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Lisez-vous une pièce de théâtre comme vous lisez un roman ?

Publié le 18/10/2010

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Ce sujet est l'occasion d'une réflexion intéressante sur la différence de nature entre deux genres très différents (que les habitudes scolaires rapprochent arbitrairement). On fera appel à son expérience personnelle de lecteur (et, au besoin, de spectateur, pour enrichir l'argumentation).

On évitera soigneusement le plan en deux parties pour préférer une structure plus nuancée (partir, par exemple, de points « concrets « comme les différences dans la présentation des textes, pour aborder, enfin, des questions plus subtiles : le rôle de l'imagination, etc.).

 

 

I. Des livres de nature différente :

- comment se « présente « un roman : variété des styles de narration et des focalisations ;

- comment se présente une pièce de théâtre.

II. Lire du théâtre :

- le rôle de l'imagination ;

- savoir exploiter tout ce qui est écrit ;

- le lecteur n'est-il pas privilégié (par rapport au spectateur) ?

III Lire sans « voir « :

- lire du théâtre sans le voir est une « amputation «;

- un personnage de roman n'est pas un personnage de théâtre ;

- distance et artifice.

 

« On pourra, certes, prétendre que les « grandes scènes » peuvent se lire comme des romans (ou des poèmes) etqu'elles n'ont guère besoin d'être lues : que ce soient les scènes entre Alceste et Célimène ou Tartuffe et Elmire.

Onpeut même prétendre que rceuvre de Racine se contente très bien de la lecture et que de « voir » n'apporte pasgrand-chose.

Quant aux drames romantiques, on pourra affirmer aussi que les commentaires scéniques, lesindications de jeu sont si précis, les auteurs sont si prolixes, qu'on peut très bien « imaginer » et se contenter delire. De même peut-on lire, dans Hernani et Ruy Blas, les descriptions des lieux, des costumes, comme on les lirait dans des romans comme Notre-Dame de Paris.

Mieux encore, on pourra lire les pièces de Musset (Un spectacle dans un fauteuil est le titre du recueil où elles furent rassemblées) comme des « livres » ordinaires puisque ces pièces ne furent jamais « montées » ni montrées du vivant de leur auteur.

On pourra donc avoir l'impression de connaîtreLorenzaccio ou Les Caprices de Marianne en les ayant seulement lues.

Certains diront même qu'il existe des oeuvres théâtrales si complexes, comme Hamlet ou Bajazet, que les subtilités du texte apparaissent mieux à la lecture qu'à la représentation et que les intentions y sont bien mieux comprises.

Le lecteur, comme il le ferait pour un roman,prendra son temps pour analyser, commenter, s'interrompre, revenir en arrière, pour se délecter de répliques bienécrites et apprécier le choix d'un mot ou d'une tournure.

Au théâtre, comment goûter le même plaisir, emporté qu'onest par le tourbillon du spectacle ; gêné, parfois, par la présence du voisin qui vous « bouche » la vue ou tousse ourit à contretemps ou commente à voix haute.

Et pourtant... Le personnage de théâtre ne peut vraiment s'épanouir que dans ce contexte particulier qui est son élément naturel: la salle de spectacle.

Il ne peut guère exister tant qu'il est pris dans les pages d'un livre ; trop serré, il étouffe !(comme étoufferait, d'ailleurs, un personnage de film) Il n'est pas fait pour cela, il a besoin d'espace.

Or, cetespace, la lecture seule ne peut que difficilement le restituer.

Pas de problème, en revanche, pour Julien Sorel : ilpeut vivre sans dommage dans l'univers à deux dimensions pour lequel il fut conçu ; il ne vit que sur les pages, làseulement il s'épanouit ; il est cette suite de caractères noirs sur du papier blanc que déchiffre et anime le lecteur ;il est inséparable du bruit des feuilles que l'on tourne, des odeurs, du contact avec le livre.

Le lecteur pourra mêmes'identifier au héros, car le personnage de roman permet, suscite, même, par sa nature, une identification, une «sympathie » véritable et une participation active à l'intrigue.

Je peux être D'Artagnan quand je lis un livre, ouPardaillan (pour reprendre l'exemple de Sartre dans Les Mots) et terrasser des ennemis imaginaires.

