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PÉGUY Charles

Publié le 27/11/2018

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PÉGUY Charles (1873-1914). Poète, dramaturge, fondateur et chroniqueur des Cahiers de la Quinzaine, Péguy participe aux principaux courants de pensée qui s’affrontent entre 1870 et 1914. Dreyfusiste ardent, il est aussi un dévot de Jeanne d’Arc et le nationaliste de Notre patrie. Fier de ses origines populaires, il retrouve Barrés sur le terrain du militarisme mais ne sera jamais de sa caste. S’il intègre les croisades de Saint Louis et l’épopée impériale à son patriotisme, celui-ci n’en est pas moins d’essence républicaine; mais Péguy vitupère le suffrage universel. Disciple de Lucien Herr et de Jaurès, il appartient pourtant à la génération des grands convertis : Mari-
tain, Claudel. Rompant avec les socialistes, il se distingue du christianisme d’un Fernand Laudet (Un nouveau théologien) par la violence de ses revendications (De Jean Coste, l’Argent). Mais l’âpre polémiste est aussi l’humble pèlerin de Chartres. Hostile au combisme, il est anticlérical et impute aux « curés » la déchristianisation de la France. Ses goûts littéraires sont également contrastés : il aime Corneille et Beaumarchais (Clio), Descartes et Pascal, hait le romantisme sans se lasser d’Hugo, voue à Bergson une admiration filiale qui le dresse contre le Vatican. Cet amoureux de l’ordre classique use d’un discours qui prend la digression pour règle et, pour allure, le piétinement, fusant soudain en chapelets de métaphores, gouverné par une logique associative sinueuse comme la pensée même en train de naître. Sa poésie litanique, cible facile des pasticheurs, forme en masse un ensemble monotone, parfois rebutant (Ève). En même temps émule de Claudel, voire d’Apollinaire, Péguy est un maître du vers libre, rime des ritournelles (Quatrains), manie habilement les prosaïsmes en un subtil mariage du sacré et du profane (le Mystère de la charité de Jeanne d'Arc).
Déchiré de contradictions, Péguy sait que l’âme d’un peuple ne se laisse pas plus emprisonner par la science indiscrète des Taine, Renan et Durkheim, que la psychologie du génie par les Lanson de la Sorbonne. Lui-même échappe à tout classement : pour le comprendre, il faut se laisser porter par le flux de cette inépuisable logorrhée qui refoule devant elle habitudes de langage, méthodes d’exposition et préjugés.
Une croisade permanente
Né à Orléans dans une famille pauvre, orphelin de père dès son plus jeune âge, Charles Péguy grandit entre sa mère et sa grand-mère, illettrée (Pierre, commencement d'une vie bourgeoise, 1899). Distingué par ses maîtres dès l’école primaire (l'Argent, 1913), il fait, comme boursier, de brillantes études aux lycées d’Orléans, de Sceaux, puis, après son service militaire, suit les cours du lycée Louis-le-Grand. Licencié en philosophie, il entre en 1894 à l’École normale supérieure; abandonnant la foi de son enfance, il adhère au parti socialiste et soutient Dreyfus. Jaurès est à cette époque l’idole des normaliens.
