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Mme de Sévigné écrit à son cousin de Bussy pour lui expliquer ce qu'elle admire le plus dans les Fables de La Fontaine : le charme de la poésie, la peinture de l'humanité et la morale.

Publié le 16/02/2012

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fontaine

 

A Paris, ce 14 août 1688.

J'étais demeurée jusqu'ici très incrédule aux enchantements que nous conte le Tasse; depuis hier, j'ai des raisons d'y croire fortement. Par mégarde j'avais ouvert le volume des Fables de La Fontaine et, sous l'influence de je ne sais quel charme, il m'a fallu épuiser la lecture de l'ouvrage jusqu'à la dernière ligne. Ce n'est pas tout : voici maintenant que j'éprouve l'invincible besoin d'en parler....

fontaine

« Ces champs ne sont point deserts : l'auteur y noue et denoue d'un admi- rable tour de main des scenes pleines d'interet et dont les acteurs se remuent bellement.

Variees a l'infini dans leur objet, les unes sont rejouissantes comme une farce de Moliere; les autres tragiques autant qu'Andromaque ou Bajazet, sauf que ce sont ici des animaux, animaux-phenix qui renaissent aussitot de leurs cendres.

Quelle rapidite dans le recit! Quel naturel dans le dialogue! Cela est saisi sur le vif; cela est peint; on ne lit plus, on voit. Ce style tout franc, tout naif, voila le style que j'aime; it ne s'en fait pas accroire et it ravit sans que l'on sache trop ni pourquoi ni comment. D'aucuns pretendent qu'un si petit genre ne meritait pas les honneurs de la forme poetique.

de leur demande pardon.

Sans doute, it lui eat etc mal- seant, ce grand diable d'alexandrin a perpetuite, qui s'en va droit et raide dans son armure de fer; mais it faudrait etre afflige du gout le plus turc, pour ne pas sentir in convenance parfaite de ce vers libre et leger qui court sur les parapets sans jamais tomber dans la prose.

Le poste a su trouver chaussure au pied de Cendrillon. Dans ses Fables, petites boites peintes de figures joyeuses et frivoles, La Fontaine a serre le meilleur de son experience : plaisir de plus pour le lecteur.

La comedie des betes dissimule et signale tout a la fois une comedic humaine; plumages et pelages ne sont que deguisements d'oa sort un coin de dentelle, un reflet de velours.

De la societe, c'est non la surface menteuse, mais le fond veritable que cette troupe de comediens nous represente.

Si vous le pouvez, comptez dans le monde les gens qui ont troque leur cons- cience contre un sac de ruses, les loups que la fringale de l'ambition a rendus cruels, les chiens qui caressent leur maitre pour manger plus sarement son diner.

Combien, a &Nut de sa paire d'oreilles, arborent la double sottise de l'ane, et combien deguisent leur ame scelerate d'une four- rure onctueuse et d'une humble contenance! L'air retentit du cri des gre- nouilles jamais contentes et du bourdonnement des mouches affairees autour des coches; tandis que le menu peuple des lapins, lievres, rats, belettes, gambade en attendant d'etre dupe et croque... Non, les Fables ne sont pas seulement ce que, de prime abord, elles ont l'air d'etre; elles induisent en longues et serieuses reflexions.

Mais si le tableau se rembrunit alors a nos yeux, par les couleurs sombres que nous y ajoutons, it reste que l'on jouit encore de sentir combien la traduction est exacte, et que Fon jouit surtout des souvenirs que la lecture leve au passage dans notre esprit.

Les clefs n'auraient ici que faire, car on pourrait ecrire vingt noms propres au-dessous de chaque portrait.

Pour ma part, j'ai rencontre presque toutes mes connaissances sur la scene du fabuliste; l'affublement leur sied a merveille; elles font la-dessous une figure a mourir de rire.

Mais on sont les glorieux travestissements du grand Cyrus? Mais oit sont les neiges d'antan? Les maximes jointes aux Fables n'ont rien de farouche; reunies, elles formeraient un recueil qui ressemblerait peu a celui des quatrains du seigneur de Pibrac.

