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L'onde ne chante plus... Régnier

Publié le 05/03/2011

Extrait du document

L'onde ne chante plus en tes mille fontaines

O Versailles, Cité des Eaux, Jardin des Rois !

Ta couronne ne porte plus, ô souveraine,

Les clairs lys de cristal qui l'ornaient autrefois ! 5 La nymphe qui parlait par ta bouche s'est tue Et le temps a terni sous le souffle des jours

Les fluides miroirs où tu t'es jadis vue

Royale et souriante en tes jeunes atours. Tes bassins, endormis à l'ombre des grands arbres,

10 Verdissent en silence au milieu de l'oubli, Et leur tain, qui s'encadre aux bordures de marbre,

Ne reconnaîtrait plus ta face d'aujourd'hui. Qu'importe ! Ce n est pus ta splendeur et ta glotre

Que visitent mes pas et que veulent mes yeux ;

15 Et je ne monte pas les marches de l'histoire Au-devant du Héros qui survit en tes Dieux. Il suffit que tes eaux égales et sans fête

Reposent dans leur ordre et leur tranquillité,

Sans que demeure rien en leur noble défaite

20 De ce qui fut jadis un spectacle enchanté. Que m'importent le jet, la gerbe et la cascade

Et que Neptune à sec ait brisé son trident,

Ni qu'en son bronze aride un farouche Encelade

Se soulève, une feuille morte entre les dents, 25 four vu que faible, basse, et dans l'ombre incertaine, Du, fond d'un vert bosquet quelle a pris pour tombeau,

J'entende longuement ta dernière fontaine,

0 Versailles, pleurer sur toi, Cité des Eaux ! (La Cité des Eaux, 1906). 

Henri de Régnier, né en 1864, membre de l'Académie française depuis 1912, a publié, de 1885 jusqu'à nos jours, plusieurs recueils de vers dont les principaux sont intitulés : les Jeux rustiques et divins (1897), les Médailles d'argile (1900), la Cité des eaux (1906), la Sandale ailée (1906). Il a également donné plusieurs romanis. Sa femme, qui a écrit en vers et en prose sous le pseudonyme de Gérard d'Houville, est la Bile de J.-M. de Heredia.   

« la survivance de l'école parnassienne (on peut le considérer comme le plus éminent disciple de Leconte de Lisle), etl'initiation au symbolisme (il a fréquenté le salon de Stéphane Mallarmé).

On trouvera donc, chez H.

de Régnier,tantôt deo pièces dont la versification obéit sans effort aux règles traditionnelles et qui donnent une impression defermeté classique et d'habileté parnassienne, tantôt des pages où les vers inégaux se rythment sur une émotionpersonnelle, et qui rattacheraient le poète moins encore à Mallarmé qu'à Verhaeren. II.

— La versification. La pièce que nous essayons d'analyser est de forme classique.

L'alternance des rimes masculines et féminines y eststrictement observée.

Ces rimes sont] bonnes, sans recherche artificielle.

Sur un seul point de détail, Régnier sepermet une licence : il fait rimer quatre fois un, singulier et un pluriel : fontaines, souveraine ; arbres, marbre ;trident.

dents ; tombeaux, eaux. Puisque le son est identique, avec ou sans s, nos poètes contemporains n'ont-ils pas raison de prendre cette liberté? D'autre part, on peut juger ces vers un peu lourds.

Régnier en a souvent écrit de plus vifs, de plus vibrants, deplus variés comme coupe.

Mais peut-être veut-il obtenir un effet de tristesse rêveuse qui se dégage bien, en effet,de ces strophes au mouvement monotone.

La « couleur » de son tableau est appropriée à l'impression qu'il éprouveet qu'il nous fait partager. III.

— La composition. Ces sept strophes ne renferment pas une suite d'impressions vagues se déroulant sans ordre.

Henri de Régnier,disciple de Leconte de Lisle, sait composer, c'est-à-dire poser un sujet, le développer et conclure.

II est tout à faitintéressant de constater que nos poètes français, qu'ils soient classiques, romantiques, symbolistes, ont toujours lesouci de la composition.