Péguy aime peu les voyages. Il se rend cependant à Orange, où il admire Mounet-Sully dans Œdipe-roi, puis en Lorraine. Quittant alors la rue d’Ulm, il compose à Orléans un drame consacré à Jeanne d'Arc (1897). A son retour à Paris, ses convictions politiques s’affirment dans la Revue socialiste et dans deux manifestes : la Cité socialiste ( 1897), sous le pseudonyme de Pierre Deloire; Marcel, premier dialogue de la cité harmonieuse (1898), évocation d'un entretien avec un ami disparu, Marcel Baudouin, dont il épousera la sœur, Charlotte. Renonçant à l’agrégation, il se lance dans l’édition, crée la « Librairie socialiste Georges Bellais », puis, rompant avec les socialistes, dont il récuse les positions en matière de presse, fonde les Cahiers de la Quinzaine (1900). Pendant quatorze ans, cette revue publiera sous sa direction des textes de René Salomé, de Daniel Halévy, de Julien Benda, d'André Suarès, de Romain Rolland, des frères Tharaud... Installé dans la banlieue parisienne, Péguy prend tous les jours le chemin de fer de ceinture (Entre deux trains, 1900), arrive à la «boutique», «hirsute, jovial et renfrogné » (R. Rolland). Bravant la Sorbonne voisine, l’officine est un centre de libres discussions; on se déplace en groupe avec Maritain, Halévy, Benda, pour aller entendre Bergson au Collège de France.
Désormais, la vie de Péguy se partage entre des périodes militaires et le combat des Cahiers. Il stigmatise dans sa revue les déviations socialistes et dreyfusistes (A Jaurès, 1900; Casse-cou, 1901; Courrier de Russie, 1905; Notre jeunesse, 1910), la misère et les injustices sociales (De Jean Coste, 1902’, l'Argent, 1913). En 1905, son patriotisme éclate dans Notre patrie; traquant l’esprit d’abandon (Clio, 1909), il cherche, dans ses commentaires sur Michelet, sur Hugo, sur Corneille, à communier avec l’âme nationale (Victor-Marie, comte Hugo, 1910); la Note sur M. Bergson et la philosophie bergsonienne (1914) et la Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne (1914) prennent la défense de Bergson contre la Sorbonne et contre le Vatican. En 1909, vivant dans la pauvreté (A nos amis, à nos abonnés),
Péguy annonçait à Joseph Lotte son retour à la foi. Ce fut aussi un retour à l’écriture poétique : le Mystère de la charité de Jeanne d'Arc (1910), le Porche du mystère de la deuxième vertu (1911), le Mystère des saints Innocents (1912), les Tapisseries (1912-1913). A la même époque, il accomplit ses premiers pèlerinages à Chartres (Présentation de la Beauce à Notre-Dame de Chartres, 1912).
Mobilisé le 4 août 1914, le lieutenant Péguy tombe le 5 septembre à Villeroy, en menant sa section à l’attaque. Ce jour-là, il est encore presque inconnu. Brusquement le nom du premier écrivain mort au champ d’honneur est projeté dans l’actualité par deux articles; l’un de Barrés dans le Figaro, l’autre de Daniel Halévy dans le Journal des débats, qui révèlent son inspiration nationale et ses aperçus prophétiques. Mais la célébrité ne commence vraiment qu’avec les lectures de Jacques Copeau (1926), et la biographie des frères Tharaud. Après 1930, Emmanuel Mounier, Albert Béguin, Georges Bernanos feront rayonner l’œuvre du penseur, du poète, du chrétien. En 1941, Gallimard publie les Œuvres poétiques', les accents du patriote émeuvent une France éprouvée. Ce premier volume sera suivi en 1957 et 1959 de deux autres tomes, grâce auxquels les articles des Cahiers seront largement répandus dans le grand public.
Jeanne d'Arc ou les ambiguïtés du drame
La figure de Jeanne d’Arc domine l’œuvre poétique de Péguy. Dès 1897, celui-ci lui dédie un drame en trois parties, étayé d’une solide érudition et passablement touffu. Dialogues d’une écriture familière, stances en alexandrins (« Adieu, Meuse endormeuse »...), récits de batailles en prose tenant du tableau vivant ou de l’image sulpicienne, conciliabules entre ecclésiastiques, débats de juristes, etc. Sans négliger, on le voit, la trame historique, l’auteur a braqué son attention sur l’aventure spirituelle, à laquelle il mêle