Pierre BOURDAN

Cette nuit-là, malgré l'air marin et la brume blanche qui s'accrochait au sol, nous avons reconnu la terre de France, à son odeur. Nous l'aurions sentie entre toutes, les yeux bandés. Car la terre de France se reconnaît à coup sûr à son odeur ; et plus encore, peut-être, quand on vient d'Angleterre, où la campagne lavée, peignée, lustrée, polie par la pluie et le vent, se dérobe à l'odorat, fuit de route en route et laisse, avec sa grâce ornée, le souvenir d'une présence insaisissable. Ici, la terre vous prend à bras-le-corps, vous entoure, vous empoigne de ses senteurs et de tout ce qui monte d'elle de robuste et d'émouvant. Pour qui voyage ailleurs que sur les routes où les relents d'essence et de caoutchouc étouffent ou brouillent toutes les pistes, il serait facile de délimiter toutes les provinces de France par leurs odeurs, d'en dresser la carte. Chacune a son parfum comme elle a sa couleur, son patois, les claies de ses charrettes, ses pierres, les nervures de ses églises. Mais au-dessus des odeurs diverses qui distinguent une terre, une ville de France d'une autre terre et d'une autre ville de France, il y a une odeur commune à toute la terre de France. C'est une odeur que l'on ne respire nulle part ailleurs. On y retrouve l'homme, l'animal, le travail ; il y entre de l'haleine des bêtes, de la fumée, de la terre retournée, des herbes sèches ; c'est une combinaison unique du sol et de l'effort.

Pierre BOURDAN.

QUESTIONS

1° Donnez un titre à ce passage: 2° Expliquez les expressions : une campagne lustrée; la terre vous prend à bras-le-corps; les relents d'essence et de caoutchouc; les nervures de ses églises. 3° a) Donnez la fonction des mots : senteurs (vous empoigne de ses senteurs) ; terre (de la terre retournée). b) Nature et fonction des propositions de la phrase : « Car la terre de France... insaisissable. « 4° A quel mode et à quel temps est conjugué le verbe sentir dans la deuxième phrase ? Justifiez : a) le mode ; b) le temps.