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Louis Jouvet, acteur, régisseur, metteur en scène et directeur de théâtre (1887-1951), qui a étroitement collaboré avec Jean Giraudoux et a créé Électre le 13 mai 1937, affirmait : « Le théâtre est d'abord un beau langage.» Dans quelle mesure, selon vous, cette formule peut-elle s'appliquer à l'Électre de Giraudoux ?

Publié le 09/11/2010

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jouvet

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« des messagers ou des confidents du théâtre classique, car il est mi-homme, mi-dieu : il dialogue avec les hommes,mais prévoit aussi l'avenir, voit dans le passé, et semble non seulement alimenter la progression dramatique, maisaussi la commenter, en intervenant notamment à la fin de chaque acte, et donc de la pièce.

C'est dire que l'actionn'est pas niée dans Électre, mais n'est pas directement livrée au regard du spectateur, et lui permet de garder la distance réflexive favorisée par la médiation du langage. L'autre force de la pièce est de faire vibrer le spectateur devant des affrontements verbaux dont l'issue est parexcellence déjà connue.

Représenter un mythe, présent dans la culture ou l'inconscient collectif du public, etafficher comme titre le prénom d'un des protagonistes de la légende trahit la volonté de Giraudoux de ne jouer suraucun suspense quant au dénouement de l'action principale.

La question véritable n'est pas : « Que va-t-il se passer?», mais « comment et pourquoi ? »; et il semble légitime que la meilleure façon d'y répondre soitpour lui le langage, ce qui explique son caractère envahissant.

Dans la confrontation d'Électre avec sa mère ouÉgisthe, l'enjeu dramatique peut être éludé au profit de l'enjeu philosophique et poétique.

Nous citions tout à l'heurela métaphorisation du peuple au deuxième acte, et nous pouvons ajouter qu'elle oppose deux conceptions : pourÉlectre, c'est un « regard », une vie abstraite : pour Égisthe, c'est un « immense corps à régir, à nourrir »,métaphore qui révèle une conception matérialiste, mais plus responsable et adulte.

C'est ainsi que Giraudouxintroduit sa réflexion sur la raison d'État et son jugement sur le fanatisme idéaliste. Nous avons donc pu constater que, loin d'éliminer l'action, le beau langage de Giraudoux déplace simplement sesenjeux. [Mais un spectacle complet, fait de laideur et de beauté] Il n'en reste pas moins que le langage dramatique de Giraudoux ne se limite pas à une recherche verbale poétique,voire précieuse. En effet, il n'est pas le dernier à utiliser le mélange des registres de langue, et son écriture joue aussi du burlesqueet de la vulgarité.

Dès la première scène, il installe ce jeu avec son public, mettant en scène les déesses de lavengeance sous forme de petites filles, et écrit un échange entre elles et le jardinier plus que trivial : « Affreusespetites bêtes.

On dirait trois petites Parques ! C'est effroyable le destin enfant.

/ Le destin te montre son derrière,jardinier.

Regarde s'il grossit ! » Cette réplique souligne également l'aspect visuel du langage dramatique de Giraudoux dans Électre, puisqu'il choisit de faire grandir les Euménides, de manière extrêmement rapide et visible, jusqu'à ce qu'elles ressemblent à Électre,comme l'indique la didascalie de la dernière scène de la pièce : «Elles ont juste l'âge et la taille d'Électre.» Cetartifice visuel est tout à fait spectaculaire et divertissant pour le spectateur. De plus, il a aussi un rôle symbolique : car l'apparence des Euménides et leur croissance surnaturelle leur donnentd'emblée une nature différente de celle des hommes, mais aussi plus tard une ressemblance troublante avec cellepar qui le malheur arrive ; et ce sont elles qui vont d'ailleurs instruire son procès dans la dernière scène de la pièce,quand déjà leur physique accuse Électre d'avoir partie liée avec ce destin macabre et meurtrier qu'elles incarnent.Du reste les Parques auxquelles le jardinier les comparait dans la première scène sont les déesses du destin et de lamort. Pour Giraudoux, le langage théâtral est donc un ensemble fait à la fois de beauté et de laideur, de noblesse et devulgarité, de mots et de chair, et surtout d'idées et de réalité. [Conclusion] Quand Louis Jouvet parle de beau langage, il met bien le doigt sur une des spécificités de Giraudoux, mais laprécaution oratoire qui lui fait nuancer sa définition d'un « d'abord' montre bien qu'il est un grand homme de théâtre,intelligent et sensible, capable de distinguer les qualités d'une oeuvre, même contre les opinions reçues.

Larencontre de ces deux hommes a d'ailleurs marqué le xxe siècle, et l'on ne peut que regretter de n'avoir pu assisterà la création d'Électre en 1937.. »

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