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Marcel Proust, Sodome et Gomorrhe II.

Publié le 22/02/2011

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Dès que je fus arrivé à la route, ce fut un éblouissement. Là où je n'avais vu, avec ma grand-mère, au mois d'aout, que les feuilles et comme l'emplacement des pommiers, à perte de vue ils étaient en pleine floraison, d'un luxe inouï, les pieds dans la boue et en toilette de bal, ne prenant pas de précautions pour ne pas gâter le plus merveilleux satin rose qu'on eût jamais vu et que faisait briller le soleil ; l'horizon lointain de la mer fournissait aux pommiers comme un arrière-plan d'estampe japonaise ; si je levais la tête pour regarder le ciel entre les fleurs, qui faisaient paraître son bleu rasséréné, presque violent, elles semblaient s'écarter pour montrer la profondeur de ce paradis. Sous cet azur, une brise légère mais timide faisait trembler légèrement les bouquets rougissants. Des mésanges bleues venaient se poser sur les branches et sautaient entre les fleurs, indulgentes, comme si c'eût été un amateur d'exotisme et de couleurs qui avait artificiellement créé cette beauté vivante. Mais elle touchait jusqu'aux larmes parce que, si loin qu'elle allât dans ses effets d'art raffiné, on sentait qu'elle était naturelle, que ces pommiers étaient là en pleine campagne, comme des paysans sur une grande route de France. Puis aux rayons du soleil succédèrent subitement ceux de la pluie ; ils zébrèrent tout l'horizon, enserrèrent la file des pommiers dans leur réseau gris. Mais ceux-ci continuaient à dresser leur beauté, fleurie et rose, dans le vent devenu glacial sous l'averse qui tombait : c'était une journée de printemps.

Marcel Proust, Sodome et Gomorrhe II.

Vous ferez de ce texte un commentaire composé, en étudiant par exemple l'émotion ressentie par le narrateur et les rapports qu'entretiennent ici l'art et la nature. Ces indications ne sont pas contraignantes et vous avez toute latitude pour orienter votre lecture à votre gré. Vous vous abstiendrez seulement de présenter un commentaire linéaire ou une division artificielle entre fond et forme.

Il faudrait plutôt parler d'une succession de tableaux, dans ce texte qui n'est pas économe de références à la peinture : les pommiers sont d'abord vus sur fond de mer, et le tableau qu'ils forment est décrit avec minutie (cf. les détails que constituent les bouquets, les mésanges, etc.). Puis c'est une autre peinture, celle des pommiers roses « dans un réseau gris «.

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