication, - 39 -. »

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