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L'ORIGINALITÉ DE LA FONTAINE

Publié le 12/05/2011

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— La fable est un genre antique et vénérable. Les fables de l'Inde que nous possédons remontent à plusieurs siècles avant J.-C. Beaucoup de fables grecques remontent au vie siècle de l'ère païenne. Les fabulistes ont été nombreux chez les Grecs et chez les Latins. Ajoutons que maintes fables ont passé d'un pays à l'autre pour composer une véritable sagesse des nations.

— La Fontaine a puisé chez tous ses devanciers : le grec Esope, le grec Babrios, le latin Horace, le latin Phèdre, l'indien Pilpay ou Pilpaï, et les conteurs français du XVIe siècle. Il n'y a que très peu de fables de notre fabuliste qui soient de son invention; il y en a beaucoup dont l'idée se trouve à la fois chez plusieurs devanciers. Voici quelques exemples : La cigale et là fourmi (dans les recueils dits d'Esope, mais aussi chez le Français Eustache Des-champ); Le corbeau et le renard (dans les recueils ésopiques et dans Phèdre); Le lion et le rat (Marot); Le meunier, son fils et l'âne (Racan, Vie de Malherbe); Le loup et la cigogne (Esope, Phèdre et Marie de France); Le chartier embourbé (Esope, Rabelais); Le savetier et le financier (Horace, Bonaventure des Périers); Le chat, la belette et le petit lapin (Pilpay); La tortue et les deux canards (Pilpay); Le berger et le Roi (Pilpay); Le paysan du Danube (Gué-vara, conteur espagnol du XVIe siècle).

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« - Le genre le plus souvent adopté par le fabuliste a été la comédie ou le drame.

Que de fables de La Fontaine sontconstruites pomme de petites pièces de théâtre en raccourci, avec décor, action, caractère !Tout d'abord le décor, dont sa connaissance familière de la nature lui fournissait les éléments.

Voyez L'hirondelle etles petits oiseaux.

Au premier acte, le champ nu où le paysan jette son grain; au second acte, la plaine verte avecle chanvre qui frissonne au vent; au troisième acte, la campagne luxuriante.

Dans Le héron, quel décor lumineux debords de rivière 1 Dans Le coche et la mouche, la prodigieuse vision du chemin qui monte durement, sous un ardentsoleil; dans Le jardinier et son seigneur, l'humble jardin simple et heureux du manant ! etc., etc.L'action est clairement et fermement conduite : exposition, intrigue flopée par un conflit de caractères ou d'intérêts,dénouement vraisemblable.

Par exemple, dans L'hirondelle et les petits oiseaux, trois journées bien choisies marquentles étapes de la folie des oisillons et mènent avec pathétique au dénouement.

Le drame se fait plus poignant encoredans une fable comme L'alouette et ses petits, avec ses scènes de plus en plus tragiques, chaque déclaration dufermier donnant une alarme plus vive à la mère alouette, dont nous partageons l'angoisse.Les personnages des Fables sont le plus souvent des animaux, mais aussi des hommes, quelquefois des végétaux; etces personnages sont naturels et pleins de vie.

Quelle riche galerie de caractères !a) La valeur de La Fontaine comme animalier a été contestée, parce qu'il a fait quelques accrocs à la véritéscientifique : il semble, en effet, ignorer que la cigale se nourrit de végétaux et ne vit pas jusqu'à l'hiver, que lafourmi est carnivore, que le corbeau et le renard sont carnivores également, que la couleuvre est inoffensive, quel'ours n'a pas de serres.

Mais ces erreurs sont peu de chose; et d'ailleurs, est-ce une vérité scientifique que nousattendions du fabuliste'? Non, c'est une vérité de peintre et de poète qui sache voir et faire voir.

La Fontaine, à cepoint de vue, nous comble : pensons à la tortue qui va son train de sénateur, au « saint homme de chat bien fourré,gros et gras », à dame belette au nez pointu et au long corsage, à la cigale insouciante et à la fourmi laborieuse,aux petits de l'alouette « voletants, se culbutant », au héron, bête vaniteuse « au long bec emmanché d'un longcou », et à tant d'autres animaux croqués dans leur attitude coutumière, avec tout leur manège.

Un savant, unnaturaliste (Buffon, par exemple) décrit; La Fontaine peint et fait vivre.

Un savant ne s'intéresse qu'à l'espèce; LaFontaine sympathise avec la personne de l'animal : c'est là le secret de sa réussite.Bien entendu, le genre humain reste le vrai héros des Fables et les animaux sont là pour représenter les hommes,avec des sentiments humains, des passions humaines, et sans cesser cependant d'être des animaux.

