Points de vue narratifs et polyphonie
Publié le 27/03/2015
Extrait du document
Dès Les Conquérants, l'univers de Malraux apparaît bien dans cette optique : entre les différents personnages, des conceptions opposées de la révolution s'expriment et, trait essentiel, aucune n'est caricaturée, chacune apparaît légitime de son point de vue. Telle est l'apport de Malraux : un univers romanesque fragmenté en une multiplicité de voix.
Un roman d'idées
«
E X P 0 S É S F C H E S
Il -LA POLYPHONIE
La multiplicité des voix
À la diversité des regards répond celle des voix.
Malraux est certainement un
proche héritier de Dostoïevski sur ce point.
Un critique russe, M.
Bakhtine, a mon
tré dans une étude célèbre,
La Poétique de Dostoïevski, que cet écrivain avait re
nouvelé l'art du roman en créant un type de personnages qui ne sont pas seulement
«objets de discours de l'auteur, mais sujets de leur propre discours immédiatement signifiant».
En d'autres termes, il a créé des personnages indépendants de leur
auteur,
des consciences libres, étrangères, voire hostiles à l'auteur lui-même.
Cela
a pour conséquence de briser
l'unité de l'univers romanesque, qui, au lieu d'être
simplement l'expression des« idées de l'auteur», devient un lieu conflictuel où
s'affrontent des visions différentes.
Bakhtine propose
d'appeler cet univers« poly
phonique».
Dès Les Conquérants, l'univers de Malraux apparaît bien dans cette optique :
entre les différents personnages, des conceptions opposées de la révolution s'expri
ment et, trait essentiel, aucune
n'est caricaturée, chacune apparaît légitime de son
point de vue.
Telle est l'apport de Malraux: un univers romanesque fragmenté en
une multiplicité de voix.
Un roman d'idées
Les romans les plus réussis sont ceux qui, tels La Condition Humaine, parvien
nent
à reproduire le modèle dostoïevskien : les personnages ne sont pas les repré
sentants abstraits des idées
qu'ils véhiculent, ils les vivent, les incarnent au sens
propre.
Malraux n'écrit pas de roman« à thèse» quand il échappe à l'intellectua
lisme et donne à ses personnages une consistance telle que leur existence ne peut
pas être dissociée de leurs idées.
C'est pourquoi, s'ils débattent beaucoup, ses per
sonnages ne sont pas des prête-noms pour des doctrines politiques et philoso
phiques.
Leurs paroles visent seulement
à déployer devant autrui leur point de vue.
L'enjeu du dialogue devient essentiel : y a-t-il entre ces univers fragmentés une
convergence possible ?
Dialogue et aphorismes
On comprend alors que le dialogue ne soit pas un élément destiné à faire avan cer l'action ou à développer un caractère, mais l'expression d'un fragment du
monde que chaque personnage porte en lui.
Le
« poids des mots » est ici une ex
pression à prendre au sérieux : nul n'y parle pour ne rien dire, sauf si ce bavardage
est
le signe, comme chez Clappique, d'une occultation des véritables questions.
Dans ce cadre, l'habitude
qu'ont les personnages de parler par aphorismes, qui
donnent parfois
à leurs discours un côté sentencieux, devient plus compréhensible.
La maxime bien frappée est une manière pour eux de donner forme
à leur monde.
Ils sont en quelque sorte les artistes de leur univers.
La force fulgurante de la for
mule réussie fait accéder
à un degré supérieur de réalité la vision que chacun porte
confusément en lui.
Comme l'éclair dans la nuit, elle illumine et rend visible.
Conclusion :
Points de vue et voix expriment dans leur fragmentation et
leur confrontation la diversité des visions du monde issues d'une humanité
précaire dans un univers chaotique.
LES ROMANS DE MALRAUX :::J]1J.
»
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