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MAURIAC François : sa vie et son oeuvre

Publié le 26/11/2018

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« Je ne suis pas fait pour l'insuccès »

 

En François Mauriac, né à Bordeaux, se rencontrent deux traditions familiales : celle de la bourgeoisie d’affaires et celle des grands propriétaires terriens. Il reçoit une éducation catholique dont, plus tard, il conciliera difficilement les enseignements avec son statut de « nanti ». Si l’on en croit ses Écrits intimes, son enfance ne fut pas aussi solitaire qu’il le suggère dans Un adolescent d'autrefois (XII). Mais il eut alors l’occasion de développer, à côté d’un profond enracinement dans son terroir, des dons d’observateur : « Tout entrait en moi, et rien n’en sera perdu ». A seize ans, il découvre Barrés avec « émerveillement »; à dix-huit, suite à une conférence de Marc Sangnier, « une lumière du côté du Sillon : le problème social se découvrait à l’enfant bourgeois ». « Monté » à Paris, il opte pour une carrière littéraire qu’encouragent immédiatement plusieurs auteurs en renom, dont Barrés, dès 1910. D’abord tenté par la poésie (les Mains jointes, 1909; Adieu à l'adolescence, 1911), il choisit bientôt le roman, et, dans les années 20, il produit ses œuvres les plus marquantes : le Baiser au lépreux, Genitrix, le Désert de l'amour, Thérèse Desqueyroux... Parallèlement, il publie nombre d’essais (la Rencontre avec Pascal, la Vie de Jean Racine, Dieu et Mammon...) et de chroniques littéraires. Atteint d’un cancer des cordes vocales à la fin de 1931, il doit subir une opération qui lui laissera pour toujours sa célèbre « voix d’archange ». Cette maladie hâte son élection à l’Académie française (1933). Les années 30, durant lesquelles il publie le Nœud de vipères, le Mystère Frontenac, la Fin de la nuit et Asmodée, son œuvre théâtrale la plus réussie, sont aussi marquées par une réflexion théorique, le Romancier et ses personnages, que prolonge « la » polémique avec Sartre dont la Pharisienne porte la trace.

 

La guerre venue, il s’engage aux côtés de la Résistance en utilisant, dans le Cahier noir (publié sous le pseudonyme de Forez), ses armes spécifiques d’écrivain. A la Libération, manifestant son esprit de charité, il réagit contre les excès de l’épuration et, bien que très attaché au général de Gaulle, il critique le R.P.F. « J’étais alors avec de Gaulle contre de Gaulle ». Sa fidélité au général ne se démentira jamais. Simultanément à une intense activité journalistique (il lutte contre le colonialisme), il continue sans aucune trace de faiblesse son œuvre de romancier (le Sagouin, 1951; Galigaï, 1952; l'Agneau, 1954) et d’essayiste. Après 1958, il soutient inconditionnellement de Gaulle. Son Nouveau Bloc-notes, qu’il poursuivra jusqu’à sa mort, en est un témoignage.

 

Un romancier catholique

 

« Toutes les années de ma vie auront été pascalien-nes. » La référence à Pascal est constante chez Mauriac depuis l’adolescence : « Je suis entré en Pascal » (Un adolescent d'autrefois). Cette vision sombre du monde, qui, dans sa dimension tragique, le rend « allergique au thomisme », influence sa création. La majorité de ses personnages sont en effet des êtres déchirés parce que la Grâce leur a manqué : Raymond Courrèges cherche en vain à se sauver dans le « divertissement », Thérèse Desqueyroux meurt un peu avant de goûter la paix de Dieu, tandis que le narrateur du Nœud de vipères, Louis, parvient ultimement « à cet amour dont [il] conna[ît] enfin le nom ador... » Une atmosphère de mystère baigne l’œuvre; elle est sous-tendue par le Mystère, l’importance du débat intérieur, et de lents cheminements vers la révélation rédemptrice de « ceux qui cherchent en gémissant ». Ainsi, dans sa vie comme dans ses romans, « l’un des grands bienfaits du christianisme est d’avoir donné un

 

sens à la douleur humaine », poussée jusqu’au sacrifice (cf. l'Agneau). C’est pourquoi, au-delà de la psychologie, son œuvre s’inscrit dans une perspective racinienne : le secret enfoui en chaque être et guetté, dans une moiteur caractéristique, par certains héros, tel le Couture d’Asmodée, n’est qu’une réfraction du secret divin; et la crise se trouve concentrée sur le moment où, au fond de l’abîme, « les personnages entrevoient le ciel ».

