Marguerite Yourcenar a imaginé les mémoires qu'aurait pu écrire l'empereur Hadrien (empereur romain du Ier siècle après Jésus-Christ). Il écrit : « Comme tout le monde, je n'ai à mon service que trois moyens d'évaluer l'existence humaine : l'étude de soi, la plus difficile et la plus dangereuse, mais aussi la plus féconde des méthodes ; l'observation des hommes, qui s'arrangent le plus souvent pour nous cacher leurs secrets ou pour nous faire croire qu'ils en ont ; les livres, avec le
Publié le 17/01/2022
                             
                        
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Les Mémoires d'Hadrien constituent un roman historique de Marguerite Yourcenar dans lequel « un pied dans l'érudition, ou plus exactement, et sans métaphore, dans cette magie sympathique qui consiste à se transporter en pensée dans l'intérieur de quelqu'un «, elle raconte la vie de cet empereur romain et imagine ses pensées.
 
                                «
                                                                                                                            d'Outre-Tombe.
                                                            
                                                                                
                                                                    	La censure, les bienséances arrêtent certaines confidences.
                                                            
                                                                                
                                                                    Les perspectives, la volonté plus ou	moins avouée de reconstruire sa vie en fonction d'une ligne directrice infléchissent le récit des événements.
Ainsi, Sartre dans 	Les Mots 	veut s'expliquer par l'absence du père et la découverte de la lecture et de l'écriture,	d'où la construction  du livre en  deux parties  « Lire »  et « Écrire  ».
                                                            
                                                                                
                                                                    Simone  de Beauvoir conçoit  sa vie commemarquée par la volonté d'échapper à son milieu social et au destin de son amie Zaza, d'où le titre du premier volumede ses souvenirs « 	Mémoires d'une jeune fille rangée ».
                                                            
                                                                                
                                                                    	Or, l'autobiographie transcrit l'étude de soi, donc les pièges	sont en partie les mêmes.
                                                            
                                                                                
                                                                    Certes, l'écrivain rencontre un
obstacle supplémentaire dans la mesure où il pose devant la postérité.
                                                            
                                                                                
                                                                    C'est un peu le cas de Rousseau qui conçoitses oeuvres autobiographiques comme des plaidoiries, des entreprises de réhabilitation.
Mais  la difficulté  à s'auto-analyser, à  se percevoir  et à se  dire  demeure la  même dans les deux  cas.
                                                            
                                                                                
                                                                    Pourquoil'individu cherchant à s'observer et à se comprendre serait-il miraculeusement préservé des pièges de l'oubli, de ladéformation et de l'inconscient ?
Il semble donc que l'étude de soi n'ait que de faibles avantages par rapport aux livres, nous allons voir qu'il en va demême  pour la comparaison  avec l'observation  des hommes.
                                                            
                                                                                
                                                                     Là encore,  on peut  opposer  la liberté  de l'individuconfronté aux autres à l'écrivain imposant une vision, subjective de toute façon, la vérité à la fiction.
                                                            
                                                                                
                                                                    Quand noustentons d'étudier les hommes, ne sommes-nous pas des écrivains en puissance ? Quelle est la tâche d'un auteursinon d'apporter des connaissances, des sensations sur l'homme ? Qui crée des individus soit par les connaissancesnouvelles qu'il dégage, soit par l'invention de types ? Qui fait concurrence à <	n l'État civil »? Notre tâche n'est-elle	pas la même quand nous étudions les hommes et quand un auteur écrit une tragédie ou un roman d'analyse ? Le butest  identique, que  le chercheur soit anonyme  ou s'appelle Racine, Madame  de Lafayette, Benjamin Constant  ouMauriac.
                                                            
                                                                                
                                                                    On peut objecter que ces écrivains transcrivent leur vision du monde et que leur peinture est subjective.
                                                            
                                                                                
                                                                    Ilest vrai que les héros de Racine traînent leur passion comme une nouvelle fatalité, que les personnages de Balzac sedéfinissent comme des champs de force, que ceux de Flaubert, au contraire, n'ont pas de prise sur le monde, queceux de Mauriac oscillent  entre le Bien et le Mal, hantés par  l'idée de faute et que ceux de Zola  subissent leurhérédité.
                                                            
