L'oeuvre de Malraux

« 548 HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA FRANCE la liberté de la culture ( 1935, 1936).

Malraux prec1se de la façon la plus nette les problèmes posés à notre époque par notre commune admiration pour les chefs-d' œuvre extrêmes des civilisations les plus différentes.

Les christs romans ou byzantins.

les déesses grecques, les tombes des pharaons, les masques d'Afrique, les Bouddhas nous interrogent aujourd'hui de la même façon que les tableaux de Vermeer, Goya ou Picasso, avec leur seule force d'œuvres d'art, sur la part d'irrationnel qui est en l'homme: qui sommes-nous donc exactement et pourquoi vivons-nous ? Pour quoi ? A la recherche de quel achèvement mystérieux ? Quelles sont les déterminations inéluctables de notre destin, les possibilités, les libertés, les espoirs réels des hommes ? · Mais comment ne pas s'apercevoir déjà que ces grandes questions sont celles-là mêmes qui sont au coeur des romans? Certes l'on comprend que les premiers lecteurs aient d'abord été sensibles à leur actualité et aux prises de position de Malraux.

Ses œuvres les plus célèbres sont si précisément datées et liées à l'histoire que certains ont pu les prendre d'abord pour des reportages, ou des œuvres de haute propagande : Les Conquérants ( 1928) et La Condition humaine ( 1933), sortis des presses alors que la Chine apparaissait toujours dans le même chaos; Le Temps du mépris écrit un an seulement après la prise du pouvoir par Hitler et la répression féroce contre tous les opposants; L'Espoir ( 1937).

vécu et filmé au service de la République en pleine guerre civile espagnole ; Les Noyers de /'Aitenburg ( 1943) enfin, inachevés, la suite du manuscrit ayant été détruite par la Gestapo, mais paraissant quand même dans le seul pays d'Europe continentale non occupé, et osant raconter en même temps que la captivité lamentable de nos prisonniers en 1940 une scène de fraternisation germano-russe lors d'une attaque par gaz en 1915, osant lancer clairement le cri de détresse et de résolution à la fois qui avait contraint les hommes libres de tous les pays à la même résistance, à la même volonté de lutte efficace : « Ah ! que la victoire demeure avec ceux qui auront fait la guerre sans l'aimer! » A la vérité toute opposition sans nuance avec les livres ultérieurs paraîtra toujours factice, croyons-nous, à qui étudiera l'œuvre dans son ensemble.

Les titres à eux seuls révèlent sans fausse honte l'ambition réelle de l'auteur: c'est « la condition humaine » et « l'espoir » des hommes que Malraux entend évoquer d'abord dans son œuvre romanesque avec toute l'intensité possible, mais dans des conditions. »