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L'Interprétation du Misanthrope de Molière

Publié le 09/03/2011

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   Critiques, suites, imitations attestent la vie posthume du Misanthrope : elle se traduit pareillement dans la manière dont le rôle d'Alceste a été compris par ses plus fameux interprètes.    Baron le joua sept jours après la mort de Molière, le 24 février 1673. Il n'avait pas vingt ans ; ce qui, si jeune que nous imaginions Alceste, dépasse tout de même la mesure. Contraste singulier, il reprit le rôle après 1720, quand il touchait à l'extrême vieillesse. C'est alors que le vit un témoin, qui, d'après des souvenirs datant de cinquante ans, décri-ainsi sa manière de le jouer : « Il mettait non seulement beaucoup de noblesse et de dignité ; mais il y joignait encore une politesse délicate et un fond d'humanité qui faisaient aimer le Misanthrope.

« alcôve, de ses sanglots surtout.

Nous voulons qu'il les y ait mis, qu'il ait eu cette préoccupation de nous raconterses secrets, d'écrire son journal, comme une femme incomprise...

Ces choses-là ne sont pas du temps.

Ni Corneille,ni Racine ne se sont mis en scène ; Molière n'y a pas songé davantage.

On ne publiait pas alors de Confessions ».On ne saurait mieux dire.

Tous les artistes qui se mesurent avec ce rôle redoutable devraient commencer parméditer la consultation de leur grand aîné. Sur un point seulement, Coquelin me semble avoir forcé la note.

Je pense comme lui que l'acteur chargé du rôled'Alceste doit prendre franchement le parti de faire rire, comme tous les jaloux de la comédie, comme Arnolphe dupépar Agnès, comme Bartholo berné par Rosine, — sauf pourtant dans une scène : on devine laquelle je veux dire.Coquelin fait de la grande scène du IVe acte une analyse très poussée, très savante, admirable leçon où un maîtrecomédien révèle à des apprentis tous les secrets de l'art.

Il oublie qu'un moment vient où la situation l'emporte, oùle ton s'élève de lui-même, où la comédie cesse de rire.

C'était l'opinion des anciens : Interdum tamen et vocemcomœdia tollit, disait Horace, songeant à Térence.

Aristophane a son dialogue du Juste et de l'Injuste, Corneille a lanoble scène du Menteur : « Etes-vous gentilhomme ? » Molière, qui vient d'écrire l'admirable scène de Dom Juan etde son père, sait à quelle éloquence, sans cesser d'être la comédie, peut s'élever la haute comédie. Le rôle de Célimène n'a pas prêté à de telles divergences d'interprétation.

C'est, non pas l'un des plus grands, maisle plus grand rôle de femme qu'il y ait dans notre théâtre de comédie. Armande y excella : c'est son honneur.

Depuis lors, se mesurer à ce terrible rôle a été l'ambition de toutes les plusbrillantes comédiennes, auxquelles il faut joindre l'illustre Rachel elle-même, qui y échoua.

Celle qui y brilla entretoutes les autres et qui mérite d'être mise hors de pair, c'est Mlle Mars.

Dans sa notice sur le Misanthrope,l'excellent Paul Mesnard lui apporte ce témoignage personnel : « Qui a pu, comme nous, voir encore Mlle Mars dansles dernières années de sa carrière théâtrale, a peine à s'imaginer que Mlle Contât elle-même ait eu un jeu decoquetterie plus vif à la fois et plus noble, un mélange plus séduisant de grâce et de malice, plus de charme dans lavoix et dans le regard...

Dans la scène des portraits satiriques, elle rendait tous les détails avec un art exquis.

Soninsolence, dans la scène où elle se venge des méchancetés d'Arsinoé, enfonçait cruellement le trait avec unepolitesse poignante qui jamais ne s'écartait du meilleur ton...

Au cinquième acte, pendant la lecture des billets ettandis que les marquis exhalent leur colère, le talent d'écouter était chez elle incomparable, et son silence mêmesavait jouer.

Toute la fierté de la coquette, qui n'avouera jamais sa blessure, se montrait dans la manière dont ellerecevait le dernier éclat du courroux d'Alceste.

Dès le premier mot d'un si dur adieu, elle préparait sa retraite,commençait une révérence qui finissait avec le dernier vers.

En sortant, elle reprenait un air de défi ; elle avait uncoup d'éventail par-dessus l'épaule, qui voulait beaucoup dire et lui donnait l'air de congédier elle-même qui laquittait.

» Ce coup d'éventail de Mlle Mars ! A en croire Jules Lemaître, il aurait tourné la tête à toutes les futures Célimène etprovoqué leur fâcheuse émulation.

Joignez-y cette impressionnante appellation de « grande coquette ».

De là sontvenus ces « grands airs » conventionnels et ces fausses élégances qui ont gâté le jeu de tant de belles oucharmantes coquettes de théâtre. Au rôle d'Arsinoé nous nous bornerons à signaler la lourde erreur passée dans l'usage, et qui le rend méconnaissable.Moins jeune que Célimène et pourtant sa rivale, Arsinoé est, de toute certitude, la femme sur le retour, qui veutretarder l'heure de la retraite : ce n'est pas une vieille femme.

Si elle a moins d'attraits qu'elle ne l'imagine, ce n'estpas une laide à faire peur.

Or la Comédie-Française possédait, dans la fameuse troupe de Perrin, une duègneincomparable : taillée en gendarme, avec des gestes d'automate et une voix de polichinelle, réalisant dans toute sapersonne, dans son air et dans sa manière, le summum du rébarbatif, Mme Jouassain faisait merveille dans le rôle deMme Pernelle.

Par quelle aberration lui fut confié le rôle d'Arsinoé ? La même interprète pliant aux mêmes effets lesrôles de Mme Pernelle et d'Arsinoé, c'est tout dire.

Mais ces effets divertirent le public.

Dès lors, il fut admis que lerôle ressortit à l'emploi de duègne.

Faute de goût qui défigure le personnage et fausse toutes les scènes où paraîtArsinoé. Les autres rôles n'appellent pas de réflexions particulières.

Le rôle d'Eliante est un petit rôle, mais le plus aimable quisoit.

Pour ce qui est des marquis, il n'est que de se conformer à la tradition qui, depuis les détails du costumejusqu'au geste et au son de voix, a tout réglé avec la précision la plus minutieuse et du meilleur comique.. »

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