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OSER NE PAS PENSER COMME LES AUTRES - IONESCO

Publié le 28/03/2011

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   Ne pas penser comme les autres vous met dans une situation bien désagréable. Ne pas penser comme les autres, cela veut dire simplement que l'on pense. Les autres, qui croient penser, adoptent, en fait, sans réfléchir, les slogans qui circulent, ou bien ils sont la proie de passions dévorantes qu'ils se refusent d'analyser. Pourquoi refusent-ils, ces autres, de démonter les systèmes de clichés, les cristallisations de clichés qui constituent leur philosophie toute faite, comme des vêtements de confection ? En premier lieu, évidemment, parce que les idées reçues servent leurs intérêts ou leurs impulsions, parce que cela donne bonne conscience et justifie leurs agissements. Nous savons tous que l'on peut commettre les crimes les plus abominables au nom d'une cause « noble et généreuse «. Il y a aussi le cas de ceux, nombreux, qui n'ont pas le courage de ne pas avoir «des idées comme tout le monde, ou des réactions communes«. Cela est d'autant plus ennuyeux que c'est, presque toujours, le solitaire qui a raison. C'est une poignée de quelques hommes, méconnus, isolés au départ, qui change la face du monde. La minorité devient la majorité. Lorsque les « quelques-uns « sont devenus les plus nombreux et les plus écoutés, c'est à ce moment-là que la vérité est faussée.    Depuis toujours, j'ai l'habitude de penser contre les autres. Lycéen, puis étudiant, je polémiquais avec mes professeurs et mes camarades. J'essayais de critiquer, je refusais « les grandes pensées « que l'on voulait me fourrer dans la tête ou l'estomac. Il y a à cela, sans doute, des raisons psychologiques dont je suis conscient. De toute manière, je suis heureux d'être comme je suis. Ainsi donc, je suis vraiment un solitaire parce que je n'accepte pas d'avoir les idées des autres.    Mais, qui sont « les autres « ? Suis-je seul ? Est-ce qu'il y a des solitaires ?    En fait, les autres, ce sont les gens de votre milieu. Ce milieu peut même constituer une minorité qui est, pour vous, tout le monde. Si vous vivez dans cette « minorité «, cette « minorité « exerce, sur celui qui ne pense pas comme elle, un dramatique terrorisme intellectuel et sentimental, une oppression à peu près insoutenable. Il m'est arrivé, quelquefois, par fatigue, par angoisse, de désirer et d'essayer de « penser « comme les autres. Finalement, mon tempérament m'a empêché de céder à ce genre de tentation. J'aurais été brisé, finalement, si je ne m'étais aperçu que, en réalité, je n'étais pas seul. Il me suffisait de changer de milieu, voire de pays, pour y trouver des frères, des solitaires qui sentaient et réagissaient comme moi. Souvent, rompant avec le « tout le monde « de mon milieu restreint, j'ai rencontré de très nombreux « solitaires « appartenant à ce qu'on appelle, à juste raison, la majorité silencieuse. Il est très difficile de savoir où se trouve la minorité, où se trouve la majorité, difficile également de savoir si on est en avant ou en arrière. Combien de personnes, des classes sociales les plus différentes, ne se sont-elles pas reconnues en moi ?    Nous ne sommes donc pas seuls. Je dis cela pour encourager les solitaires, c'est-à-dire ceux qui se sentent égarés dans leur milieu. Mais alors, si les solitaires sont nombreux, s'il y a peut-être même une majorité de solitaires, cette majorité a-t-elle toujours raison ? Cette pensée me donne le vertige. Je reste tout de même convaincu que l'on a raison de s'opposer à son milieu.    Ionesco, Antidotes, Gallimard, 1977, p. 11-13.    1. Vous résumerez ce texte en le réduisant au quart de sa longueur (150 mots). Une marge de 10 %, en plus ou en moins de ce nombre de mots, est tolérée. Le candidat indiquera, à la fin de son résumé, le nombre des mots qu'il a utilisés (8 points).    2. Vous expliquerez les expressions suivantes (2 points) :    — « les systèmes de clichés «,    — « un dramatique terrorisme intellectuel et sentimental «.    3. Discussion : « C'est une poignée de quelques hommes, méconnus, isolés au départ, qui change la face du monde. « Que pensez-vous de cette affirmation? (10 points)

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« VOCABULAIRE • les systèmes de clichés : les clichés sont des pensées ou des expressions que l'on retrouve chez la majorité desgens, et qui deviennent des automatismes auxquels on ne réfléchit plus.