 

Mais ce « témoignage du chrétien » n’implique pas une adhésion à l’appareil clérical. Mauriac déteste les « pharisiens », quelque justification qu’ils invoquent, et il ne peut admettre que l’Église pactise avec l’injustice (« Il n’est pas d’œuvre plus urgente que de libérer l’Église gallicane, enchaînée à la droite la plus aveugle, et, depuis l’affaire Dreyfus, la plus criminelle ») ou avec les puissances d’argent (« Que l’argent fût à ce degré chez des chrétiens ce qui ne se conteste pas... je m’en étonnais déjà dans mon enfance »). C’est donc un catholicisme tout intérieur, produit du « mystère de la foi, indestructible en ceux qui en ont reçu la grâce », qui l’inspire et nourrit sa lutte contre « les puissances trompeuses ».

 

« Souffrances du chrétien »

 

Mauriac emploie souvent les mêmes formules pour stigmatiser l’argent, la propriété (« Ce qui avilit, ce qui dégrade ») et — comme Julien Green — la sexualité (« L’érotisme met l’infini dans ce qui avilit et dans ce qui souille »), qui éloignent l’homme de l’amour de Dieu. Ses héros sont écartelés entre leurs pulsions et leurs scrupules, leurs remords et leurs regrets, l’idée de leur faute et celle de leur salut. A cet égard, le couple antithétique et typiquement mauriacien, qui oppose un être malade et consumé et un brillant nietzschéen éclatant de puissance; un intellectuel rabougri et un paysan plein de force animale; un provincial timide et un Parisien couvert de femmes, est la matérialisation, projetée en deux personnages, des débats intérieurs du chrétien. Car rien n’est plus difficile que de résoudre « le problème posé par la chair, par la cohabitation de l’âme, capable de Dieu, et de l’instinct le plus bestial ». Les héros de Mauriac n’en finissent pas d’assister en eux au combat de l’Ange et de la Bête, de la spiritualité et de la « chiennerie ». Les œuvres de Mauriac ignorent le bonheur du corps célébré (cf. la métaphorisation du désir dans le paysage mauriacien typique : solitude sous un soleil brûlant, dans une sécheresse étouffante), et il n’est de moments heureux que dans les extases mystiques : amour de la famille, grâce d’une rencontre, communion avec Dieu...

 

« Ne pas se renier »...

 

« Quelle grande œuvre est sortie d’un cœur et d’un esprit indifférents à l’histoire des hommes? » Né « du côté des injustes », Mauriac trouve dans le journalisme, en réponse à sa question, le moyen de rejoindre les justes. Ayant collaboré au Gaulois, à F Echo de Paris (« plus réactionnaire que conservateur »), puis à Sept, le journal des dominicains, il devient, dans les années 50, le type même du chroniqueur polémiste. Le « bretteur gascon » est alors, grâce au Bloc-notes, puis au Nouveau Bloc-notes, intimement lié à la vie littéraire et, surtout, politique, de la décolonisation aux côtés de Mendès-France avec l'Express, et au «renouveau gaulliste». Mais s’il s’affirme comme l’un des meilleurs polémistes du siècle, il se refuse certaines facilités : « la plupart des grands polémistes ont été de faux témoins ». Il revendique une démarche plus vraie et plus charitable, n’étant pas de ceux qui « ne font jamais que cribler de leurs flèches les fantoches qu’ils ont eux-mêmes fabriqués ».

