Madame de Tourvel, un reflet des tensions du XVIIIe siècle
Publié le 06/12/2019
Extrait du document
L'objet d'une manipulation
Comme Cécile, la Présidente est l’objectif du libertin « Voici ce quej'attaque » (IV). Subissant les assauts réitérés du séducteur, elle cherche à résister. Les déambulations dans Je parc traduisent cette cour pressante. Les cadrages serrés dévoilent combien Valmont occupe et son image et son esprit. Il s'impose pour obséder : les deux premières parties comptent cinq lettres de Valmont, quatre de la Présidente ; les deux dernières ne comportent qu'un seul échange de comTier. Lorsque Valmont quitte le château, la Présidente n'a plus à fuirle libertin, mais elle-même. Au retour de
Les Liaisons dangereuses
Pierre-Ambroise-François Choderlos De Laclos
«
12
2 Valmont,
la mise en scène accumule les déambulations nocturnes dans les corridors, Je
la byrinthe spatial traduisant les atermoiements d'une conscience aux abois.
L' é cr i tu source de crista llisat ion
Mme de Tourvel n'est pas seulement l'ob jet de la séduction, elle devient le sujet
de la quête amoureuse.
À l'é veil de ses sens -le franchissement du gué-, s'ad joint
l' essor de l'imagination.
La lettre devient l'espace où, conf ortant son besoin de
résistance morale, elle s'autorise à rêver.
L'évolution de ses destinatair es retrace les
mouvements de son âme.
D'abord influencée par Mme de Vol anges, qui discrédite
Valmont, puis soumise au libertin, c'est auprès de Mme de Rosemonde qu'elle trouve
une véritable confidente.
Tour à tour exutoire et source de cristallisation, l'écriture de
la lettre fixe l'amour naissant et lui confère toute légitimité pour croître.
Elle constitue
la liaison la plus dangereuse.
Laclos se souvient des Héroiâes d'Ovide.
Ill.
Une figur e arché typale des Lumièr es
Na ture et culture
Baudelaire la qual ifie ainsi : « Admir able créati on.
Une femme naturelle.
» Par
ce qu'elle est, la Présidente émane de la nature.
Renouant avec l'imaginaire médiéval,
Frears la mont re au milieu d'un parterre de roses, dans l'enceint e du jardin.
En cette
société de faux-semblants, elle incarne une forme d'authenticité, d'immédiateté, qui
con traste avec les stratagèmes.
Par ce que la société a fait d'elle, elle représente une
·�
jeune
femme attachée aux conven ances.
En elle se confrontent nature et civil isation.
Si
les deux premières lettres à Valmont sont empreint es de rhétorique, la lettre LVI laisse
transp araître une prose moins apprêtée.
Femme naturelle, elle incarne l'idéal féminin
qu' esquisse Laclos dans son essai De L'éducation des femmes : « Âmes sensibles,
nous pensons comme vous ...
Femmes sincères, c'est vous que nous interroge ons.
»
Ra tio nali té et sen time nt
En accord avec le Traité des passions de Desca rtes, la tragédie opposait les exi
gences de la raison aux accents de la sub jectivité.
À l'im age du monologue délibératif ,
la le ttre se fait introspection, où le moi s'appréhende sans concession.
C'est la luci
dité dont elle fait preuve qui fait de la Présidente une figure tragique pressentant son
destin.
Le possible choix de l'héroïne, «placée par M.
de Valmont entre sa mort ou
son bonheur » (CXXVIII), se mue en fatal ité.
Marquée par le délire et la souf france,
sa derni ère lettre est traversée par l'hyperbole, J'exclamative et le rythme syncopé du
romantisme naissant.
De la rationalité, la Prés idente détient la clairvoyance, dont La
Princesse de Clèves (1678) avait l'apanage ; par sa sensibilité, sa réce ptivité frémis
sante, elle préfigure le lyrisme de René (1805).
Malraux détecte en elle « le langage
opini âtre et maniaque de la passion véritable : celui de la fatalité ».
Comme dans un miroir, Laclos concentre en Mme de Tourvel les tensions du
siècle.
Ne reflète-t-elle pas ce moment où deux siècles de rationalisme saisissent
leurs limites et entrape rçoivent une nouvelle conception de l'être ? À travers elle, ce
n'e st pas une société que Laclos condamne, c'est la société qui se condamne elle
même, parce qu'elle détruit la seule instance de pureté.
Dénonçant l'Angleterre de
M.
Thatcher, Frears ne tend-il pas ce même miroir à la société d'aujour d'hui ?.
»
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