J'aime assez cette morale-la, qui n'est point quinteuse ni exigeante, qui sait vous premunir a bon marche d'un certain nombre de miseres.

Je doute pourtant qu'elle merle an ciel; cependant, melangee en forte proportion avec l'autre, celle que nous preche le Pere Bourdaloue, on a chance tout de meme d'arriver aux dernieres places du paradis. Je trouve encore a ces preceptes un genre d'utilite tres appreciable.

Qui Ces champs ne sont point déserts : Fauteur y noue et dénoue d'un admi­ rable tour de main des scènes pleines d'intérêt et dont les acteurs se remuent bellement. Variées à l'infini dans leur objet, les unes sont réjouissantes comme une farce de Molière; les autres tragiques autant qu'Andromaque ou Bajazet, sauf que ce sont ici des animaux, animaux-phénix qui renaissent aussitôt de leurs cendres.

Quelle rapidité dans le récit! Quel naturel dans le dialogue! Cela est saisi sur le vif; cela est peint; on ne lit plus, on voit.

Ce style tout franc, tout naïf, voilà le style que j'aime; il ne s'en fait pas accroire et il ravit sans que l'on sache trop ni pourquoi ni comment.

D'aucuns prétendent qu'un si petit genre ne méritait pas les honneurs de la forme poétique. Je leur demande pardon.

Sans doute, il lui eût été mal­ séant, ce grand diable d'alexandrin à perpétuité, qui s'en va droit et raide dans son armure de fer; mais il faudrait être affligé du goût le plus turc, pour ne pas sentir la convenance parfaite de ce vers libre et léger qui court sur les parapets sans jamais tomber dans la prose.

Le poète a su trouver chaussure au pied de Cendrillon.

Dans ses Fables, petites boîtes peintes de figures joyeuses et frivoles, La Fontaine a serré le meilleur de son expérience : plaisir de plus pour le lecteur. La comédie des bêtes dissimule et signale tout à la fois une comédie humaine; plumages et pelages ne sont que déguisements d'où sort un coin de dentelle, un reflet de velours.

De la société, c'est non la surface menteuse, mais le fond véritable que cette troupe de comédiens nous représente. Si vous le pouvez, comptez dans le monde les gens qui ont troqué leur cons­ cience contre un sac de ruses, les loups que la fringale de l'ambition a rendus cruels, lès chiens qui caressent leur maître pour manger plus sûrement son dîner. Combien, à défaut de sa paire d'oreilles, arborent la double sottise de l'âne, et combien déguisent leur âme scélérate d'une four­ rure onctueuse et d'une humble contenance! L'air retentit du cri des gre­ nouilles jamais contentes et du bourdonnement des mouches affairées autour des coches; tandis que le menu peuple des lapins, lièvres, rats, belettes, gambade en attendant d'être dupé et croqué...

Non, les Fables ne sont pas seulement ce que, de prime abord, elles ont l'air d'être; elles induisent en longues et sérieuses réflexions. Mais si le tableau se rembrunit alors à nos yeux, par les couleurs sombres que nous y ajoutons, il reste que l'on jouit encore de sentir combien la traduction est exacte, et que l'on jouit surtout des souvenirs que la lecture lève au passage dans notre esprit.

Les clefs n'auraient ici que faire, car on pourrait écrire vingt noms propres au-dessous de chaque portrait.

Pour ma part, j'ai rencontré presque toutes mes connaissances sur la scène du fabuliste; l'affublement leur sied à merveille; elles font là-dessous une figure à mourir de rire. Mais où sont les glorieux travestissements du grand Cyrus? Mais où sont les neiges d'antan? Les maximes jointes aux Fables n'ont rien de farouche; réunies, elles formeraient un recueil qui ressemblerait peu à celui des quatrains du seigneur de Pibrac. J'aime assez cette morale-là, qui n'est point quinteuse ni exigeante, qui sait vous prémunir à bon marché d'un certain nombre de misères. Je doute pourtant qu'elle mène au ciel; cependant, mélangée en forte proportion avec l'autre, celle que nous prêche le Père Bourdaloue, on a chance tout de même d'arriver aux dernières places du paradis.

Je trouve encore à ces préceptes un genre d'utilité très appréciable. Qui. »

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