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L’univers de « L’assommoir »

Publié le 22/01/2020

Extrait du document

UN MONDE HOSTILE

Ce monde est peuplé de forces hostiles, d’êtres qui s’animent d’une vie surréelle :

Paris, vaste inconnu, dévore chaque matin ce troupeau (p. II), comme il prend au piège la noce. Les invités tournent dans les salles du Louvre avec un « piétinement de troupeau débandé », comme des rats dans une nasse (p. 88 et suiv.). Or le Louvre, avec ce qu’il représente de culture et de richesse, est pour eux un monde où ils se sentent étrangers (p. 89 : « Ce fut avec respect, marchant le plus doucement possible, qu’ils entrèrent dans la galerie française »), une sorte de temple dont ils finissent par avoir peur.

L’assommoir du père Colombe, doué d’une vie fascinante et terrifiante, est un exemple étonnant de ces êtres dont Zola peuple l’univers de ses personnages. Les formes étranges de l’alambic (p. 50) frappent l’écrivain; elles s’animent d’une vie surréaliste : « On aurait dit la fressure 1 de métal d’une grande gueuse, de quelque sorcière qui lâchait goutte à goutte le feu de ses entrailles » (p. 391). La vision devient bientôt hallucination, - Gervaise t se sent prise par les pattes de cuivre » de la bête contre laquelle elle veut se battre (p. 393) -, et elle atteint à l’épique : du « bedon de cuivre » s’échappe sans interruption une « sueur d’alcool » capable d’inonder tout le quartier de la Goutte-d’Or et même Paris.

On songe immédiatement à la mine de Germinal, le Voreux; ou à la Lison, la locomotive de La bête humaine. Même forme d’imagination (le Voreux, l’alambic, la locomotive, sont d’immenses ventres aux entrailles compliquées); même jeu de couleurs, le rouge et le noir, le feu et les ténèbres; même peur devant une vie infernale, morne et cachée, devant des forces démoniaques contre lesquelles l’homme ne peut rien.

Zola est un grand poète doué du pouvoir de faire vivre les choses et de leur donner une vie symbolique. Tout s’anime autour de Gervaise. Pas seulement les machines, mais aussi les maisons. C’est là un trait caractéristique de l’imagination et de l’art de Zola : qu’on pense aux Halles

1. Ensemble des gros viscères d’un animal (cœur, foie, rate, poumons).

« pitre (p.

10, 14 ...

), il enferme Gervaise dans un monde parfaitement clos et sinistre qui prendra toute sa signifi­ cation au chapitre XII {p.

466) : à droite, les abattoirs d'où vient « une odeur fauve de bêtes massacrées )) ; à gauche, l'hôpital, blafard et lugubre, une sorte de monstre " mon­ trant, par les trous encore béants de ses rangées de fenêtres, des salles nues où la mort devait faucher » {p.

14); l'horizon, d'un bout à l'autre, fermé par « une muraille grise et inter­ minable )) derrière laquelle, « la nuit, elle entendait parfois des cris d'assassinés )> (p.

II); au loin, Paris, à la fois attirant -illuminée par le soleil levant, la ville est comme un creuset de toutes les richesses -mais aussi effrayant et de toutes façons inaccessible : c'est un autre mondé dont Gervaise est séparée par « une bande de désert >>.

La vie de la jeune femme se déroule ainsi dans un univers symbolique et mythique qui a son temps propre.

Il y a en effet peu d'indications de dates dans L'assom­ moir, alors que le dossier préparatoire marque nettement le déroulement chronologique des faits, l'âge des personna­ ges, etc...

Le roman se situe presque hors du temps histo­ rique, dans le monde du « longtemps », du « déjà •...

Zola arrive à allonger la durée, à faire sentir le poids de l'instant et de l'attente jusqu'à une sorte de vertige : par l'emploi systématique de l'imparfait; grâce à un arrangement des mots et une ponctuation qui étirent la phrase (voir, p.

12, le départ des ouvriers, ou p.

II la description du quartier); en coupant en plusieurs tronçons un récit : ainsi la description du départ des ouvriers est coupée par les interventions de Coupeau et de Mme Boche, etc ..• La nature, symbole de vie, de force, d'espoir aussi (le vert), est exclue de cet univers, sauf à deux moments privilégiés : Gervaise vient d'épouser Coupeau, son avenir s'éclaire, elle habite rue Neuve de la Goutte-d'Or:« La joie de Gervaise était, à gauche de sa fenêtre, un arbre planté dans une cour, un acacia allongeant une seule de ses branches, et dont la maigre verdure suffisait au charme de toute la rue >> (p.

II5).

Plus tard, elle essaie d'oublier ses ennuis auprès de Goujet, une idylle s'ébauche; ils se retrouvent, mais:« C'était, entre une scierie mécanique et une manufacture de boulons, une bànde de prairie restée verte, avec des plaques jaunes d'herbe grillée ( ...

) Au fond, un arbre mort s'émiettait au - 43. »

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