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MARGUERITE DE NAVARRE : sa vie et son oeuvre

Publié le 25/11/2018

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MARGUERITE DE NAVARRE, dite aussi de Valois, ou d'Angoulême, duchesse d'Alençon et de Berry, reine de Navarre (1492-1549).

 

Les curieux qui, attirés par le bruit de l’histoire, s’adressent à l’œuvre de Marguerite de Navarre sont bien surpris : toujours ailleurs, au-delà de ce que l’on attend d’elle, la sœur de François Ier ne répond à aucune des questions essentielles sur sa personne (qui fut l’objet des regards de ses contemporains), sur son rôle dans la politique et la pensée de son temps. Du besoin qui la fit écrire, elle nous assure qu’il fut étranger à la volonté de faire œuvre d’écrivain. Femme, et modeste, elle n’emploie le verbe « travailler » que pour les tapisseries auxquelles elle participe en compagnie de ses dames; mais elle couvre des centaines de pages de vers attentifs, épris des mystères de la pensée et de la douceur des hommes; elle dicte aussi le plus grand recueil de nouvelles de son temps, tout mêlé d’histoires exemplaires et de violence. Toujours par monts et par vaux, au milieu des guerres, des dissensions religieuses et des morts, cette figure de la sérénité et du sourire ne s’abstient de rien, et surtout pas d’écrire.

 

Sous le signe de la marguerite et du souci

 

Des « Enfances Marguerite et François », on sait assez pour écrire des romans (à quoi ressemblent bon nombre de textes d’historiens), et trop peu pour dire avec exactitude la piété et le raffinement, les jeux et les livres, l’atmosphère de surveillance un peu militaire et la liberté d’esprit ou — peut-être — d’humeur qui les marquent. Excès de détails : la silhouette de la princesse est difficile à camper et le restera. Sur une enluminure offerte à sa mère, la sage et frivole Louise de Savoie, on voit la petite Marguerite regarder son frère qui joue aux échecs; on l’imagine aussi le regardant chasser et lutter avec ses compagnons d’âge : ce seront les plus hauts personnages du futur règne, les Montmorency, les Bourbons (l’ami, avant de devenir le traître connétable) et Bonnivet, mort à Pavie avec beaucoup d’autres. Le réseau des familles est serré, le clan fermé. Marguerite passera une grande partie de sa vie — sa correspondance l’atteste — à marier ces familles entre elles, simplement un peu plus soucieuse des frontières du royaume que l’habitude ne le veut dans cette aristocratie européenne.

 

Il faut aussi lui trouver un époux. Certains ne veulent pas d’elle; elle en refuse d’autres, tel Henri VIII d’Angleterre : elle ne voudrait pas avoir à « passer la mer ». Alençon fait l’affaire en 1509, lui dont elle écrira plus tard qu’il n’avait «jamais leu ny appris» et «qu’on n’eust pas pour un orateur pris ». Il lui apportait un duché; un peu plus tard, il fallut régler la succession d’Armagnac, et les largesses du frère donnèrent au couple le duché de Berry. De princesse pauvre, Marguerite devenait riche. Mais l’essentiel n’est pas là.

En 1515, la mort de Louis XII, qui ne laissait aucun héritier mâle, fait du frère bien-aimé le roi de France, et d’elle ainsi que de sa mère les inspiratrices du règne, et pour longtemps. Tous trois vont former cette « Trinité » glorieuse — à l’instar de la divinité — que rien n’arrêtera vraiment avant 1524; cette dynastie de parvenus se voit consacrée par les succès militaires en Italie et par l’épanouissement rapide des arts, des sciences et des lettres dans une France encore prospère. Même quand surviendront les malheurs, ce halo de gloire et de bonheur encadrera toujours François Ier aux yeux de sa sœur, éperdue dès qu’elle le voit, qu’elle l’entend, ou qu’elle lit ses lettres.

 

Pourtant, il y a les deuils : la mort de la reine Claude en 1524, de Louise de Savoie, la mère toute-puissante, en 1531, et celle, déconcertante, des enfants du roi : Charlotte en 1524, dont la disparition suscite chez Marguerite le premier long poème d’inquiétude religieuse et de renoncement, écrit par une main plus habituée jusque-là aux « devises » faciles et à la correspondance; le dauphin François, Charles d’Orléans, le préféré, Louise et Madeleine, qui s’en va mourir en Écosse. Il y a aussi la mort de son propre fils Jean, à peine né (en 1530), et les grossesses sans succès. Lorsque François Ier sera mort, en 1547, il ne restera à Marguerite, qui ne se sent pas très proche du nouveau roi — son neveu, Henri II —, que son époux Henri d’Albret, roi de Navarre (qu’elle a choisi après Pavie et son veuvage), et une fille : Jeanne d’Albret, cause de bien des soucis quand François Ier était parvenu à la marier contre son gré; Marguerite ne dispose pas plus de cet esprit assurément têtu lorsque, le premier mariage étant enfin annulé en 1545, la jeune princesse préfère Antoine de Bourbon aux partis envisagés par sa mère et l’épouse (1548). Mais depuis longtemps la « Marguerite des princesses » a pris pour devise la fleur du souci, tournée vers le soleil dans son malheur, et elle s’est préparée au cri final :

Je n'ay plus ny Père, ny Mère,

Ny Seur, ny Frère,

Sinon Dieu seul auquel j'espère...

