L'organisation du « Misanthrope » : action, lieu, temps

LES DEUX SUJETS COMPLÉMENTAIRES : LE PROCÈS ET LA QUERELLE LITTÉRAIRE

L’impossibilité, pour Alceste, d’accepter la perversion et l’hypocrisie qui président aux rapports humains se trouve, par ailleurs, illustrée dans deux séries de développements accessoires qui viennent compléter le tableau.

Il s’agit d’abord de l'épisode du procès. Il est évoqué dans 3 scènes. Il est amorcé dès la scène 1 de l’acte I, lorsqu’Alceste désigne « le franc scélérat avec qui j’ai procès » (v. 124) ; il connaît un rebondissement à la scène 4 de l’acte IV, avec la menace d’arrestation du misanthrope ; il s’achève à la scène 1 de l’acte V, dénouement qui consomme la défaite d’Alceste, néanmoins lavé du bruit infamant que son adversaire avait fait courir sur son compte. Voilà une situation qui permet au personnage de vérifier sa thèse sur la perversité humaine et de renforcer son obstination sans limites : il jubile en fait de voir l'injustice s’abattre sur lui ; il la considère comme une illustration de l’injustice de la société où il vit.

Le deuxième épisode complémentaire est celui qui concerne Oronte. Il intéresse 4 scènes. La scène 2 de l’acte I permet d’entrer, sans exposition préalable, dans le vif du sujet, avec l’altercation littéraire qui oppose les deux hommes. Un rebondissement aura lieu à la scène 6 de l’acte II : un garde viendra chercher Alceste de la part d’Oronte. Le dénouement se produira à la scène 1 de l’acte V, avec le récit amusé que fera Philinte de la réconciliation. Mais il y aura une prolongation à la scène 1 de l’acte IV : Alceste révélera à Philinte qu’Oronte a contribué à faire courir le faux bruit dont il est victime. Ce constat, qui permet par ailleurs d’établir un lien entre ces deux intrigues secondaires, sera une nouvelle justification, pour Alceste, de la nécessité d’une méfiance générale envers l’homme.

• Des relations amoureuses marquées par Vincompréhension

Pourquoi Molière n'a-t-il pas cru bon de donner aux serviteurs un rôle important dans Le Misanthrope ? C’est que les obstacles extérieurs qu'ils ont traditionnellement pour fonction de juguler ne sont pas ici, malgré leur nombre, les obstacles essentiels. Certes, cette intrigue amoureuse complexe à sept personnages occupe une place quantitative déterminante, puisqu'il en est plus ou moins, question dans 17 scènes sur les 22 de la comédie.

Certes, elle connaît un déroulement cohérent. Son exposition est répartie sur plusieurs actes pour éviter une accumulation fastidieuse de renseignements : acte I, scène 1, indication de l’amour que porte Alceste à Célimène et des sentiments d'Àrsinoé et d'Eliante pour le misanthrope ; acte II, scène 1, révélation de la rivalité de Clitandre, puis, à la scène suivante, de celle d’Acaste ; enfin, acte IV, scène 2, révélation de la rivalité d'Oronte. L’intrigue connaît ensuite un développement mouvementé. Elle s’achève sur le dénouement de la dernière scène qui voit Alceste se détourner de Célimène, d'Arsinoé et d’Eliante, tandis qu'Oronte, Acaste et Clitandre rejettent Célimène.

Mais les obstacles extérieurs se trouvent combinés à un élément beaucoup plus important qui constitue l'essentiel de la trame dramatique. C’est celui que forme l'obstacle intérieur. Cet obstacle, il est d'abord dans le couple : comme dans l’univers de la tragédie, Alceste et Célimène ne peuvent compter l'un sur l’autre. Ils s'affrontent dans une lutte épuisante. Leurs relations se construisent sur un rapport de force : chacun essaie de triompher de l’autre, d'amener l’autre sur ses propres positions.

Aussi chacune de leurs confrontations apporte lé déchirement ; déchirement d’autant plus grand chez