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madame de la carlière de Diderot

Publié le 05/12/2014

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diderot
Denis DIDEROT (1772) "Sur l'inconséquence du jugement public de nos actions particulières" Un document produit en version numérique par Christophe Paillard, bénévole, professeur agrégé de philosophie Lycée international de Ferney-Voltaire Courriel: [email protected] Site web: http://perso.wanadoo.fr/fatalisme / et site personnel en philosophie: http://perso.wanadoo.fr/listephilo/ . Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales" Site web: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi Site web: http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm Denis Diderot (1772), "Sur l'inconséquence du jugement public..." Cette édition électronique a été réalisée par Christophe Paillard, bénévole, professeur agrégé de philosophie Lycée international de Ferney-Voltaire Courriel: [email protected] Site web: http://perso.wanadoo.fr/fatalisme / et site personnel en philosophie: http://perso.wanadoo.fr/listephilo/ . Denis Diderot (1772) " Madame de la Carlière, ou sur l'inconséquence du jugement public de nos actions particulières " Une édition électronique réalisée à partir du texte de Denis Diderot (1772), " Sur l'inconséquence du jugement public de nos actions particulières ", in Oeuvres complètes de Diderot, tome 5-2, pp. 334-357.. Éd. Assézat Tourneux, Paris, Garnier Frères, 1875. Polices de caractères utilisée : Pour le texte: Times, 12 points. Pour les citations : Times 10 points. Pour les notes de bas de page : Times, 10 points. Édition électronique réalisée avec le traitement de textes Microsoft Word 2001. Mise en page sur papier format LETTRE (US letter), 8.5'' x 11'') Édition complétée le 25 septembre 2002 à Chicoutimi, Québec. 2 Denis Diderot (1772), "Sur l'inconséquence du jugement public..." Table des matières Section I Section II Section III Section IV Section V Section VI Section VII Retour à la table des matières 3 Denis Diderot (1772), "Sur l'inconséquence du jugement public..." 4 MADAME DE LA CARLIÈRE, OU SUR L'INCONSÉQUENCE DU JUGEMENT PUBLIC DE NOS ACTIONS PARTICULIÈRES 1 Sur l'inconséquence du jugement public de nos actions particulières in Oeuvres complètes de Diderot, éd. Assézat-Tourneux, Paris, Garnier Frères, t. 5-2, pp. 334-357. Écrit vers 1772, ce texte fut publié pour la première fois en 1798 sous le titre Sur l'inconséquence du jugement public de nos actions particulières, qui est peut-être de Naigeon. C'est sous ce titre qu'il figure dans l'édition Assézat-Tourneux des Oeuvres complètes de Diderot. Comme une copie de ce morceau porte le titre Mme de La Carlière, conte, qui a été repris par les éditeurs modernes, nous avons décidé de publier en associant les deux titres (cf. note 1). - Rentrons-nous ? - C'est de bonne heure. - Voyez-vous ces nuées ? - Ne craignez rien ; elles disparaîtront d'elles-mêmes, et sans le secours de la moindre haleine de vent. - Vous croyez ? 1 Nous ne savons si c'est Naigeon qui a donné ce titre à ce morceau, qu'il a été le premier à publier. Une copie que nous en possédons porte simplement celui-ci : Madame de la Carlière, conte. Cette copie nous a fourni quelques corrections. Denis Diderot (1772), "Sur l'inconséquence du jugement public..." 5 - J'en ai souvent fait l'observation en été, dans les temps chauds. La partie basse de l'atmosphère, que la pluie a dégagée de son humidité, va reprendre une portion de la vapeur épaisse qui forme le voile obscur qui vous dérobe le ciel. La masse de cette vapeur se distribuera à peu près également dans toute la masse de l'air; et, par cette exacte distribution ou combinaison, comme il vous plaira de dire, l'atmosphère deviendra transparente et lucide. C'est une opération de nos laboratoires, qui s'exécute en grand au-dessus de nos têtes. Dans quelques heures, des points azurés commenceront à percer à travers les nuages raréfiés ; les nuages se raréfieront de plus en plus ; les points azurés se multiplieront et s'étendront ; bientôt vous ne saurez ce que sera devenu le crêpe noir qui vous effrayait ; et vous serez surpris et récréé de la limpidité de l'air, de la pureté du ciel, et de la beauté du jour. - Mais cela est vrai ; car tandis que vous parliez, je regardais, et le phénomène semblait s'exécuter à vos ordres. - Ce phénomène n'est qu'une espèce de dissolution de l'eau par l'air. - Comme la vapeur, qui ternit la surface extérieure d'un verre que l'on remplit d'eau glacée, n'est qu'une espèce de précipitation. - Et ces énormes ballons qui nagent ou restent suspendus dans l'atmosphère ne sont qu'une surabondance d'eau que l'air saturé ne peut dissoudre. - Ils demeurent là comme des morceaux de sucre au fond d'une tasse de café qui n'en saurait plus prendre, - Fort bien. -Et vous me promettez donc à notre retour... - Une voûte aussi étoilée que vous l'ayez jamais vue. - Puisque nous continuons notre promenade, pourriez-vous me dire, vous qui connaissez tous ceux qui fréquentent ici, quel est ce personnage long, sec et mélancolique, qui s'est assis, qui n'a pas dit un mot, et qu'on a laissé seul dans le salon, lorsque le reste de la compagnie s'est dispersée ? - C'est un homme dont je respecte vraiment la douleur - Et vous le nommez ? Denis Diderot (1772), "Sur l'inconséquence du jugement public..." 6 - Le chevalier Desroches. - Ce Desroches qui, devenu possesseur d'une fortune immense à la mort d'un père avare, s'est fait un nom par sa dissipation, ses galanteries, et la diversité de ses états ? - Lui-même. - Ce fou qui a subi toutes sortes de métamorphoses, et qu'on a vu successivement en petit collet, en robe de palais et en uniforme ? - Oui, ce fou. - Qu'il est changé ! - Sa vie est un tissu d'évènements singuliers. C'est des plus malheureuses victimes des caprices du sort et des jugements inconsidérés des hommes. Lorsqu'il quitta l'Église pour la magistrature, sa famille jeta les hauts cris ; et tot le sot public, qui ne manque jamais de prendre le parti des pères contre les enfants, se mit à clabauder à l'unisson. - Ce fut bien un autre vacarme, lorsqu'il se retira du tribunal pour entrer au service. - Cependant que fit-il ? un trait de vigueur dont nous nous glorifierions l'un et l'autre, et qui le qualifia la plus mauvaise tête qu'il y eût ; et puis vous êtes étonné que l'effréné bavardage de ces gens-là m'importune, m'impatiente, me blesse ! - Ma foi, je vous avoue que j'ai jugé Desroches comme tout le monde. - Et c'est ainsi que de bouche en bouche, échos ridicules les unes des autres, un galant homme est traduit pour un plat homme, un homme d'esprit pour un sot, un homme honnête pour un coquin, un homme de courage pour un insensé, et réciproquement. Non, ces impertinents jaseurs ne valent pas la peine que l'on compte leur approbation, leur improbation pour quelque chose dans la conduite de sa vie. Écoutez, morbleu ; et mourez de honte. Desroches entre conseiller au parlement très jeune ; des circonstances favorables le conduisent rapidement à la grand-chambre ; il est de Tournelle 1 à son tour, et l'un des rapporteurs dans une affaire criminelle. D'après ses conclusions, le 1 La Tournelle était la chambre criminelle du Parlement. Denis Diderot (1772), "Sur l'inconséquence du jugement public..." 7 malfaiteur est condamné au dernier supplice. Le jour de l'exécution, il est d'usage que ceux qui ont décidé la sentence du tribunal se rendent à l'hôtel de ville, afin d'y recevoir les dernières dispositions du malheureux, s'il en a quelques-unes à faire, comme il arriva cette fois-là. C'était en hiver. Desroches et son collègue étaient assis devant le feu, lorsqu'on leur annonça l'arrivée du patient. Cet homme, que la torture avait disloqué, était étendu et porté sur un matelas. En entrant, il se relève, il tourne ses regards vers le ciel, il s'écrie: « Grand Dieu ! tes jugements sont justes. » Le voilà sur son matelas, aux pieds de Desroches. « Et c'est vous, monsieur, qui m'avez condamné ? lui dit-il en l'apostrophant d'une voix forte. Je suis coupable du crime dont on m'accuse ; oui, je le suis, je le confesse. Mais vous n'en savez rien. » Puis, reprenant toute la procédure, il démontra clair comme le jour qu'il n'y avait ni solidité dans les preuves, ni justice dans la sentence. Desroches, saisi d'un tremblement universel, se lève, déchire sur lui sa robe magistrale, et renonce pour jamais à la périlleuse fonction de prononcer sur la vie des hommes. Et voilà. ce qu'ils appellent un fou. » Un homme qui se connaît, et qui craint d'avilir l'habit ecclésiastique par de mauvaises moeurs, ou de se trouver un jour souillé du sang de l'innocent. - C'est qu'on ignore ces choses-là. - C'est qu'il faut se taire, quand on ignore. - Mais pour se taire, il faut se méfier. - Et quel inconvénient à se méfier ? - De refuser de la croyance à vingt personnes qu'on est en faveur d'un homme qu'on ne connaît pas. - Hé, monsieur, je ne vous demande pas tant de garants quand il s'agit d'assurer le bien ! - Mais le mal ?... - Laissons cela ; vous m'écartez de mon récit, et me donnez de l'humeur. Cependant il fallait être quelque chose. Il acheta une compagnie. - C'est-à-dire qu'il laissa le métier de condamner ses semblables, pour celui de les tuer sans aucune forme de procès. - Je n'entends pas comment on plaisante en pareil Cas Denis Diderot (1772), "Sur l'inconséquence du jugement public..." 8 - Que voulez-vous ? vous êtes triste, et je suis gai. - C'est la suite de son histoire qu'il faut savoir, pour apprécier la valeur du caquet public. - Je la saurais, si vous vouliez. - Cela sera long. - Tant mieux. - Desroches fait la campagne de 1745 1, et se montre bien. Échappé aux dangers de la guerre, à deux cent mille coups de fusil, il vient se faire casser la jambe par un cheval ombrageux, à douze ou quinze lieues d'une maison de campagne, où il s'était proposé de passer son quartier d'hiver ; et Dieu sait comment cet accident fut arrangé par nos agréables. - C'est qu'il y a certains personnages dont on s'est fait habitude de rire, et qu'on ne plaint de rien. - Un homme qui a la jambe fracassée, cela est en effet plaisant ! Hé bien ! messieurs les rieurs impertinents, riez mais sachez qu'il eût peut-être mieux valu pour Desroches d'avoir été emporté par un boulet de canon, ou d'être resté sur le champ de bataille, le ventre crevé ...

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