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PASSAGE DE L'ENFANT À L'HOMME - Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe, 1re partie.

Publié le 08/03/2011

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chateaubriand

   A peine étais-je revenu de Brest à Combourg, qu'il se fit dans mon existence une révolution; l'enfant disparut et l'homme se montra avec ses joies qui passent et ses chagrins qui restent.    D'abord tout devint passion chez moi, en attendant les passions mêmes. Lorsque, après un dîner silencieux où je n'avais osé ni parler ni manger, je parvenais à m'échapper, mes transports étaient incroyables; je ne pouvais descendre le perron d'une seule traite : je me serais précipité. J'étais obligé de m'asseoir sur une marche pour laisser se calmer mon agitation ; mais aussitôt que j'avais atteint la Cour Verte et les bois, je me mettais à courir, à sauter, à bondir, à fringuer à m'éjouir jusqu'à ce que je tombasse épuisé de forces, palpitant, enivré de folâtreries et de liberté.    Mon père me menait quant et lui 2 à la chasse. Le goût de la chasse me saisit et je le portai jusqu'à la fureur; je vois encore le champ où j'ai tué mon premier lièvre. Il m'est souvent arrivé en automne de demeurer quatre ou cinq heures dans l'eau jusqu'à la ceinture, pour attendre au bord d'un étang des canards sauvages; même aujourd'hui, je ne suis pas de sang-froid lorsqu'un chien tombe en arrêt. Toutefois, dans ma première ardeur pour la chasse, il entrait un fond d'indépendance; franchir les fossés, arpenter les champs, les marais, les bruyères, me trouver avec un fusil dans un lieu désert, ayant puissance et solitude, c'était ma façon d'être naturel. Dans mes courses, je pointais si loin que, ne pouvant plus marcher, les gardes étaient obligés de me rapporter sur des branches entrelacées.    Cependant le plaisir de la chasse ne me suffisait plus; j'étais agité d'un désir de bonheur que je ne pouvais ni régler, ni comprendre; mais mon esprit et mon cœur s'achevaient de former comme deux temples vides, sans autels et sans sacrifices; on ne savait encore quel Dieu y serait adoré.    Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe, 1re partie.    Vous ferez un commentaire composé de ce texte. Vous montrerez, par exemple, comment Chateaubriand, devenu adulte, analyse les élans du jeune homme qu'il a été.    Il est toujours possible de commenter un texte sans connaître son auteur (c'est même parfois un avantage!) ou l'œuvre de laquelle est extrait un passage. Dans le cas de Chateaubriand, une connaissance minimale des Mémoires est recommandée pour percevoir les points forts et originaux de tel ou tel chapitres. Ce qui ne veut pas dire que vous deviez transformer notre commentaire en question de cours!

chateaubriand

« stéréoscopique maintient l'incertitude d'hier tout en affirmant la connaissance et la révélation d'aujourd'hui. Entre le narrateur et le héros — lui-même dissocié en figures parfois antagonistes — s'ébauche donc un dialogueempathique qui transforme le récit autobiographique en roman d'éducation, voire d'initiation.

Et comme ceux-ci quise centrent sur une crise (souvent sentimentale ou affective), les Mémoires s'organisent autour d'instants-pivots —d'où le titre du chapitre : « Passage de l'enfant à l'homme » — qui découpent dans l'étendue du texte des périodesprivilégiées de la vie physique (l'enfance, l'adolescence, la maturité) ou intellectuelle (le politique, l'écrivain).

Ainsin'est-ce point un homme unique que fait revivre l'hôte de l'Abbaye-aux-Bois, mais diverses figures dont chaquenouvelle semble effacer l'ancienne.

D'où l'image de la « révolution », terme qui sous la plume de Chateaubriand aquelque chose de radical et que vient confirmer le verbe « disparaître ».

D'où aussi cette idée de mouvementpermanent, également impliqué par le substantif — l'homme comme la terre fait sa « révolution » — et quetraduisent les mouvements lents (« mon esprit et mon cœur s'achevaient de former ») ou brusques (« l'homme semontra ») dont le personnage est l'objet. Tout se passe donc comme si la vie n'était qu'une chute de masques, un jeu complexe de l'altérité et de l'identité.De là ce recours fréquent, chez les romantiques, au souvenir ; un souvenir qui tout à la fois est l'indice duchangement et de ses formes les plus irrémédiables — la perte ou la mort (Tristesse d'Olympio, Le lac, etc.) — maisaussi du retour des « minutes heureuses » dont parle Baudelaire.

Ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre : tel pourrait se définir le narrateur regardant vivre le hérosd'autrefois.

Certes, l'homme a mûri, son expérience s'est enrichie ; mais parfois perce le regret d'une « liberté »désormais jugulée par les contraintes sociales : « toutefois, dans ma première ardeur pour la chasse, il entrait unfond d'indépendance », et plus loin encore : « c'était ma façon d'être naturel ».

Cette nature, redécouverte par lesPhilosophes du XVIIIe siècle et qui s'inscrit doublement dans cette page: comme décor d'abord — bois, champs,marais, forment ici l'un de ces « lieux déserts » propices à la méditation ; comme « paysage intérieur » (ou mieuxpour reprendre la suggestive expression de Jean-Pierre Richard comme « paysage d'une âme ») ensuite, tant il estvrai que tout ici porte la marque des passions encore incontrôlées que le héros ne pouvait « ni régler ni comprendre» et qui de ce fait sont paroxystiques : « mes transports étaient incroyables», «je le (le goût de la chasse) portaijusqu'à la fureur».

Passions qui assaillent l'individu dans sa totalité — « tout devint passion » — puis tel un feuintérieur — étymologiquement contenu dans « la première ardeur pour la chasse » — se libèrent par une profusion demouvements que traduit la rapide succession des périphrases aspectuelles — « je me mettais à courir, à sauter, àbondir, à fringuer, à m'éjouir...

» — ou des infinitives — « franchir...

arpenter...

me trouver...

». Reste que cette découverte du « plaisir » ne se confonde pas avec le bonheur ; celui-ci n'est encore qu'ébauché etfera l'objet de la prochaine métamorphose du héros.

Métamorphose annoncée ici par la seule prospection dunarrateur — « on ne savait encore quel Dieu y serait adoré » — et qui, plus encore que les plaisirs de la chasse oude la marche s'annonce encore sans objet.

« Le Dieu manque à l'autel où je suis la victime » s'écriera le Christ deNerval dans Les Chimères ; à sa différence, le Chateaubriand des Mémoires sait, lorsqu'il les écrit, quelle(s)divinité(s) — la religion, l'amour, l'art, la politique — ont empli ces « temples alors vides ». « J'entreprends l'histoire de mes idées et de mes sentiments plutôt que de ma vie » précisait dès 1805Chateaubriand alors que le projet des Mémoires commençait de prendre forme.

Et de fait, à travers ses souvenirs cen'est pas l'anecdote pour elle-même que cherche à retenir le narrateur, mais à travers le regroupement de détailssignificatifs il tente « d'expliquer son inexplicable cœur ».

Le récit autobiographique devient alors romanpsychologique.

II.

Chateaubriand narrateur et analyste • L'imparfait très utilisé dans cette page traduit la permanence de l'état du jeune homme, dont l'adulte fait lapeinture. • Mais il va plus loin; il n'est pas seulement le spectateur de ce qui s'est passé en lui... • ...

à travers le poids des instants (toujours l'imparfait), il étudie, analyse (vigueur de la langue et une certainetendance au substantif abstrait, ex.

: « ardeur », de ardeo latin : brûler; « fureur », de furor latin : folie furieuse.. »

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