MAURIAC François (1885-1970). Homme de plume, homme de foi, homme de bien et de biens, Mauriac est aussi l’homme des déchirements.

 

Chrétien, le romancier est en rupture avec une Église et des fidèles « pharisiens », qu’il accuse d’avoir perdu le message du Christ; bourgeois, il dénonce impitoyable

 

ment les tares de sa classe; journaliste, il exprime ses humeurs, polémiquant avec des adversaires, souvent alliés d’hier ou de demain. Mais, en même temps, il peut difficilement déserter ce qui le modela : «J’ai toujours rompu avec prudence » et il nous est difficile d’admettre qu’il y ait eu « rupture ».

C’est de l’intérieur qu'il attaque ses adversaires, exploitant la moindre contradiction ou le moindre reniement. Pourtant, et comme à son insu, une cruauté malicieuse investit sa rhétorique à l’égard d’adversaires que, comme malgré lui, mais visiblement, il méprise.

 

C’est pourtant dans l’intériorité du propos critique qu’on retrouve une des caractéristiques de son univers romanesque, généralement construit autour de la fêlure

 

d’un être en perpétuel porte-à-faux. En polémique aussi, « l’histoire d’un être, c’est celle de sa blessure », rouverte par le style, dont Mauriac souligne lui-même le sens étymologique de « poignard ». Il est donc, en continuité avec ses « fictions », « tout entier dans le moindre article », modulant, jusque dans ses écrits les plus liés au quotidien, pour lui-même et pour les autres, le motif du déchirement.

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En François Mauriac, né à Bordeaux, se rencontrent deux traditions familiales : celle de la bourgeoisie d'af­ faires et celle des grands propriétaires terriens.

Il reçoit une éducation catholique dont, plus tard, il conciliera difficilement les enseignements avec son statut de « nanti ».

Si l'on en croit ses Écrits intimes, son enfance ne fut pas aussi solitaire qu'ille suggère dans Un adoles­ cent d'autrefois (XII).

Mais il eut alors l'occasion de développer, à côté d'un profond enracinement dans son terroir, des dons d'observateur : «Tout entrait en moi, et rien n'en sera perdu ».

A seize ans, il découvre Barrès avec « émerveillement »; à dix-huit, suite à une confé­ rence de Marc Sangnier, « une lumière du côté du Sillon : le problème social se découvrait à l'enfant bourgeois >>.

«M onté » à Paris, il opte pour une carrière littéraire qu'en couragent immédiatement plusieurs auteurs en renom, dont Barrès, dès 1910.

D'abord tenté par la poé­ sie (les Mains jointes, 1909; Adieu à l'adolescence, 1911), il choisit bientôt le roman, et, dans les années 20, il produit ses œuvres les plus marquantes : le Baiser au lépreux, Genitrix.

le Désert de l'amour, Thérèse Des­ queyroux ...

Parallèlement, il publie nombre d'essais (La Rencontre avec Pascal, la Vie de Jean Racine, Dieu et Mammon ...

) et de chroniques littéraires.

Atteint d'un cancer des cordes vocales à la fin de 1931, il doit subir une opération qui lui laissera pour toujours sa célèbre « voix d'archange ».

Cette maladie hâte son élection à 1' Académie française (1933).

Les années 30, durant les­ quelles il publie le Nœud de vipères, le Mystère Fronte­ nac, la Fin de la nuit et Asmodée, son œuvre théâtrale la plus réussie, sont aussi marquées par une réflexion théorique, le Romancier et �-es personnages, que pro­ longe « la >> polémique avec Sartre dont la Pharisienne porte la trace.

La guerre venue, il s'engage aux côtés de la Résis­ tance en utilisant, dans le Cahier noir (publié sous le pseudonyme de FoREZ), ses armes spécifiques d'écrivain.

A la Libération, manifestant son esprit de charité, il réa­ git contre les excès de l'épuration et, bien que très atta­ ché au général de Gaulle, il critique le R.P.F.

«J'étais alors avec de Gaulle contre de Gaulle >>.