Mais la seule vraie solitude, c’est la mort de son frère; on a beau avoir essayé de la lui cacher, elle en rêve la nuit dans sa retraite du monastère de Tusson, et il faut une religieuse folle pour lui apprendre ce qu’elle savait déjà. Elle-même meurt seule, en 1549, à Odos, près de Tarbes.

 

Le rôle de Marguerite fut certainement considérable; auxiliaire de son frère, elle a reçu les ambassadeurs, rencontré Charles Quint, Henri VIII, le pape, les plus grands personnages qui ont traversé la France, s’entendant souvent assez bien avec eux; par ses échanges de vues ou par sa correspondance, elle a tenté — parfois avec succès — d’infléchir la politique, de diriger les responsables du royaume, voire de l’Europe. Elle a établi des relations épistolaires intenses avec des personnes qu’elle ne devait jamais rencontrer, telle la Milanaise Vittoria Colonna. Son rôle de médiateur et de protecteur pour tous ceux, de quelque bord religieux qu'ils fussent, qui risquaient l’exil et la mort, est trop connu pour qu’on rentre ici dans le détail; si elle n’a pu sauver Berquin ou Dolet, elle en a aidé beaucoup d’autres, dont Marot, son cher valet de chambre. Enfin, aucune des reines, aucune des favorites royales, n’a reçu plus qu'elle les hommages et dédicaces des écrivains qui voyaient en elle à la fois le mécène et le complice.

 

« L'odeur de mort est de telle vigueur »

Marguerite a fait les expériences les plus extrêmes, celles où l’esprit se découvre des pouvoirs qu’il ne concevait même pas auparavant. La première, peut-être, qu’elle considéra comme tout à fait extraordinaire, fut la guérison de son frère prisonnier, mourant à Madrid, qu’elle sauve par sa présence et ses prières. Il y eut ensuite la guérison de sa fille Jeanne, que, malgré tous ses efforts, elle ne réussit pas à rejoindre près de Tours : au cours d'une nuit de veille, à Bourg-la-Reine, on vient apprendre à Marguerite que Jeanne est sauvée. Chaque fois, elle trouve insupportables les distances et s’émerveille de leur franchissement. Elle voudrait tant resserrer le monde, comme elle y parviendra dans sa petite cour de devisants, au moment de l’Heptaméron ! Elle a toujours espéré et craint l’arrivée des courriers à cheval, et le heurt contre la porte de celui qui va vous rendre présente la réalité éloignée : ainsi apprit-elle, au cours d’une nuit qu’elle évoquera plus tard, la défaite de Pavie et la captivité du roi. Menacée et tendue, Marguerite a toujours senti la distance que seule, à ses yeux, l’extrême douleur peut franchir en basculant dans le bonheur.

O qu'elle est longue la carrière

Où à la fin gist mon plaisir!

dit-elle en avançant à marches forcées vers Madrid.

 

Rien d’étonnant alors à ce qu’elle reprenne à Bri-çonnet ou à une mystique du Moyen Âge le terme de Loin Près, qui devient chez elle le « Gentil Loin Près » : Dieu si proche et si inaccessible, mais également — n’en doutons pas — son frère, loin et proche dans sa vie — et aussi dans la mort, qu’elle vient à désirer. De là cette attention clinique avec laquelle elle observe l’instant fatal, celui du « prompt passage » : elle guette sur une suivante son dernier soupir, la trace de l’âme à son départ. Mais quand il s’agira pour elle de mourir à son tour, elle se plaindra, comme le rapporte Brantôme, de ce « mot amer » de la mort, et de la longue attente avant la résurrection : « Nous demeurons si longtemps morts soubs terre avant d’en venir là! » Terrienne Marguerite...

 

La plus grande et la plus belle partie de ses poèmes et de son théâtre a été écrite — très vite — sous l’emprise de cette expérience de la mort de son frère. On ridiculise trop facilement Michelet pour avoir compris cette passion : « Cette fixité terrible, pendant cinquante ans, qui y tiendrait ? » On peut s’amuser sans doute des erreurs matérielles de Michelet, qui fit de François Ier un frère incestueux et de Marguerite la femme passionnée la plus sublime; mais il reste à souhaiter qu’un historien de sa trempe s’intéresse un jour au personnage de la reine et à sa passion si tenace : cette passion qui fut sans doute le vrai moteur de toute son écriture, et qui la retint peut-être de devenir une Catherine de Sienne ou une Thérèse d’Avila.

 

A l'escriture véritable

Defaudroit la force à ma main.

Le taire me seroit louable,

S'il ne m'étoit tant inhumain.

« qu'elle ne devait jamais rencontrer, telle la Milanaise Vittoria Colonna.

Son rôle de médiateur et de protecteur pour tous ceux, de quelque bord religieux qu'ils fussent, qui risquaient l'exil et la mort, est trop connu pour qu'on rentre ici dans le détail; si elle n'a pu sauver Berquin ou Dolet, elle en a aidé beaucoup d'autres, dont Marot, son cher valet de chambre.

Enfin, aucune des reines, aucune des favorites royales, n'a reçu plus qu'elle les hommages et dédicaces des écrivains qui voyaient en elle à la fois le mécène et le complice.. »

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