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Plaisir de l'aube: SIDO, Colette

Publié le 11/05/2010

Extrait du document

J'aimais tant l'aube, déjà, que ma mère me l'accordait en récompense. J'obtenais qu'elle m'éveillât à trois heures et demie, et je m'en allais, un panier vide à chaque bras, vers des terres maraîchères qui se réfugiaient dans le pli étroit de la rivière, vers les fraises, les cassis et les groseilles barbues. À trois heures et demie, tout dormait dans un bleu originel, humide et confus, et quand je descendais le chemin de sable, le brouillard retenu par son poids baignait d'abord mes jambes, puis mon petit torse bien fait, atteignait mes lèvres, mes oreilles et mes narines plus sensibles que tout le reste de mon corps... C'est sur ce chemin c'est à cette heure que je prenais conscience de mon prix, d'un état de grâce indicible et de ma connivence avec le premier souffle accouru, le premier oiseau, le soleil encore ovale, déformé par son éclosion... Ma mère me laissait partir, après m'avoir nommée « Beauté, Joyau-tout-en-or « ; elle regardait courir et décroître sur la pente son oeuvre, « chef-d'oeuvre «, disait-elle... Je revenais à la cloche de la première messe. Mais pas avant d'avoir mangé mon saoul, pas avant d'avoir, dans les bois, décrit un grand circuit de chien qui chasse seul, et goûté l'eau de deux sources perdues, que je révérais. L'une se haussait hors de la terre par une convulsion cristalline, une sorte de sanglot, et traçait elle-même son lit sableux. Elle se décourageait aussitôt née et replongeait sous la terre. L'autre source, presque invisible, froissait l'herbe comme un serpent, s'étalait secrète au centre d'un pré où des narcisses, fleuris en ronde, attestaient seuls sa présence. La première avait goût de feuille de chêne, la seconde de fer et de tige de jacinthe... Rien qu'à parler d'elles, je souhaite que leur saveur m'emplisse la bouche au moment de tout finir, et que j'emporte, avec moi, cette gorgée imaginaire. SIDO, Colette.

■ Présentation et situation du texte dans l'oeuvre d'ensemble  • Colette est femme; elle en a le bon sens et la solidité.  • C'est une campagnarde, amoureuse de la vie.  • Amour profond pour sa mère, Sido. C'est elle qui a fait comprendre à cette « Reine de la Terre « (ainsi Colette s'intitule-t-elle elle-même) tout ce qu'il faut voir, entendre, écouter dans la nature, « tout ce qui frémit et bruit «.  • Véritable surimpression entre sa mère et la Terre-mère.  • Enfance très libre en Bourgogne... celle d'une petite païenne qui goûte la nature sensoriellement, les cinq sens en effervescence.  • Reste très proche des éléments : côté instinctif, même animal des perceptions de l'enfant.

« • Elle est en osmose, en accord complet (« connivence ») avec elle, dès ses manifestations « premières » (adjectifvolontairement répété), dès l'apparition du « soleil », lui aussi en train de naître, de sortir de son oeuf en quelquesorte (« éclosion »), dont il a même alors la forme « ovale ».• Donc bonheur de vivre ressenti dans ses sources mêmes : « état de grâce indicible », de qualité rare. Deuxième partie : « Ma mère » (§ 3) • Pause qui est aussi un hymne à Sido. Préparation au bac 87• Mère qui comprend sa fille : « me laissait partir• Amour exceptionnel : trouvaille des qualificatifs débordant d'admiration passionnée pour son enfant.• C'est le créateur et sa créature, « son oeuvre ».• Montée admirative : « oeuvre », puis « chef-d'oeuvre » ; le premier terme est l'expression de Colette, le secondtrès fort, de Sido.• Le geste le plus caractéristique d'amour maternel est le bonheur de Sido dans la contemplation, le plus longtempspossible, de sa petite : « elle regardait courir et décroître...

».

Présentation presque cinématographique. Troisième partie : « Je revenais à la cloche...

cette gorgée imaginaire.

» (§ 4) • L'espèce de béatitude, de bonheur premier détaché des valeurs humaines, éprouvé à l'aller, Colette les complèteencore au retour, car elle « revient ».e Réactions d'un petit animal familier et indépendant à la fois, « chien qui chasse seul ».• Jouissance animale d'une faim (au réveil) assouvie : « avoir mangé mon saoul ».• Mais surtout ce quatrième paragraphe est celui, symbolique, des• sources perdues », celles des hommes trop frelatés par la civilisation, qui ont perdu leurs origines, leurs racines.• Ces sources sont aussi de véritables filets d'eau que seul un amoureux de la nature retrouve entre les couchesterreuses où ils disparaissent.• La petite fille leur rend un culte, comme les gréco-romains antiques qui révéraient les diverses forces naturelles.• Suit une exquise description des efforts des deux sources pour devenir ruisseau.

Elles sont présentées comme deshumains...

ou nymphes, avec des gestes d'êtres conscients : « se haussait hors », et surtout des sentiments : «convulsion », « sorte de sanglot », « se décourageait ».

La première est presque comme une enfant boudeuse quiaprès quelques efforts : « traçait elle-même », laisse tout aller à la dérive : « replongeait sous terre ».• Car chacune d'entre elles a son caractère : « L'autre source » est toute de discrétion, « presque invisible », «secrète ».

Elle n'ose qu'à peine déranger les herbages : « froissait l'herbe comme un serpent », donc avec de trèslégers attouchements.

Elle ne se révèle pas, elle est révélée par la végétation qui n'existerait pas sans elle : « desnarcisses...

attestaient seuls sa présence ».Explications orales / texte 1 43• La petite observatrice a bien remarqué comment pousse la touffe : « fleuris en ronde• Mais, comme plus tard Colette écrivain, Colette enfant est une gustative qui détecte les nuances subtilesdifférenciant les deux sources : goût de feuille de chêne » (pas n'importe quellefeuille !), goût « de fer et de tige de jacinthe » (pas n'importe quelle fleur !).

Seule une habituée et amoureuse de lanature peut être aussi experte.• Le rythme traduit l'animation joyeuse et une sensibilité double : celle qui fut la sienne enfant, celle de l'adulte, quila retrouve dans le souvenir.• Cette femme qui écrivait : la mort ne m'intéresse pas, lamienne non plus ”, évoque avec un parfait naturel une fin qui est naturelle, mais désire qu'à l'époque où elleretournera à la terre, la terre et ses sources reviennent à elle, « emplir [sa] bouche au moment de tout finir ›, enune « gorgée imaginaire ». D.

Conclusion • Page caractéristique de la sensibilité de Colette et de l'art qui en est la parfaite expression.• Intérêt passionné porté par l'auteur aux choses de la terre les plus humbles, et retour aux origines élémentaires.Véritable primitive.• Amour intense pour ce qui vit (comparaison avec d'autres livres de Colette) sans la moindre crainte pour la mort,épisode naturel.• Quintessence de l'âme féminine, mais aussi grande humaniste.• Elle a recherché et obtenu sagesse naturelle et équilibre selon la leçon de Sido, mère tant chérie.• Même attitude que Montaigne, que Sido lui avait fait connaître et aimer.• Opinion personnelle de l'élève interrogé.. »

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