E.

Ionesco remarque ici qu'au lieu de sebâtir une forme de pensée originale et autonome, la plupart des gens se réfugient dans ce qu'il appelle plus loin «une philosophie toute faite », que d'autres ont élaborée à leur place. • un dramatique terrorisme intellectuel et sentimental : le mot «terrorisme » est un mot très fort, employénotamment pour des actions de guerre civile, et qui implique une grande violence.

Ici il est employé dans un sensfiguré, mais il garde sa force : le milieu dans lequel nous vivons nous fait violence par le raisonnement et lespressions affectives afin que nous nous ragions à l'avis de la majorité.

E.

Ionesco voit dans cette façon d'agirquelque chose de «dramatique», car cela tend à annihiler la liberté de l'individu. DISCUSSION : PLAN DÉTAILLÉ Introduction Le titre même d'Antidotes, qui implique l'idée d'un contrepoison, montre bien qu'E.

Ionesco cherche à combattre lesidées reçues.

Or ici il affirme que ce sont « les solitaires » qui changent la face du monde. Nous pouvons nous demander si cette idée est communément admise ou si au contraire elle apparaît comme uneidée originale, et si l'Histoire lui donne raison. I.

C'est souvent la collectivité qui change la face du monde. 1.

Importance du mouvement des masses dans l'Histoire. Depuis le début des temps historiques on a vu que les grands changements politiques et sociaux étaient le fait nonde quelques individus, mais des masses.

On ne saurait par exemple imaginer pendant la guerre de Cent Ans la seuleJeanne d'Arc chassant les Anglais de France, si elle n'avait eu avec elle la masse des combattants, ni la Révolutionfrançaise sans les énormes mouvements de foule des journées d'émeute.

La littérature nous fait d'ailleurs ressentir cette importance des masses : ainsi la description de la grève des mineursde Montsou dans Germinal de Zola ; ainsi également la réflexion d'A.

de Musset sur la solitude de son héros coupédes masses et sur son échec dans Lorenzaccio. 2.

En art également, pendant des siècles la production a été le fait d'une communauté. Si l'on a retenu le nom de quelques architectes et de quelques sculpteurs de la Grèce antique, combien d'oeuvresnous sont parvenues comme anonymes ? Lorsqu'on voit les statues votives de jeunes-filles (les « Korés ») ou dejeunes gens (les « Kouroï») de la Grèce archaïque, on ne peut s'empêcher d'y retrouver un idéal commun, au-delàdes traits spécifiques aux individus. Les pyramides d'Égypte ont été une œuvre collective, les cathédrales aussi. 3.

Les idées ne triomphent que lorsqu'elles sont prises en compte par la majorité. C'est vrai en ce qui concerne les grands changements sociaux : l'idée de démocratie par exemple ne s'est pasimposée en France uniquement par les écrits de quelques philosophes des Lumières.

Il a fallu qu'elle mûrisse, qu'ellese répande dans la bourgeoisie et le peuple. C'est vrai aussi pour le changement des mentalités : ainsi en est-il pour l'émancipation de la femme, ou pourl'évolution des rapports parents/enfants.

Il n'y a pas de véritable progrès tant que la masse des gens ne fait passiens ces changements. II.

Le rôle des «hommes méconnus, isolés au départ». 1.

L'Histoire vérifie également l'affirmation d'E.

Ionesco. Le héros apparaît souvent comme le catalyseur des énergies potentielles, et comme celui qui lance l'action : ainsiJeanne d'Arc est au début de son action isolée, suivie seulement de quelques fidèles ; ainsi, plus près de nous, lespremiers résistants à l'occupation nazie en 1940. Les idées nouvelles naissent souvent dans la pensée d'individus d'abord isolés : les philosophes du xviii* siècle nesont d'abord qu'une poignée d'hommes qui par leurs écrits vont propager les idées des Lumières. Les grands découvreurs, les grands savants ont souvent dû lutter contre le mépris de la majorité des gens, contreles idéologies dominantes : ainsi Christophe Colomb doit attendre longtemps les moyens de son expédition.

BernardPalissy brûle ses meubles pour alimenter son four à céramique, Galilée doit abjurer devant l'Inquisition ses idées sur. »

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