beaucoup d’éléments biographiques : son attachement à la patrie, mais aussi une commune révolte contre la misère physique et morale, une ambition identique de « tuer la guerre » par l’instauration d’un ordre de justice et de liberté, une « chrétienté » dans laquelle le jeune Péguy projette l’idéal d’une « république sociale universelle » (Dédicace de Jeanne d'Arc). Mais l’œuvre reste conflictuelle. L’héroïne est déchirée entre la sainteté et l’orgueil : prétendant « sauver mieux que le Sauveur », dont le sacrifice n’a pas racheté les damnés, Jeanne, sur le chemin du bûcher tient encore tête à Dieu : « Mon Dieu, pardonnez-moi tout le mal que j’ai fait en vous servant ». Et l’auteur hésite entre deux genres : « Je me suis rendu compte qu’il était décidément impossible avec l’Histoire telle qu’on est forcé de l’écrire de faire l’histoire d'une vie intérieure » (Feuillets). En optant pour le drame, Péguy choisit le compromis. De fait, l’œuvre manque d’équilibre : des repentirs la font basculer vers l’« Histoire » alors qu'elle se dit « histoire de l’âme ». En définitive, Jeanne d’Arc marque le début des relations difficiles de Péguy avec l’écriture historique de son temps.
L'histoire et la lutte contre le modernisme
Après les joies fugitives de la victoire dreyfusiste (le Triomphe de la République, 1900), le pessimisme de Péguy, qui éclate déjà dans les dernières stances de Jeanne d'Arc (« Il fait nuit par le monde et sur toute souffrance »), puis, dans De Jean Coste, est bientôt conforté par ce qu'il appelle la « dégradation » de l’Affaire. Contestant le mythe du progrès (Reprise politique parlementaire, 1903), le polémiste rationalise ses déceptions politiques, apercevant dans toutes les entreprises humaines un ferment de décomposition qui, après l’élan initial, les entraîne vers F « avilissement ». Comme le destin de Jeanne enlisé dans le sable des réticences royales, « tout commence en mystique et finit en politique » (Notre jeunesse). D’où, selon Péguy, une dynamique propre à F Histoire : traversant des phases d’essor et de déclin, celle-ci se développe dans l'imprévisible, « vaisseau qui ne fait qu’un seul voyage » le long d’une durée élastique jalonnée de points forts. La problématique du discours historique se précise en conséquence; tel qu’il est formulé par les Modernes, est-il recevable? est-il innocent?
Sur le premier point, Péguy dénonce le transfert « en bloc des méthodes scientifiques modernes dans le domaine de l’histoire de l’humanité » (Zangwill, 1904). Il vitupère l’inutile érudition des Taine, Renan, Lanson, qui n'épuisera pas l’« infinité du détail », et leurs incertaines synthèses dans les schémas du déterminisme. Sur le second point, plus féroce encore, Péguy décèle la « pensée de derrière la tête » (Zangwill) de l’esprit moderne : une déification fantasmatique du savant (Durkheim) totalisant l’Histoire, totalisant le savoir, y compris celui qui enveloppe la personne humaine. Véritable césarisme, le « parti intellectuel » n’a d’autre dessein que d’assurer son pouvoir en hâtant dans tous les domaines la dégradation de l’inquiétante mystique en une rassurante politique (cf. De la situation faite à l'histoire et à la sociologie, 1906). Ce procès du modernisme marque profondément l'œuvre des Cahiers. D’abord, réservant à l’Histoire une fonction d’« inscription » (Clio), Péguy pensera que seule une écriture incantatoire peut ressusciter l’âme et la vie des peuples : lyrisme d’un Michelet jamais si grand que lorsqu’il se libère de la « méthode », d’un Hugo dans ses Châtiments