Ainsi, Madame Bovary lit des romans (et non des pièces de théâtre), elle s'incarne en ces héroïnes de seconde zone ; elle vit deleur vie, partage leurs passions.

La lecture est souvent ce dialogue, cette conversation à deux où lecteur et auteurcommuniquent.

Je peux devenir Manon Lescaut ou Des Grieux, Rastignac ou Mme de Nucingen.

D'ailleurs, ces personnages ont une existence quasi réelle,vivent de leur vie propre, avec physique, état civil, ils ont une famille, un passé, ils appartiennent à un milieu socialprécis, vivent dans un environnement déterminé ; leur vérité intérieure et extérieure est telle qu'on pourrait lescroiser dans la rue.

Ni Tartuffe ni Alceste n'existent ainsi : ils ont besoin d'espace pour être eux-mêmes, d'unescène où se déployer ; sur le papier, ils sont si peu de chose : seulement un nom (très souvent « codé » :Sagnarelle, Britannicus, voire conventionnel, comme les personnages de la comedia dell'arte), pas même un prénom,rarement un passé, à peine une profession (ou si vague : roi ou ministre, dans les tragédies) ; ce ne sont, souvent,que des ectoplasmes, comme Wladimir et Estragon, chez Beckett (En attendant Godot) ou les personnages des pièces de Genet : des manteaux vides qui attendent dans leurs limbes qu'un homme de théâtre vienne leur donnerce qui leur manque : la troisième dimension, l'acteur qui les incarnera, le lieu où ils pourront marcher, courir, crier,jouer, vivre enfin, être pleinement eux-mêmes.

Hors de cette scène où ils existent pleinement, ils disparaissent : lareprésentation finie, ils meurent.

On peut toujours ouvrir un livre, et si c'est un roman, retrouver intacts lespersonnages ; pas s'il s'agit de théâtre : ce que le lecteur de « pièces » ne doit jamais oublier.

Ou il superposera àsa lecture les images du spectacle qu'il a vu. Sans cette incarnation, raison d'être du théâtre, il n'existe pas.

Aucune imagination ne peut, naturellement, sereprésenter la pièce jouée et mise en scène.

Le lecteur doit lire en sachant qu'il ne peut tout « lire » et qu'il fautvoir et entendre la pièce, qu'elle doit être « jouée » puisqu'elle a été conçue pour cela.

Le texte écrit, c'est toutjuste le scénario d'un film, le plan de l'architecte, le canevas du ballet, le croquis préparatoire du peintre, la partitiondu musicien : l'oeuvre n'existe réellement que transformée en sa réalité propre : le film, l'oeuvre finale, le monument,le concert.

Bref, le théâtre doit être exécuté comme l'opéra ou la symphonie.

Ainsi, il acquiert sa vraie valeur.

Avectous les risques que cela suppose.

Car il y a, certes, de mauvaises interprétations (Mozart aussi, peut être malchanté, mal dirigé).

L'oeuvre n'est pas atteinte pour autant.

Chaque mise en scène présente une nouvelle vision.

Onpeut regretter que les mises en scène de Molière ne nous soient pas parvenues, ni son jeu d'acteur, ni sa manièrede dire et de bouger (nous serions, d'ailleurs, peut-être déçus).

Il y a un seul Julien Sorel, celui de Stendhal (etcelui de chaque lecteur, certes, mais les données de base sont les mêmes pour tous) ; Le Rouge et le Noir existe en soi ; Tartuffe est un prototype qui doit connaître des visages, des présences multiples, des interprétations diverses, voire contradictoires, comme Don Juan (que l'onretrouve, notons-le, dans plusieurs pièces de Tirso de Molina à Montherlant en passant par Molière, ce qui ne peutarriver au personnage de roman).

Certes, objectera-t-on, mais ne puis-je, moi lecteur, me faire ma propre mise enscène en lisant une pièce, comme je mets plus ou moins en scène un roman en le lisant ? Ce serait oublier, une foisencore, les natures radicalement différentes du théâtre et du roman. Au théâtre, une vision, une interprétation me sont imposées qui me donnent la véritable dimension de l'artdramatique : si l'on peut s'identifier au personnage de roman, c'est quasiment impossible au théâtre où doit. »

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