Délicatproblème à résoudre ! La Fontaine y a réussi.

Il a tant observé les bêtes, il les connaît si bien, qu'il n'a pas de peineà transposer leur exacte image physique en caractère moral et ainsi à leur faire jouer un rôle vraiment humain sansleur faire perdre leur nature animale : son ours n'est-il pas tout naturellement un rustre ? Voyez l'amical traitementinfligé à L'amateur de jardins.

Son chat n'est-il pas tout aussi naturellement un Tartuffe Voyez-le s'en aller enpèlerinage, dans Le chat et le renard; voyez-le vivre comme un dévot ermite, ce « saint homme de chat », dans Lechat, la belette et le petit lapine, — et toujours finir par croquer une dupe.

Sa fourmi est une ménagère modèle; sacolombe est une amie tendre et dévouée, son lion un roi et son renard un habile courtisan.

Evidemment, voilà quiest juger les animaux d'après les hommes; ce sont des caractères humains que le fabuliste a donnés à tous lesanimaux.Quand La Fontaine peint les hommes eux-mêmes, sa touche est aussi juste et aussi expressive.

Les âges, lesconditions, les déformations professionnelles sont admirablement rendus.

Quelle psychologie pénétrante ! Quel art desaisir et de fixer les sentiments, l'attitude, le ton!Il a même su faire parler les arbres et les plantes : le chêne, le roseau, l'arbre de L'homme et la couleuvre, avecquelle ironie, quel orgueil, quelle éloquence !— Il y a eu d'ailleurs progrès dans l'oeuvre de La Fontaine.

Les premières fables restaient encore très 'près de leursmodèles latins et grecs; peu à peu, en avançant dans le premier livre, et davantage encore en avançant dans lepremier recueil (les six premiers livres), on voit croître la liberté et l'abondance : La Fontaine a conquis sa maîtrise.Puis il lui arriva de lire une traduction de fables orientales et dès lors l'influence de l'indien Pilpay vint recouvrir celledes fabulistes classiques.

Or le génie de Pilpay et celui de La Fontaine avaient entre eux des affinités : fantaisie,amour de la nature, fraternité avec tous les êtres vivants.

En sorte que celui-là a aidé celui-ci à s'épanouir malgrél'atmosphère d'une époque qui ne lui était guère favorable.

C'est ce qui explique, avec l'approfondissement del'expérience et le développement naturel d'un génie heureux, que le second recueil soit plus beau encore que lepremier.Les fables du second recueil sont plus riches, plus substantielles, tantôt plus lyriques et tantôt plus philosophiques;elles s'ornent d'un merveilleux très poétique; elles s'illuminent de sympathie pour tout ce qui vit sous le ciel.

Lisez Leberger et la mer, Les poissons et le cormoran, Les deux aventuriers et le talisman, Le marchand, le gentilhomme, lepâtre et le fils de roi.La Fontaine a composé des fables tout à fait personnelles de sujet comme de rédaction; or, elles se font moinsrares dans le second recueil, — empruntées à des événements contemporains, à des anecdotes authentiques.

Lafable Le Curé et le mort a été écrite d'après l'accident arrivé à l'enterrement du marquis de Boufflers; un Animalclans la lune, d'après une bévue attribuée aux membres de la Société royale de Londres; les Devineresses, d'aprèsquelque racontar du procès de la Brinvilliers.

Et de telles fables sont d'une originalité absolue, elles donnent lasensation de l'unique.En outre, dans le second recueil, la personne du poète paraît davantage; il livre sa sensibilité, soupire des élégies,s'abandonne au lyrisme.

Il se sert de la fable comme d'un cadre à pensées et sentiments personnels; il introduit unerêverie méditative dans La mort et le mourant, dans Les deux amis; çà et là, il glisse « une anecdote, uneconversation, une lecture élevées à la poésie, un mélange d'aveux charmants, de douce philosophie et de plainterêveuse.

Il nous entretient de lui, de son âme, de ses caprices et de ses faiblesses.

Il a des tons qui viennent ducoeur et une tendresse mélancolique qui le rapproche des poètes de notre âge » (Sainte-Beuve).

Il joint au Songed'un habitant du Mogol une invocation passionnée à la solitude; il s'écrie au terme des Deux pigeons :Ne sentirai-je plus de charme qui m'arrête? Ai-je passé le temps d'aimer?. »

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