Les plus indépendants y sont ramenés malgré eux, par une loi de l'équilibre français. Cette pièce se divise en deux parties : les trois premières strophes (v.

1 à 12) contiennent l'expression des regretsque le spectacle du Versailles actuel inspire au poète ; dans les quatre dernières strophes (v.

13 à 28), le poèteprend son parti de cette déchéance, et il y a là un double mouvement, marqué par « Qu'importe ! (v.

13) auquelrépond « Il suffit (v.

17) » et par « Que m'importent...

» (v.

21) auquel répond « Pourvu que...

» (v.

25).

Bref, lepoète contemple, raisonne, conclut. IV.

— Commentaire littéral. Vers 1.

— L'onde ne chante plus...

Le mot chanter rend bien le bruit harmonieux que font les cascades et les jetsd'eau, dans les mille fontaines...

Chanter se disant surtout d'une voix, les fontaines sont ainsi personnifiées. Vers 2.

— Cité des eaux.

Nous retrouvons ici le titre même de l'ouvrage d'où cette pièce est tirée, et cetteexpression viendra clore le dernier vers, afin de nous laisser dans l'esprit et dans les yeux une impression dominante.Le poète appelle Versailles Cité des eaux, parce quel la beauté, la fraîcheur, le charme de cet immense paieviennent surtout de ces bassins, de ces canaux, de ces cascades, de ces jets d'eau, que Le Nôtre, sur la demandede Louis XIV, y a multipliés.

On sait quels efforts, quel argent, coûta l'adduction des eaux à Versailles...

Le poèteconstate avec tristesse que toute cette splendeur est passée, qu'il ne reste plus que l'appareil délabré de cetorganisme jadis splendide et actif. Vers 3 et 4.

— Ces deux vers manquent peut-être de clarté.

Qu'est-ce que cette couronne ? et quels sont ces) lysde cristal ? Versailles, que le poète interpelle par le mot souveraine, a, comme une véritable reine, sa couronne.Cette couronne est formée par le grand canal à l'ouest, la pièce des Suisses au sud, le bassin de Neptune au nord,et aussi par les nombreuses fontaines symétriquement placées dans le parc.

De même que la couronne de Franceest ornée de fleurs de lys, ainsi la couronne de Versailles offre dans ses bassins des eaux jaillisantes dont les jets,les uns verticaux, les autres retombant à droite et à gauche, présentent la figure du lys. Vers 5.

— La nymphe.

Allusion aux divinités mythologiques en bronze, qui ornent les bassins.

Qui parlait par tabouche...

C'est-à-dire à qui tes eaux prêtaient une voix. Vers 6-8.

— La surface des canaux et des bassins n'est plus le fluide miroir où se reflétait le Versailles royal,souriant, élégant et coquet (jeunes atours) des XVIIe et XVIIIe siècles.

Faire ressortir la correspondance trèsprécise entre terni, fluide miroir, vue. Vers 9-10.

— Le poète rend avec autant de simplicité que de justesse l'impression qu'éprouve aujourd'hui lepromeneur, à Versailles, quand il aperçoit au centre d'une clairière entourée de grands arbres, un de ces bassinsendormis, qui verdissent...

Quelques-uns sont tout à fait à sec, d'autres sont encore plein d'une eau stagnante, oùsurnagent des herbes et des feuilles mortes.

Rapport entre endormis, ombre9 silence, oubli. Vers 11-12.

— Le tain est un amalgame d'étain et de mercure dont on enduit le revers» des miroirs.

H.

de Régnier,revenant à une comparaison déjà placée à la strophe précédente, désigne ici la surface de l'eau qui a reflété leVersailles d'autrefois et qui ne reconnaîtrait plus celui d'aujourd'hui.

Mais ici, la figure est plus complexe.

Au lieu demiroir, nous avons tain, par métonymie (Cf.

Victor Hugo : « ...qui soufflaient dans des cuivres »).

Rapport entreencadré, qui rappelle le cadre des miroirs, et bordures de marbre propres au bassin.

Le poète a peut-être tort de. »

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