Devoir de Philosophie

PARIS A CINQ HEURES DU SOIR - Jules Romains, les Hommes de bonne volonté, Le Six Octobre.

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

romains
Dans les vingt-sept volumes des Hommes de bonne volonté, Jules Romains (1885-1972) fait revivre la société française de 1908 à la veille du second conflit mondial. Voici, extraite du premier terme, la présentation de Paris, le soir du 6 octobre 1908. Dans le centre, les amples mouvements du soir, les longues montées vers le Nord et vers l'Est, pareilles à un souffle interminable, s'annonçaient à peine. L'animation avait abandonné l'intérieur de la Bourse et des banques, diminuait aux étages des immeubles commerciaux, mais pour augmenter et s'alourdir dans les rues. Les boutiques s'allumaient par le fond. La rumeur faisait des nodosités1. Rue Lamarck, Louis Bastide2 , faufilant son cerceau entre les visiteurs inquiets et les marchands de médailles, avait repris sa course, et un enfant redescendait se confondre avec la masse de la ville où naissait le pétillement de la nuit. Des sirènes sifflaient. Les horloges des gares marquaient cinq heures. Quatre, sept, onze trains express marchaient sur Paris. Les quatre qui rampaient au loin sortaient à peine de province. Ils venaient de quitter les dernières grandes villes que Paris laisse croître à distance. Elles jalonnent autour de lui un cercle qui est comme le dessin de son ombre. Dès qu'on y pénètre, Paris impalpable a commencé. Trois autres, beaucoup plus près, traversaient des campagnes imprégnées et soumises, mais encore belles, dans le flux oblique d'un couchant mordoré3. Ils arrivaient au deuxième cercle, celui que tracent à une douzaine de lieues de Notre-Dame les chefs-lieux des vieux pays de l'lle-deFrance. Les quatre express qui accouraient les premiers touchaient déjà la proche banlieue, s'y enfonçaient en ralentissant. L'un venait de Lyon, un autre de Lille, un autre de Bordeaux, un autre d'Amsterdam (...) Et pendant ce temps, parmi les derniers visiteurs des tours et des hauts lieux, plus d'un, contemplant le Paris réel dans son soir d'octobre, songeait que c'était une espèce de lac. Une boucle de la Seine avait débordé, s'était répandue suivant les facilités du sol. Mais au lieu d'eau il y avait trois millions d'hommes. Sous la forme d'un devoir composé, en évitant de dissocier la forme et le fond, vous commenterez ce texte de Jules Romains. Vous direz par exemple quelle vision l'auteur veut donner de Paris, et par quels moyens il s'efforce de traduire une impression de vie intense et de puissance. 1. Nodosités : le mot, désignant des espèces de masses arrondies et dures que l'on trouve sous la peau humaine ou dans les racines de certains végétaux, est appliqué à la rumeur de la ville : dans les vibrations qui constituent cette rumeur, les nodosités désignent les instants d'intensité maximale. 2. Louis Bastide : un petit garçon qui s'amuse à parcourir les rues en pente de Montmartre en poussant son cerceau devant lui. 3. Mordoré : d'une couleur brune présentant des reflets dorés.
romains

« nous sommes à un moment de transition : « les amples mouvements du soir (...) s'annonçaient à peine ».L'animation du centre de Paris se déplace d'un lieu à un autre ; d'un lieu de travail et d'échanges commerciaux :[elle] « avait abandonné l'intérieur de la Bourse et des banques, diminuait aux étages des immeubles commerciaux»(on notera la progression entre « avait abandonné », action révolue et « diminuait », action en cours) à un lieu depassage : « mais pour augmenter et s'alourdir dans les rues ».

En même temps, cette animation changequantitativement (elle « augmente ») et qualitativement (elle « s'alourdit »).Les boutiques s'allument, mais elles-aussi par étapes, « par le fond » : on éclaire l'arrière-boutique, plus sombre,avant la boutique elle-même.Enfin, le premier paragraphe s'achève par l'expression « où naissait le pétillement de la nuit », impression visuelle de« pétillement » provoquée par les lumières de la ville qui clighotent.

