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Que préférez-vous : assister à la représentation d'une pièce de théâtre ou lire un roman ?

Publié le 17/06/2009

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INTRODUCTION. - Bien des fois, ces dernières années, j'ai entendu condamner la culture livresque : la physique sans expériences, les études littéraires dans des manuels d'histoire et en particulier l'étude du théâtre d'après le texte des oeuvres, sans assister aux représentations. Aussi considère-t-on en général comme très utiles ces matinées du jeudi organisées pour faire voir aux élèves des hautes classes quelque pièce classique inscrite à leur programme. Suivant la consigne donnée, j'y étais fidèle. Mais revenant maintenant sur mon expérience passée et comparant ces soirées théâtrales à d'autres que je consacrais à la lecture d'un roman, je me demande celles qu'en définitive je préfère. I. — POUR MON PLAISIR Si je ne considérais que mon plaisir et suivais l'attrait immédiat, je n'hésiterais guère entre le théâtre et le roman et j'opterai pour le premier. a) Ce n'est pas que j'ignore les avantages du roman et en général du livre : on peut lire chez soi ou au dehors, en se promenant ou couché sur l'herbe, face à un beau paysage, ou encore assis dans son lit en attendant le sommeil; on peut lire un roman par tranches, en s'interrompant à volonté, passer vite sur les pages qui n'apprennent rien et revenir sur les plus suggestives, enfin l'abandonner pour un autre quand il ennuie. Au spectacle, au contraire, je suis esclave du lieu et de l'heure; mes voisins m'ôtent la liberté de mes mouvements et je suis astreint à une certaine tenue.

« et je suis libre de garder pour moi le secret de mes préférences.Sans doute, dans mon existence d'étudiant, une soirée au théâtre semble d'ordinaire marquer davantage que lalecture d'un livre.

C'est que le passage d'une troupe ou la création d'une pièce constituent un fait de caractèrebeaucoup plus social : la presse quotidienne, qui ne s'occupe guère de la littérature romanesque, en parleabondamment; pour un lecteur du dernier Prix Goncourt, on compte par dizaines ou par centaines les spectateurs dela pièce à succès.

Moi-même, je n'assiste guère au spectacle qu'en famille ou avec des amis; c'est en groupe quenous réagissons aux scènes les plus significatives; bien souvent, après la représentation, nous revenons sur lasoirée passée ensemble, comparant nos impressions, discutant les thèses qui s'affrontent.

Ce qui se dit ou plutôt cequ'il convient de dire submerge alors les impressions réelles et les sentiments authentiques.

Au milieu de cecaquetage et de ce bourdonnement d'opinions, la personnalité se désagrège en quelque sorte, à moins qu'elle ne sefige dans une pose encore plus fausse : la représentation continue hors du théâtre, et on joue un rôle pour lesautres de même que les acteurs jouaient pour toute la salle.

Quand je lis un roman, au contraire, ou quand je rêvesur l'aventure que je viens de lire, c'est pour moi seul que les personnages parlent et évoluent.Que dis-je ? C'est le lecteur lui-même qui les fait évoluer et qui, à moins qu'il ne soit dépourvu d'imagination, setransforme en acteur.

Le romancier ne peut pas, comme le dramaturge, me faire voir ses personnages, me donnerl'expression de la voix ou des visages, reproduire un dialogue dans tous ses détails.

Quelques notations générales eten termes abstraits, quelques croquis plus suggestifs d'une situation concrète : c'est peu.

Mais cette pauvretérelative laisse d'autant plus de latitude à mes fonctions fabulatrices : mon imagination est libre et je puis mereprésenter suivant mes goûts les héros dont on me conte l'histoire.

Cette représentation reste sans doute confuse,mais elle n'en est que plus riche : elle contient à une foule de possibles qui ne sauraient se réaliser à la fois.

Aucontraire, en incarnant son héros dans un personnage concret et dans des gestes bien nets, le dramaturge renonceà la plupart d'entre eux et, par là même, appauvrit l'image que s'était faite le lecteur de romans.Voilà l'explication d'un fait qui doit être assez commun : j'ai toujours été déçu par la représentation des grandespièces qu'une lecture répétée m'avait rendues familières, ainsi que par la réalisation cinématographique d'un romanque j'aimais.

Aucun acteur n'égalera le CYRANO de mes quinze ans; les répliques sont bien plus tranchantes, lestraits d'esprit beaucoup plus brillants lorsque je me les dis à moi-même au cours d'une lecture que lorsque je lesentends dire par un personnage enrubanné.

Il y a dans la lecture tout un arrière-plan indéfini d'images desentiments, de pensées, qui s'évanouit à la représentation comme lutins au lever du soleil.En définitive, c'est pour mon plaisir et plus exactement pour un plaisir de société que je continuerai à fréquenter lethéâtre, mais je compte que la lecture de romans bien choisis m'enrichira beaucoup plus. CONCLUSION.

- On ne saurait se contenter d'une culture purement livresque : il faut aller aux hommes et aux choses elles-mêmes, et le théâtre est une de ces choses, chose essentiellement humaine et où on rencontre deshommes.

Mais si les hommes qu'on voit sur la scène peuvent servir de types, ils ne nous donnent pas de l'humanitéune expérience directe.

Cette expérience directe on l'a sans la chercher : à la table familiale et dans la cour derécréation, dans la rue et sur la plate-forme du tramway.

Il faut l'exploiter par la réflexion; et nous ne réfléchissonsguère que, grâce à la suggestion de spectacles dans lesquels le réel nous est représenté sous des formes plusschématiques et stylisées : les pièces de théâtre et le roman.

Mais c'est le roman qui, me semble-t-il.

facilite le plusl'intégration de nos expériences dans notre savoir réfléchi.

Par suite, je ne crois pas qu'on puisse lui reprocher de nedonner qu'une culture livresque.. »

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