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MARIVAUX - LA COLONIE « On nous traite de charmantes... »

Publié le 12/11/2013

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marivaux

ARTHÉNICE

Venons à l'esprit, et voyez combien le nôtre a paru redoutable à nos

tyrans ; jugez-en par les précautions qu'ils ont prises pour l'étouffer, pour nous empêcher d'en faire usage ; c'est à filer, c'est à la quenouille, c'est à l'économie de leur maison, c'est au misérable tracas d'un ménage, enfin c'est à faire des nœuds, que ces messieurs nous condamnent.

UNE FEMME

Véritablement, cela crie vengeance.

ARTHÉNICE

Ou bien, c'est à savoir prononcer sur des ajustements, c'est à les

réjouir dans leurs soupers, c'est à leur inspirer d'agréables passions, c'est à régner dans la bagatelle, c'est à n'être nous-mêmes que la première de toutes les bagatelles ; voilà toutes les fonctions qu'ils nous laissent ici-bas ; à nous qui les avons polis, qui leur avons donné des mœurs, qui avons corrigé la férocité de leur âme ; à nous, sans qui la terre ne serait qu'un séjour de sauvages, qui ne mériteraient pas le nom d'hommes.

UNE DES FEMMES

Ah ! les ingrats ; allons, Mesdames, supprimons les soupers dès ce

jour.

UNE AUTRE

Et pour des passions, qu'ils en cherchent.

MADAME SORBIN

En un mot comme en cent, qu'ils filent à leur tour.

ARTHÉNICE

Il est vrai qu'on nous traite de charmantes, que nous sommes des

astres, qu'on nous distribue des teints de lis et de roses, qu'on nous chante dans les vers, où le soleil insulté pâlit de honte à notre aspect, et, comme vous voyez, cela est considérable ; et puis les transports, les extases, les désespoirs dont on nous régale, quand il nous plaît.

MADAME SORBIN

Vraiment, c'est de la friandise qu'on donne à ces enfants.

UNE AUTRE FEMME

Friandise, dont il y a plus de six mille ans que nous vivons.

ARTHÉNICE

Et qu'en arrive-t-il ? que par simplicité nous nous entêtons du vil

honneur de leur plaire, et que nous nous amusons bonnement à être

coquettes, car nous le sommes, il en faut convenir.

UNE FEMME

 

Est-ce notre faute ? Nous n'avons que cela à faire.

Sur les 18 scènes que comporte la pièce La Colonie, la scène 9 est certainement la plus longue. Elle met en présence toutes les femmes qui participent à l'action : révoltées contre la condition qui leur est réservée depuis toujours, elles analysent avec une ironie parfois bien acerbe ce qu'un monde fait pour et par les hommes attend d'elles. Deux images s'opposent ainsi tout au long du dialogue, mené par Arthénice sur le ton d'un véritable plaidoyer féministe : l'image que les hommes imposent des femmes aux femmes et celle qu'elles ont d'elles-mêmes. Il y a entre ces deux images une assez nette différence. Mais tout serait sans doute trop simple si l'on en restait là. Avec une lucidité qui leur fait honneur et révèle encore une de leurs qualités, les femmes soulignent à quel point elles se prêtent parfois au jeu qu'on leur impose et s'adaptent à l'image du miroir que leur tendent les hommes. L'ironie est en ce sens extrêmement ambiguë et la tonalité de certaines répliques plus révélatrice encore que leur contenu de la conscience d'une condition complexe. On peut montrer comment la double image qui est donnée des femmes traduit la complexité de leur condition.

Les femmes telles qu'elles se sentent jugées et traitées par les hommes

 

Par la voix d'Arthénice, les femmes dressent ici un tableau de leur condition en précisant bien qu'elle leur est imposée par les hommes. Cette condition est perçue sur trois plans : l'économie domestique dans ce qu'elle a de plus dévalorisant, le divertissement dans ce qu'il a de plus léger et la célébration lyrique, dévaluée par une tonalité ironique.

marivaux

« Commentaire composé Introduction Sur les 18 scènes que comporte la pièce La Colonie, la scène 9 est certainement la plus longue.

Elle met en présence toutes les femmes qui participent à l'action : révoltées contre la condition qui leur est réservée depuis toujours, elles analysent avec une ironie parfois bien acerbe ce qu'un monde fait pour et par les hommes attend d'elles.

Deux images s'opposent ainsi tout au long du dialogue, mené par Arthénice sur le ton d'un véritable plaidoyer féministe : l'image que les hommes imposent des femmes aux femmes et celle qu'elles ont d'elles -mêmes .

Il y a entre ces deux images une assez nette différence.

Mais tout serait sans doute trop simple si l'on en restait là.

Avec une lucidité qui leur fait honneur et révèle encore une de leurs qualités, les femmes soulignent à quel point elles se prêtent pa rfois au jeu qu'on leur impose et s'adaptent à l'image du miroir que leur tendent les hommes.

L'ironie est en ce sens extrêmement ambiguë et la tonalité de certaines répliques plus révélatrice encore que leur contenu de la conscience d'une condition comple xe.

On peut montrer comment la double image qui est donnée des femmes traduit la complexité de leur condition. Les femmes telles qu 'elles se sentent jugées et traitées par les hommes Par la voix d'Arthénice, les femmes dressent ici un tableau de leur condi tion en précisant bien qu'elle leur est imposée par les hommes.

Cette condition est perçue sur trois plans : l'économie domestique dans ce qu'elle a de plus dévalorisant, le divertissement dans ce qu'il a de plus léger et la célébration lyrique, dévaluée p ar une tonalité ironique. Un rôle dans l'économie domestique Le premier statut envisagé conduit à une image « domestique » de la femme réduite à des activités dégradantes.

L'insistance sur l'aspect manuel des tâches (« filer », « quenouille », « faire des nœuds ») a pour objectif d'en souligner le côté matériel, l'absence de réflexion.

Des formulations de caractère nettement dépréciatif mettent en relief le mépris qui accompagne ce genre d'activités subalternes, dépourvues de toute noblesse.

C'est ce que ma rque une expression comme « misérable tracas d'un ménage ».

La reprise du présentatif « c'est » (cinq fois), dans une énumération quelque peu rageuse dont la colère est marquée aussi par l'emploi des adjectifs possessifs et démonstratifs (« leur maison », « ces messieurs »), souligne l'exaspération de celle qui voit dans la condition féminine une condition de victimes.

Le choix du verbe « condamner » pose d'emblée le problème sur un plan conflictuel de relation dominant/dominé.. »

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