« allure, le piétinement, fusant soudain en chapelets de métaphores, gouverné par une logique associative sinueuse comme la pensée même en train de naître.

Sa poésie litanique, cible facile des pasticheurs, forme en masse un ensemble monotone, parfois rebutant (È ve).

En même temps émule de Claudel, voire d'Apollinaire, Péguy est un maître du vers libre, rime des ritournelles (Quatrains), manie habilement les prosaïsmes en un sub­ til mariage du sacré et du profane (le Mystère de la charité de Jeanne d'Arc).

Déchiré de contradictions, Péguy sait que l'âme d'un peuple ne se laisse pas plus emprisonner par la science indiscrète des Taine, Renan et Durkheim, que la psycho­ logie du génie par les Lanson de la Sorbonne.

Lui-même échappe à tout classement : pour le comprendre, il faut se laisser porter par le flux de cette inépuisable logorrhée qui refoule devant elle habitudes de langage, méthodes d'exposition et préjugés.

Une croisade permanente Né à Orléans dans une famille pauvre, orphelin de père dès son plus jeune âge, Charles Péguy grandit entre sa mère et sa grand-mère, illettrée (Pierre, commence­ ment d'une vie bourgeoise.

1899).

Distingué par ses maî­ tres dès l'école primaire (l'Argent, 1913), il fait, comme boursier, de brillantes études aux lycées d'Orléans, de Sceaux, puis, après son service militaire, suit les cours du lycée Louis-le-Grand.

Licencié en philosophie, il entre en 1894 à l'É cole normale supérieure; abandonnant la foi de son enfance, il adhère au parti socialiste et soutient Dreyfus.

Jaurès est à cette époque l'idole des normaliens.

Péguy aime peu les voyages.

Tl se rend cependant à Orange, où il admire Mounet-Sully dans Œdipe-roi, puis en Lorraine.

Quittant alors la rue d'Ulm, il compose à Orléans un drame consacré à Jeanne d'Arc (1897).

A son retour à Paris, ses convictions politiques s'affirment dans la Revue socialiste et dans deux mani festes : la Cité socialiste ( 1897), sous le pseudonyme de PIERRE DELOIRE; Marcel, premier dialogue de la cité harmonieuse (1898), évocation d'un entretien avec un ami disparu, Marcel Baudouin, dont il épousera la sœur, Charlotte.

Renonçant à l'agrégation, il se lance dans l'édition, crée la ...

), récits de batailles en prose tenant du tableau vivant ou de l'image sulpicienne, conciliabules entre ecclésiastiques, débats de juristes, etc.

Sans négliger, on le voit, la trame histori­ que, l'auteur a braqué son attention sur l'aventure spiri­ tuelle, à laquelle il mêle beaucoup d'éléments biographi­ ques : son attachement à la patrie, mais aussi une commune révolte contre la misère physique et morale, une ambition identique de« tuer la guerre >> par l'instau­ ration d'un ordre de justice et de liberté, une « chré­ tienté)> dans laquelle le jeune Péguy projette l'idéal d'une «république sociale universelle» (Dédicace de Jeanne d'Arc).

Mais l'œuvre reste conflictuelle.

L'hé­ roïne est déchirée entre la sainteté et l'orgueil : préten­ dant « sauver mieux que le Sauveur>>, dont Je sacrifice n'a pas racheté les damnés, Jeanne, sur le chemin du bûcher tient encore tête à Dieu : (Feuillets).

En optant pour le drame, Péguy choisit le compromis.

De fait, l'œuvre manque d'équili­ bre : des repentirs la font basculer vers 1' ((Histoire >> alors qu'elle se dit «histoire de l'âme>>.

En définitive, Jeanne d'Arc marque le début des relations difficiles de Péguy avec l'écriture historique de son temps.

l'histoire et la lutte contre le modernisme Après les joies fugitives de la victoire dreyfusiste (le Triomphe de la République, 1900), le pessimisme de Péguy, qui éclate déjà dans les dernières stances de Jeanne d'Arc ( ((Il fait nuit par le monde et sur toute souffrance>>), puis, dans De Jean Coste, est bientôt conforté par ce qu'il appelle la de l' Af­ faire.

Contestant le mythe du progrès (Reprise politique parlementaire, 1903), le polémiste rationalise ses décep­ tions politiques, apercevant dans toutes les entreprises humaines un ferment de décomposition qui, après l'élan. »

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