Sa fidélité au général ne se démentira jamais.

Simultanément à une intense activité journalistique (il lutte contre le colonia­ lisme), il continue sans aucune trace de faiblesse son œuvre de romancier (le Sagouin, 195 L; Galigai; 1952; L'Agneau, 1954) et d'essayiste.

Après 1958, il soutient inconditionnellement de Gaulle.

Son Nouveau Bloc­ notes, qu'il poursuivra jusqu'à sa mort, en est un témoignage.

Un romancier catholique «Toutes les années de ma vie auront été pascalien­ nes.

» La référence à Pascal est constante chez Mauriac depuis l'adolescence : «J e suis entré en Pascal>> (Un adolescent d'autrefois).

Cette vision sombre du monde, qui, dans sa dimension tragique, le rend « allergique au thomisme>>, influence sa création.

La majorité de ses personnages sont en effet des êtres déchirés parce que la Grâce leur a manqué : Raymond Courrèges cherche en vain à se sauver dans le« divertissement >>, Thérèse Des­ queyroux meurt un peu avant de goûter la paix de Dieu, tandis que le narrateur du Nœud de vipères, Louis, par­ vient ultimement « à cet amour dont [il) conna[ît) enfin le nom ador.

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»Une atmosphère de mystère baigne l'œu­ vre; elle est sous-tendue par le Mystère, l'importance du débat intérieur, et de lents cheminements vers la révéla­ tion rédemptrice de« ceux qui cherchent en gémissant ».

Ainsi, dans sa vie comme dans ses romans, « l'un des grands bienfaits du christianisme est d'avoir donné un sens à la douleur humaine >>, poussée jusqu'au sacrifice (cf.

l'Agneau).

C'est pourquoi, au-delà de la psycholo­ gie, son œuvre s'inscrit dans une perspective racinienne: le secret enfoui en chaque être et guetté, dans une moi­ teur carac téristique, par certains héros, tel le Couture d'Asmodée, n'est qu'une réfraction du secret divin; et la crise se trouve concentrée sur le momel!lt où, au fond de l'abîme, «les personnages entrevoient le ciel ».

Mais ce «témoignage du chrétien» n'implique pas une adhésion à l'appareil clérical.

Mauriac déteste les «p harisiens », quelque justification qu•ils invoquent, et il ne peut admettre que l'Église pactise avec l'injustice (< >.

Les héros de Mauriac n'en finissent pas d'assister en eux au combat de l'Ange et de la Bête, de la spiritualité et de la «c hiennerie>>.

Les œuvres de Mauriac ignorent le bon­ heur du corps célébré (cf.

la métaphorisation du désir dans le paysage mauriacien typique : solitude sous un soleil brOiant, dans une sécheresse étouffante), et il n'est de moments heureux que dans les extases mystiques : amour de la famille, grâce d'une rencontre, communion avec Dieu ...

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«Q uelle grande œuvre est sortie d'un cœur ct d'un esprit indifférents à l'his toire des hommes? >> Né «du côté des in justes », Mauriac trouve dans le journalisme, en réponse à sa question, le moyen de reJoindre les jus­ tes.

Ayant collaboré au Gaulois, à l'Echo de Paris (« plus réactionnaire que conservateur>> ), puis à Sept, le journal des dominicains, il devient, dans les années 50, le type même du chroniqueur polémiste.

Le « bretteur gascon » est alors, grâce au Bloc-notes, puis au Nouveau Bloc-notes, intimement lié à la vie littéraire et, surtout, politique, de la décolonisation aux côtés de Mendès­ France avec l'Express, et au «renouveau gaulliste>>.

Mais s'il s'affirme comme l'un des meilleurs polémistes du siècle, il se refuse certaines facilités :.

« la plupart des grands polémistes ont été de faux témoins >>.

Il revendi­ que une démarche plus vraie et plus charitable, n'étant pas de ceux qui « ne font jamais que cribler de leurs flèches les fantoches qu'ils ont eux-mêmes fabriqués».. »

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