                                                                        
                                                                    Mais les hommes se livrent-ils si aisément et de manière si transparente à l'observation ? Sommes-noussûrs de les découper scientifiquement sous les lamelles de notre microscope ? Là encore, l'aide fournie par les livres,qu'ils appartiennent aux sciences humaines ou à la littérature, est-elle négligeable ou peut-elle contribuer à élargirnotre approche de la nature humaine ?
Après avoir examiné les ressemblances et les différences entre ces
trois approches de la nature humaine, nous tenterons de dégager les insuffisances et les mérites de la méthodelivresque.
On peut opposer à cette dernière trois arguments, de réalité, de subjectivité et de contradiction.
La connotation péjorative du terme « livresque » est liée à ce premier argument : le livre est théorique, décroché duréel, à l'opposé de l'expérience.
                                                            
                                                                                
                                                                    Celui  qui n'a que des connaissances livresques est démuni  dans la vie pratique,inadapté au maniement des êtres et des choses.
                                                            
                                                                                
                                                                    Le second argument est celui de la subjectivité.
                                                            
                                                                                
                                                                    Dans la plupartdes livres, sauf ceux d'origine scientifique, l'auteur est le porte-parole, le filtre des informations qu'il communique.C'est d'ailleurs  pourquoi  certains livres se contredisent.
                                                            
                                                                                
                                                                     On se souvient  que c'est  une des raisons  majeuresinvoquées pour la destruction des livres dans le roman de science fiction 	Fahrenheit 451 	de Ray Bradbury : pourquoi	troubler les  esprits par des thèses qui  s'affrontent, pourquoi proposer  tant de systèmes philosophiques, tant  devisions du monde à l'homme ?
On peut aisément réfuter ces trois arguments sans pour autant conclure à l'absolue supériorité sans nuance de laconnaissance par les livres.
Tout d'abord, le livre sans être l'expérience brute de la réalité en est le filtre et la décantation, opération nécessairesans laquelle le réel est informe et incompréhensible.
                                                            
                                                                                
                                                                    Tout esprit humain accomplit cette opération, même s'il n'a pasl'intention de coucher  son expérience  sur le papier.
                                                            
                                                                                
                                                                     C'est pourquoi  l'absolu réalisme  en art  est  une  asymptote.L'écrivain le plus réaliste informe le réel, lui donne sens et signification.
                                                            
                                                                                
                                                                    Il opère des coupes, des rapprochements quiorientent la peinture réaliste vers un sens.
                                                            
                                                                                
                                                                    Il crée un réseau de signes.
                                                            
                                                                                
                                                                    Ainsi peut-on justifier la structure interned'un roman comme 	L'Assommoir 	avec ses systèmes d'annonces et ses scènes parallèles.
                                                            
                                                                                
                                                                    L'absolu réel est impossible	également en dehors du livre : il y a toujours une présence humaine, gage de subjectivité.
                                                            
                                                                                
                                                                    Le jugement qu'on portesur soi,  et sur les autres,  c'est-à-dire les deux modes  d'approche évoqués par Hadrien,  sont aussi entachés desubjectivité.
                                                            
                                                                                
                                                                    Ce qu'on pense de soi diffère du jugement des autres et les autres se jugent entre eux diversement.
                                                            
                                                                                
                                                                    Lasimple juxtaposition de témoignages portant sur des faits précis témoigne de
divergences profondes, qu'en sera-t-il alors de « l'évaluation de l'existence humaine » ?
Il faut  admettre  que ces prétendus  inconvénients  sont au contraire  source de richesses.
                                                            
                                                                                
                                                                     Le livre  présente  denombreux avantages  face à l'introspection  et à l'étude psychologique.
                                                            
                                                                                
                                                                    Quels sont-ils ?  Le nombre, la richese, ladiversité.
                                                            
                                                                                
                                                                    Le livre reflète quantitativement et qualitativement l'odyssée de l'esprit humain dans ses conquêtes lesplus variées.
                                                            
                                                                                
                                                                    C'est un héritage offert à chacun..
                                                                                                                    »
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