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MOLIÈRE : Le Misanthrope, acte I, sc. 1

Publié le 04/05/2011

Extrait du document

Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, parcourut d'abord la province, pendant une douzaine d'années, avec une troupe d'acteurs; puis il s'établit à Paris en 1658, et il y débuta par les Précieuses ridicules. Fort de la protection de Louis XIV, il put tenir tête aux comédiens rivaux de l'Hôtel de Bourgogne; et, à la fois acteur, directeur de théâtre, fréquemment appelé à la cour pour y organiser des représentations et des divertissements, il trouva le temps d'écrire une trentaine de pièces, dont plusieurs en vers, qui témoignent toutes d'une profonde connaissance dû coeur humain, d'un instinct dramatique égal à celui de Shakespeare, et d'une variété de style en rapport avec la variété des caractères et des sujets.

TEXTE COMMENTÉ

PHILINTE Mon Dieu! des moeurs du temps mettons-nous moins en peine Et faisons un peu grâce à la nature humaine : Ne l'examinons point dans la grande rigueur, Et voyons ses défauts avec quelque douceur. Il faut, parmi le monde, une vertu traitable; A force de sagesse on petit être blâmable : La parfaite raison fuit toute extrémité, Et veut que l'on soit sage avec sobriété. Cette grande roideur des vertus des vieux âges Heurte trop notre siècle et les communs usages : Elle veut aux mortels trop de perfection. Il faut fléchir au temps, sans obstination; Et c'est une folie, à nulle autre. seconde, De vouloir se mêler de corriger le monde. J'observe, comme vous, cent choses, tous les jours, Qui pourraient mieux aller, prenant un autre cours ; Mais, quoi qu'à chaque pas je puisse voir paraître, En courroux, comme vous, on ne me voit point être. Je prends tout doucement les hommes comme ils sont : J'accoutume mon âme à souffrir Ce qu'ils font; Et je crois qu'à la cour, de même qu'a la ville, Mon flegme est philosophe autant que votre bile. ALCESTE Mais ce flegme, monsieur, qui raisonne si bien, Ce flegme pourra-t-il ne s'échauffer de rien? Et s'il faut, par hasard, ou un ami vous trahisse, Que pour avoir vos biens on dresse un artifice, Ou qu'on tâche à semer de méchants bruits de vous, Verrez-vous tout cela sans vous mettre en courroux? PHILINTE Oui je vois ces défauts, dont votre âme murmure, Comme vices unis à l'humaine nature; Et mon esprit enfin n'est pas plus offensé De voir un homme fourbe, injuste, intéressé, Que de voir des vautours affamés de carnage, Des singes malfaisants et des loups pleins carnage, rage.

(Le Misanthrope, acte I, sc. 1, vers 144-178.) 

« en termes simples et mesurés, une excellente théorie, qui rappelle à la fois ce qu'il y a de plus sensé dans lasagesse païenne (Horace, Sat.

I, 1) et dans la charité chrétienne (SAINT PAUL, Épître aux Romains, XII, 3 : Nonplus sapere quam oportet Sapere, sed sapere ad sobrietatem, ce que Montaigne, dans ses Essais, I, 19, traduit ainsi: « Ne soyez pas plus sages qu'il ne faut, mais soyez nages sobrement »).

— Mais Molière ne nous présente jamaisdes raisonneurs abstraits.

Philinte est homme, comme Alceste.

Et, à son tour, il exagère; il pousse cette modérationjusqu'à l'indifférence et jusqu'au mépris.

Après une transition (du vers 9 au vers 14), il trahit sa personnalité un peuégoïste, il oppose son flegme à la bile d'Alceste; et il finit par prononcer sur la méchanceté native et incurable deshommes des paroles bien plus sévères, bien plus décourageantes, que les boutades furieuses du misanthrope.

— Ilnous apparaît donc une fois de plus dans ce passage, que Molière ne prend parti ni pour les uns, ni pour les autres.Il ne charge pas un de ses personnages (sauf dans dès cas particuliers, comme dans Tartufe) de formuler sapensée.

Il met sous nos yeux des êtres vivants, différents, « ni tout à fait bons, ni tout à fait méchants », et qui,obéissant à leur nature propre, ont, chacun à leur tour, tort et raison.

— Les vers 19 et 20; isolés, donneraienttoutefois une idée fausse de l'égoïsme de Philinte, qui se sent naturellement porté au paradoxe par réaction contreles théories d'Alceste.

Ces deux vers ont été placés par Fabre d'Églantine dans la bouche de son Philinte, au débutde sa pièce.

(Le Philinte de Molière, 1790.) Ce Philinte-là n'est plus celui de Molière, en dépit du titre; c'est lePhilinte de J.-J.

Rousseau, celui que l'atrabilaire philosophe de Genève a reconstruit de toutes pièces dans sa Lettresur les spectacles.Commentaire grammatical et littéraire.

— V.

5.

Une vertu traitable.

Latin tractabilis, qui se laisse manier, souple,indulgente.— V.

11.

Elle veut aux mortels.

Elle exige, chez les mortels.

On aura fréquemment l'occasion de remarquer lesnombreux emplois de à, auxquels se sont substitués, à partir du dix-huitième siècle, d'autres prépositions.— V.

12.

Fléchir au temps.

Cf.

le latin cedere tempori, se plier aux circonstances.— V.

13.

A nulle autre seconde, expression un peu banale, sorte de cliché en usage dans la poésie médiocre dutemps (cf.

BOILEAU, Satire II).— V.

16.

Prenant un autre cours : si elles prenaient...

L'usage du participe présent est plus fréquent au dix-septième siècle que de nos jours.

Cf.

CORNEILLE: Tu trouveras la paix quittant la solitude (Imitation, III, 22).

Enréalité, ce participe présent équivaut au gérondif latin; il est tombé en désuétude, à mesure que la syntaxefrançaise s'est délatinisée.— V.

21.

La cour...

la ville.

Opposition constante aux dix-septième et dix-huitième siècles.LA Bruyère).

La cour, c'est la noblesse; la ville, C'est la grande bourgeoisie.— V.

22.

Flegme philosophe.

On trouve aussi dans Pascal cet emploi de philosophe comme adjectif.

Dans la mêmescène (v.

971 Molière a dit : Ce chagrin philosophe est un peu trop sauvage.

— Flegme vient d'un mot grecsignifiant humeur, et se dit d'un tempérament lymphatique, par conséquent calme jusqu'à la mollesse.-- V.

23.

Ce flegme...

qui raisonne si bien.

Tel est le texte de la édition (1667).

Les éditions de 1674 et de 1682portent :Monsieur qui raisonnez si bien, leçon qui paraît préférable.— V.

27.

Tâche à...

se distinguait alors de tâcher de, et exprimait l'effort vers un but.— V.

33-34.

Ces comparaisons de l'homme avec des animaux sont amenées graduellement par le mouvement quis'accentue de vers en vers.

Le sage et modéré Philinte a donc ses haines comme Alceste; il a peut-être étémisanthrope et optimiste; il est devenu philosophe et pessimiste.. »

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