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M. PROUST, A la recherche du temps perdu, « Sodome et Gomorrhe »

Publié le 26/02/2011

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proust

Au cours d'une soirée chez la duchesse de Guermantes, Mme d'Arpajon, qui vient d'être abandonnée par le duc au profit de Mme de Surgis, pense le surprendre avec sa rivale dans une colonnade qui entoure un jet d'eau.    Or au moment où Mme d'Arpajon allait s'engager dans l'une des colonnes, un fort coup de chaude brise tordit le jet d'eau et inonda si complètement la belle dame que l'eau dégoulinant de son décolletage dans l'intérieur de sa robe, elle fut aussi trempée que si on l'avait plongée dans un bain. Alors non loin d'elle, un grognement scandé retentit assez fort pour pouvoir se faire entendre à toute une armée et pourtant prolongé par période comme s'il s'adressait non pas à l'ensemble, mais successivement à chaque partie des troupes ; c'était le grand-duc Wladimir qui riait de tout son cœur en voyant l'immersion de Mme d'Arpajon, une des choses les plus gaies, aimait-il à dire ensuite, à laquelle il eut assisté de toute sa vie. Comme quelques personnes charitables faisaient remarquer au Moscovite qu'un mot de condoléances de lui serait peut-être mérité et ferait plaisir à cette femme qui, malgré sa quarantaine bien sonnée, et tout en s'épongeant avec son écharpe, sans demander le secours de personne, se dégageait malgré l'eau qui souillait malicieusement la margelle de la vasque, le grand-duc, qui avait bon cœur, crut devoir s'exécuter et les derniers roulements militaires du rire à peine apaisés, on entendit un nouveau grondement plus violent encore que l'autre. «Bravo, la vieille!« s'écriait-il en battant des mains comme au théâtre. Mme d'Arpajon ne fut pas sensible à ce qu'on vantât sa dextérité aux dépens de sa jeunesse. Et comme quelqu'un lui disait, assourdi par le bruit de l'eau, que dominait pourtant le tonnerre de Monseigneur : « Je crois que Son Altesse Impériale vous a dit quelque chose. — Non ! c'était à Mme de Souvré «, répondit-elle.    M. PROUST, A la recherche du temps perdu, « Sodome et Gomorrhe «   

Vous ferez de ce texte un commentaire composé de façon à mettre en lumière le piquant de la peinture proustienne du grand monde au début du siècle. Vous pourrez, par exemple, étudier la vivacité du récit et les procédés de la satire.    Vous vous abstiendrez seulement de présenter un commentaire linéaire et de dissocier artificiellement le fond de la forme.  plan détaillé   

proust

« • C'est bien le cas ici...

• Où sommes-nous en effet ? : à une soirée mondaine chez la duchesse de Guermantes. • Qui nous y est présenté?: une autre aristocrate, Mme d'Arpajon. • Qu'est-ce qui justifie son comportement ? : les impératifs catégoriques de ce monde frivole, inconscient de ce quin'est pas son immédiat plaisir, ses obligations mondaines, ou ces renversements d'amour, ces jeux de couples quechacun observe sournoisement : ici Mme de Surgis vient de supplanter Mme d'Arpajon dans le cœur (? !) du duc. • De quoi s'occupe-t-on en effet?: de ces passades amoureuses, de surveiller les autres, d'en dire du mal presquetoujours, de meubler ainsi un temps qui se néantise.

Voir le plaisir du grand-duc devant le spectacle gratuit que luioffre «la belle dame...

inond[ée] si complètement [...] que l'eau dégoulin[e] de son décolletage dans l'intérieur de sarobe»... • Pas de plus plaisant spectacle en effet : 1.

pour le lecteur car il sait qu'elle voulait surprendre sa rivale ; or c'est elle qui se fait prendre par le ridicule, enune sorte de retour de la Fortune (ce que souligne le choix du verbe «dégouliner» familier, lisible) ; 2.

pour le grand-duc autant que pour nous, lecteurs, car le centre des préoccupations de ces mondaines est enpremier leur toilette; or la voici «aussi trempée que si on l'avait plongée dans un bain » : la fin de la phrase s'est «tordue » comme le jet d'eau responsable en suivant les étapes de l'épisode à travers l'ironie dont elle est chargée,qui souligne le côté inattendu de l'histoire, donc l'aspect comique d'une femme que personne ne pouvait s'attendre àvoir en cet état dans ce lieu sacro-saint qu'est un salon du grand monde... • Cette société fossile que l'époque 1914-1918 — et ici particulièrement 1917 — va balayer, le grand-duc Wladimiren est le plus pur représentant. • Les œuvres littéraires européennes de cette fin de XIXe siècle regorgent de types hauts en couleur del'aristocratie russe, autocrates qui se croient tout permis, mais dont le règne est compté (cf.

Tchékov). • Là encore l'ironie distanciée du narrateur apparaît discrètement dans l'emploi d'un terme: «le Moscovite» ou d'uneformule : « le tonnerre de Monseigneur » (pour qualifier son rire tonitruant).• Notons qu'un homme d'une telle classe et d'une telle richesse (les grands-ducs sont parents du tsar) est au-dessus de certaines notions de politesse qui régentent ordinairement l'hypocrisie de ce milieu : elles n'arrêtentnullement son rire qui déferle «prolongé par périodes» en «roulements militaires» (sonorités et structure de phraseen composent l'harmonie imitative) ; or la cible en est une femme du monde. • Cette espèce de bonhomie tapageuse était caractéristique de bien des représentants de l'aristocratie tsariste,comme s'en font écho d'autres œuvres de même époque, depuis le Général Dourakine de la comtesse de Ségur qui,aristocrate russe elle-même, sait de qui elle parle, jusqu'à Tolstoï (Anna Karénine, Guerre et Paix) en passant parDostoïevski ou Gogol... • Mais le grand-duc fait pire que rire sans vergogne ! • Car le second centre d'intérêt d'une mondaine est son âge, gage de succès. • Or Mme d'Arpajon a la «quarantaine bien sonnée».

C'est ce que les bonnes intentions (!) de «quelques personnescharitables» de la compagnie font «remarquer au Moscovite».

Charitables, certes, mais pas au point de ne passouligner l'âge de la dame ! • Que pouvait-il arriver de pire à Mme d'Arpajon que d'être traitée de «vieille»? et avec quelle désinvolture, ce queprécise bien la petite exclamation: «Bravo, la vieille» aggravée encore par le «batt[ement] des mains comme authéâtre». • Dans ce monde superficiel, égoïste, sec, le mot «vieille» devient poignard assassin. • Mais on sait s'y défendre aussi et la réaction de Mme d'Arpajon est immédiate : surdité volontaire ! Le «non ! //»suivi d'une coupe sèche claque comme le plat d'une épée dans une mise en garde. • Plus...

Elle renvoie la balle, sournoisement, sur une autre femme: «c'était à Mme de Souvré»...

et sans la moindrehésitation.

Parade immédiate... • Ainsi en quelques actes, mouvements, paroles, se trouve montré le ballet de comédie de cette société soumise àla loi du paraître, où les gens n'existent que par leur position dans ce «monde-monde» (Proust) où tout est mirage.. »

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