Le premier paragraphe nous fait ainsi passerprogressivement du soir au début de la nuit.3.

Une vie collective.a) le rapport du sujet au verbeLa plupart des sujets sont des abstractions (cf.

« les amples mouvements », « les longues montées », « l'animation», « la rumeur », « le pétillement de la nuit ») ou des objets (« des sirènes », « les horloges des gares », « lestrains-express ») renvoyant à une réalité collective.b) le lexiqueJules Romains se plaît à nous donner l'idée d'une foule, d'une masse :— par l'emploi de certains adjectifs : « les amples mouvements du soir », « les longues montées vers le Nord et versl'Est, pareilles à un souffleinterminable»;— par l'emploi des images : «La rumeur faisait des nodosités » (l'impression de puissance de cette rumeur renvoie àla foule), « c'était une espèce de lac [...].

Mais au lieu d'eau, il y avait trois millions d'hommes ».c) le rythme des phrasesAu début du premier paragraphe J.

Romains fait succéder aux longues phrases, aux éléments régulièrementéquilibrés, du début du texte, qui traduisent le lent mouvement de la foule, des phrases courtes « Les boutiquess'allumaient par le fond.

La rumeur faisait des nodosités » qui correspondent à des actions plus ponctuelles (cf.aussi au début du second paragraphe : « Des sirènes sifflaient.

Les horloges des gares marquaient cinq heures »). II.

La puissance d'attraction de Paris. 1.

Les trains.Paris est à proprement parler le point de convergence des trains.a) le nombreOn assiste à une sorte de surenchère, comme si l'auteur les comptait au fur et à mesure qu'il les voyait « quatre,sept, onze trains express marchaient sur Paris ».

Il consacre ensuite un paragraphe à chacun des groupe de trains :« Les quatre qui rampaient » / « Trois autres » / « les quatre express qui accouraient les premiers...

».b) leur diversitéOn ne connaît pas la provenance exacte de tous les trains, mais l'auteur veut que nous comprenions qu'ils arriventd'horizons très divers, puisqu'il nous donne les points de départ des quatre derniers qui arrivent : Lyon, Lille,Bordeaux, Amsterdam.Le fait également qu'ils traversent des « cercles » qui entourent Paris indique qu'ils viennent de quatre pointscardinaux.

Le procédé du « simultanéisme » permet de mieux montrer leur diversité.c) leurs actionsOn trouve, comme il est naturel en parlant de train, beaucoup de verbes de mouvement.

Trois d'entre eux «marchaient sur Paris », « rampaient », « accouraient » sont particulièrement intéressants parce qu'ils montrent uneanimalisation (« rampaient ») ou une humanisation des trains (« marchaient sur Paris ») ainsi qu'une idée deprécipitation (« accouraient ») : ils sont comme attirés irrésistiblement par la capitale.2.

les trois cercles.Pour nous faire comprendre le rayonnement de Paris sur ses environsprivilégiés pour voir Paris dans son ensemble.

On notera la similitude avec le Montmartre du premier paragraphe.L'auteur insiste bien sur le fait qu'il s'agit du « Paris réel» (et non plus du « Paris impalpable »).L'image du lac se met en place progressivement : « c'était une espèce de lac », « une boucle de la Seine avaitdébordé, c'était répandue suivant les facilités du sol » (nous quittons l'image du lac proprement dit pour celle d'uneinondation, d'une crue du fleuve); et elle s'achève par une explication claire de la métaphore : « mais au lieu d'eau,il y avait trois millions d'hommes ».

Ainsi la masse des Parisiens est totalement confondue, comme le sont lesgouttes d'eau dans un lac ou un fleuve. Conclusion Ce que nous apporte la vision du romancier, c'est de « donner à voir » (Éluard), c'est d'éveiller notre intérêt et notreattention pour des êtres et des choses que nous pourrions considérer comme banales.Sa vision de Paris est avant tout celle d'un foisonnement d'activité collective, d'où se dégage une sorte de poésiesecrète.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles