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DURAS Marguerite : sa vie et son oeuvre

Publié le 26/11/2018

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DURAS Marguerite (née en 1914). Peut-on dire Marguerite Duras? Dire ce qu’elle ne dit pas : « On ne dira jamais le tout... », mais qu’elle laisse entendre à travers toute son œuvre, dans une obsédante continuité : cette part de silence et d’interdit, ce mépris de la parole vaine, cette attente, comme dans l’hésitation ou le recueillement, avant d’énoncer? Romans, théâtre, films : des textes d’une extrême tension, une écriture limite entre les questionnements de l’incertain et l’éclatement du vrai, entre l’absolu dépouillement et l’envahissement du désir; une prose hachée, travaillée désormais comme un scénario, faite d’indications neutres, de dialogues plats, étrangement violents, parce que, épurés de tout bavardage, ils se vident jusqu’à l’essentiel.

 

Née à Gia-Dinh (Cochinchine française), Marguerite Duras passe en Indochine toute sa jeunesse, dont l’atmosphère et les événements l’ont profondément marquée. Son père, professeur de mathématiques, meurt très jeune (« Mon père, je ne l’ai pas connu. Il est mort j’avais quatre ans. Il a fait un livre sur les fonctions exponentielles, que j’ai perdu »). Enfant, avec ses deux frères, dont le cadet, qui sera le Joseph du Barrage contre le Pacifique, elle parle le vietnamien et mène la vie pauvre et libre des petits indigènes. Sa mère, institutrice, complète ses ressources en jouant du piano à l’Éden-Cinéma. Plus tard, elle achète une petite concession au Cambodge, une terre incultivable (« Elle l’ignorait complètement, qu'il fallait soudoyer les agents du cadastre pour avoir une terre cultivable... Ce n’était pas une terre, c’était une terre envahie par l’eau six mois de l’année. Et elle a mis là-dedans vingt ans d’économie. Elle a donc fait construire ce bungalow, elle a semé, elle a repiqué le riz, au bout de trois mois le Pacifique est monté et on a été ruinés. Et elle a failli mourir, elle a déraillé à ce moment-là... De colère, d'indignation... »). Ce drame, elle le transcrira presque exactement dans Un barrage...; toujours, l’eau qui détruit l’obsédera.

 

A dix-huit ans, elle arrive à Paris; études de droit, de mathématiques, de sciences politiques. Rencontre de Robert Antelme, son premier mari; puis, en 1942, de Dionys Mascolo dont elle aura un fils, Jean. Elle adhère alors au parti communiste, mais le quittera par la suite.

 

Sa vie, dès lors, se confond avec la littérature. Elle y « entre » en 1943 avec un premier roman, les Impudents. Un barrage contre le Pacifique, publié en 1950, sera porté à l’écran par René Clément en 1957; le Marin de Gibraltar, 1952. sera également adapté au cinéma. Mais c’est avec Moderato cantabile (1958; film de 1960) et surtout avec ce qui fut la révélation du Festival de Cannes 1960, Hiroshima, mon amour, tourné par Alain Resnais, que Marguerite Duras s’est imposée comme l'une des figures majeures de la littérature actuelle. Dans le domaine romanesque, un nouveau stade a été franchi avec le Ravissement de Loi. V. Stein (1964), qui inaugure le cycle d’Anne-Marie Stretter, et avec les textes sur l’Inde (le Vice-consul, la Femme du Gange, India Song, Son nom de Venise dans Calcutta désert). Alors se fixe un type d’exploration romanesque, cinématographique

 

ou scripturale qui semble être définitivement la manière durassienne — ce que viendra encore confirmer l'Amant, ouvrage autobiographique couronné par le prix Goncourt en 1984. C'est à la richesse du Ravissement que Jacques Lacan rendait hommage en ces termes : « Marguerite Duras s’avère savoir sans moi ce que j’enseigne ». Aussi bien les critiques l’incluent-ils généralement, à cette époque, dans le groupe des « nouveaux romanciers ». Certains procédés, il est vrai (traitement du personnage, renouvellement des formes narratives et scripturales), pourraient les y autoriser. Mais le projet demeure autre. Une même œuvre, chez Marguerite Duras, peut être à la fois « texte, théâtre, film », c’est-à-dire une relance réciproque de l’image et de la parole. Des journées entières dans les arbres, sa pièce la plus connue, procède de celte triple dimension. Également le texte de Détruire, dit-elle, dont le titre, en 1969, souligne l'inscription révolutionnaire de bouleversements... immobiles. Pareil « immobilisme » apparaît plus clairement encore dans les films que Duras réalise elle-même : « Je voudrais reprendre le cinéma à zéro, dans une grammaire très primitive... très simple, primaire presque : ne pas bouger, tout recommencer »... « Rester au même endroit, filmer au même endroit », c’est-à-dire l'endroit de la passion. « Là où on est sourd et aveugle »... Là encore, bouleversante lenteur des images : la passion, la beauté, la mort prennent le temps de se donner à lire (India Song, 1974).

 

Du silence au désir

 

L’essentiel n’est jamais un personnage. A travers des noms dont les consonances, par leur banalité française — Anne Desbaresdes, Chauvin — ou leur caractère étranger — Loi. V. Stein, Tatiana Karl, Michael Richardson, Anne-Marie Stretter, Vera Baxter — exercent, comme chez Proust, une puissance évocatoire, c’est toujours l'avatar d'un désir, qu’il s’agit de nommer : « Qu’est-ce qui est possible? demande Stein. — Le désir, dit Max Thor, avec cette chose-là, le désir ». Moments de rupture, où le jeu cesse (ce jeu de cartes, peut-être, qui, dans Détruire, dit-elle, figure la comédie sociale, lorsque Stein rend son nom véritable, son nom de jeune fille, à Mme Alione). Et s’installe la peur de se reconnaître, de devoir soudain être soi. Ainsi, dans Moderato cantabile : « Élisabeth rit. Ils la regardent. — Élisabeth Villeneuve, dit Stein. Le rire s’espace. Elle les regarde chacun à leur tour. De l’effroi arrive dans ses yeux. Le rire cesse ». Ce type de révélation peut aller jusqu’à l’intolérable. C’est ainsi que, dans la séparation de la nuit, Anne Desbaresdes, prisonnière d’une soirée bourgeoise, et l’homme qui, dehors, rôde devant son parc vivent l'aveu de cette même « faim », irréductible, atroce. Ce centre absolu, point focal de toute convergence, refuse d'être masqué : nulle épaisseur « psychologique » ne brouille la transparence, la vacuité requises chez le personnage. Engagé dans un processus de dépossession, juif, exilé, fou, ce dernier peut se réduire à n’être plus qu’une voix, « un nom sans sujet » (Aurélia Stei-ner), ou cette « force arrêtée, déplacée vers l’absence » que figure, dans l'Amour, la femme de la plage. Des gestes, des pas, des mots. Et des silences, plus signifiants que toute parole. Dans l'Amant, l’entendement et les mots se heurtent au mystère du corps, à l’inextricable histoire de l’amour et de la haine, « lieu au seuil de quoi le silence commence »; d’où cet aveu de l’écrivain : « Je n’ai jamais écrit, croyant le faire, je n'ai jamais aimé, croyant aimer, je n'ai jamais rien fait qu’attendre devant la porte fermée ».

 

Et les réminiscences, si fréquentes dans le théâtre de Duras (Agatha, Savannah Bay), restent des actes douloureux, « où rien n'est sûr », où l'espace et le temps se fragmentent, comme dans les anamnèses éparses qui constituent la narration de l'Amant; nulle continuité où repérer son identité; les deux femmes de Savannah Bay tentent vainement de reconstruire un événement qui composerait la matière même de la représentation qu’attendent les spectateurs. Peine perdue : « la pièce ne sera jamais écrite. Alors, autant mourir », affirme Madeleine. On ne saura jamais, personne n’a jamais su pourquoi, à Lahore, le vice-consul criait la nuit, de son balcon; pourquoi il tirait sur l’obscurité de ses jardins pleins de lépreux, de fous et de chiens errants. Ni pourquoi, à la fin d’India Song, Anne-Marie Stretter ira mourir dans la mer indienne. Pourquoi, dans l’Amour, ce voyageur et cette femme qu’on dit folle entreprennent ce retour impossible vers S. Thala incendiée et leur mémoire malade.

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