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Monsieur Teste de Paul Valéry - Commentaire de "La Soirée" et de "Lettre à Madame Teste"

Publié le 06/04/2011

Extrait du document

   Narcisse, Léonard sont des images idéalisées de Paul Valéry à la recherche de son Moi pur et d'une méthode universelle de pensée, mais Paul Valéry est trop méditerranéen pour ne pas sourire parfois devant ces modèles parfaits, où son miroir ne le reconnaît pas toujours. Il imagine alors un personnage sans passé, dépouillé du charme poétique du mythe antique et du prestige artistique du peintre de la Renaissance : ce sera un Parisien quelconque du XXe siècle commençant, en veston d'alpaga, canotier et bottines pointues, mais lui aussi penché sur lui-même et préoccupé de régler le mécanisme de sa pensée. Pour en tracer les traits, il s'analyse en se vieillissant par avance d'une vingtaine d'années. Cette caricature anticipée du vieux Monsieur qu'il aurait pu devenir, c'est Monsieur Teste.    L'édition actuelle de M. Teste comprend un ensemble d'essais groupés autour de la figure centrale au fur et à mesure de la carrière de Valéry. Le point de départ est la Soirée avec Monsieur Teste (1896), puis viennent la Lettre de Madame Emilie Teste, publiée en 1924 dans le Cahier II de la revue Commerce, des Extraits du Log Book de Monsieur Teste, la Lettre d'un ami3 la Promenade avec Monsieur Teste, Pour un portrait de Monsieur Teste Quelques pensées de Monsieur Teste et Fin de Monsieur Teste. Cette abondance de titres ne doit pas effrayer le lecteur : M. Teste en définitive, malgré la multiplicité des ébauches, est un mince volume de 140 pages, où la pensée est inégalement dense et obscure.   

« visage impassible, dépourvu de sourire : il pourrait être un de ces officiers supérieurs que Valéry croisait dans lescouloirs du Ministère de la Guerre.

Son logement est aussi vide d'expression que sa personne; c'est un très petitappartement « garni », sans bibelots, sans livres : Dans la chambre verdâtre qui sentait la menthe, il n'y avaitautour de la bougie que le morne mobilier abstrait, le lit, la pendule, l'armoire à glace, deux fauteuils. Portrait moral: Une soirée à l'Opéra. M.

Teste est célibataire, sans liaison sentimentale, sans proches parents et sans métier ; il vit de médiocresopérations de bourse, il fréquente les cafés et les concerts.

Peut-on inventer personnage plus froid et moinssympathique ? Aussi n'est-ce pas par son affabilité ou par le rayonnement de sa sensibilité que M.

Teste a conquisson disciple, mais par la puissance de son raisonnement.

L'unique occupation de M.

Teste est de transformer saconscience en mécanique parfaite, qui fonctionne en toute circonstance sans la moindre défaillance.

Tout estoccasion pour vérifier la marche de l'appareil et le mettre au point.

Cet entraînement continuel et toujours contrôléle rend apte à comprendre le mystère de la création artistique aussi bien que les émotions grégaires du public del'Opéra.

Chacun était à sa place, libre d'un petit mouvement.

Je goûtais le système de classification, la simplicitépresque théorique de l'assemblée, l'ordre social.

J'avais la sensation délicieuse que tout ce qui respirait dans cecube, allait suivre ses lois, flamber de rires par grands cercles, s'émouvoir par plaques, ressentir par masses deschoses intimes, uniques, — des remuements secrets, s'élever à l'inavouable ! J'errais sur ces étages d'hommes, deligne en ligne, par orbites, avec la fantaisie de joindre idéalement entre eux tous ceux ayant la même maladie, ou lamême théorie, ou le même vice...

Une musique nous touchait tous, abondait, puis devenait toute petite.

Elledisparut.

M.

Teste murmurait : « On n'est beau, on n'est extraordinaire que pour les autres ! Ils sont mangés par lesautres.... Je regardai ce crâne qui faisait connaissance avec les angles du chapiteau, cette main droite qui se rafraîchissaitaux dorures ; et, dans l'ombre de pourpre, les grands pieds.

Des lointains de la salle, ses yeux vinrent vers moi ; sabouche dit : « La discipline n'est pas mauvaise...

C'est un petit commencement...

» Je ne savais répondre.

Il dit de sa voix basse et vite : « Qu'ils jouissent et obéissent ! »...

Nous regardions se mourirle jour que faisaient toutes les figures dans la salle.

Et quand il fut très bas, quand la lumière ne rayonna plus, il neresta que la vaste phosphorescence de ces mille figures.

J'éprouvais que ce crépuscule faisait tous ces êtrespassifs.

Leur attention et l'obscurité croissantes formaient un équilibre continu.

J'étais moi-même attentif forcément— à toute cette attention. M.

Teste dit : « Le suprême les simplifie.

Je parie qu'ils pensent tous, et de plus en plus, vers la même chose.

Ilsseront égaux devant la crise ou limite commune.

Du reste, la loi n'est pas si simple...

puisqu'elle me néglige, — et —je suis ici.

» Il ajouta : « L'éclairage les tient.

» Je dis en riant : « Vous aussi ? » Il répondit : « Vous aussi.

» Le récit de la soirée à l'Opéra est devenu une page d'anthologie; on ne saurait analyser avec plus de rigueur et decharme l'effet du spectacle sur le public, la transformation de centaines d'individus en un être collectif,l'asservissement de cette masse aux intentions du dramaturge non seulement par l'envoûtement de la musique,l'intérêt des paroles ou l'expression des gestes, mais aussi par l'éclairage, la disposition de la salle, l'organisationmatérielle qui, jusque dans ses détails, concourt avec l'auteur et les inter-^ prêtes à cette victoire sur lesspectateurs. Cependant comment ne pas éprouver, en même temps que l'admiration, une certaine irritation, sans douteprovoquée à dessein par Paul Valéry, devant deux traits persistants de son caractère : une sensualité souventrépugnante et sans franchise, une fatuité intellectuelle que ne justifie pas toujours la supériorité de la pensée.

Aquoi bon comparer ici la domination du spectacle à une secrète possession physique et pourquoi supposer que M.Teste et son admirateur sont seuls à rester partiellement libres et à contrôler leurs impressions ? Celles-ci ne sont niaussi confuses ni aussi difficiles à discerner qu'on veut le faire croire et cette artificielle difficulté est uneimpertinence gratuite.

La naïveté intermittente du disciple frôle le comique sans s'y abandonner franchement.

Sansdoute en souvenir des dialogues de Platon, on nous montre l'élève parodiant le Maître, s'essoufflant à le rejoindre etrestant bouche bée lorsque la pensée de celui-ci lui échappe au moment où il croyait la saisir, mais M.

Teste estcomplètement dépourvu du pittoresque, de l'aisance et de la bonne humeur socratiques : ses évasions ressemblentplus aux pirouettes d'un jongleur qu'à la démarche naturelle du philosophe attique. Les Pensées de M.

Teste. Cet aristocratique mépris des lecteurs est-il compensé par un don royal? M.

Teste livre-t-il au vulgaire des trésorscapables de l'éblouir? Les pensées extraites du Log-book n'en apportent pas la preuve.

Tout se passe, au contraire,comme si Paul Valéry, prenant conscience de la stérilité de son jeu, voulait démontrer l'inutilité de l'intellectualismeforcené de M.

Teste; cette ascèse sans foi, cet « égotisme » sans passion aboutissent au lieu commun, ce qui estprobablement conforme à la réalité, mais décevant.

Fallait-il accoucher d'une souris? L'explication de ces contrastes. »

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