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Portée de « L’assommoir »

Publié le 22/01/2020

Extrait du document

Dans cet univers, ne se posaient donc pas, surtout entre 1851 et 1869, dates limites du roman, les problèmes de « la lutte du capital et du travail » dans les termes où ils se poseront dans Germinal. L’alcoolisme y faisait des ravages importants. Et Zola eut le courage de mettre l’accent sur un problème grave qu’on cachait surtout à gauche et qui était d’autant plus alarmant qu’il sévissait particulièrement parmi les ouvriers « aisés »; à Paris, par exemple, les plus gros buveurs étaient les boulangers, les bronziers, les métallos et les peintres.

Par ailleurs, c’est un fait, en ne lit guère les journaux dans le quartier de la Goutte-d’Or. On s’y moque de la politique, mais ce n’est pas totalement une erreur de Zola. Comme le dit Goujet, « le peuple se lassait de payer aux bourgeois les marrons qu’il tirait des cendres, en se brûlant les pattes5 février et juin étaient de fameuses leçons; aussi, désormais, les faubourgs laisseraient-ils la ville s’arranger comme elle l’entendrait » (p. 125). Le romancier a donc bien rendu l’état d’esprit des ouvriers parisiens-, après les journées de 1848, leur lassitude, leur scepticisme. Le coup d’état de décembre 1851 ne souleva que peu d’émotion à Paris; le mot prêté au député républicain Baudin1, rappelé par Coupeau entre autres, est, à cet égard, révélateur. Mais, si le roman débute en 1851, il se poursuit jusqu’en 1869. La première internationale a été fondée en 1864, son premier bureau français a été ouvert à Paris en 1865. Et Zola qui avait prévu, à l’instigation de Denis Poulot, de parler du « vaste mouvement des réunions publiques », ne l’a pas fait. Pourquoi ?

IMPORTANCE DU MILIEU

Il a choisi de peindre ce groupe limité et particulier d’abord parce qu’il le connaissait pour y avoir vécu. Par tempérament et par expérience personnelle, Zola a toujours été sensible aux inégalités sociales. L’assommoir vient après une longue

1. Un des députés de l’Assemblée législative de 1849 auxquels on reprochait de toucher 25 F (voir le roman, p. 125). Baudin tenta, sans grand succès, de soulever les ouvriers parisiens contre le coup d’état de Louis-Napoléon Bonaparte. Ï1 fut tué sur une barricade le 2 décembre 1851. On lui prête ce mot : « Vous allez voir, citoyens, comment on meurt pour 25 francs! »

« heureuse si son mari ne s'était pas mis à boire.

Travail et épargne l'auraient fait accéder à la propriété, solution qui résoudrait le problème social, mais qui est « réactionnaire sur le plan économique >>, et de plus utopique, objecte Jean Fréville : « Tous, à cause des conditions mêmes du marché, ne pourraient s'établir à leur compte, à supposer qu'on ferme les assommoirs et que les bricoliers deviennent des modèles de vertu 1• » Et Lepelletier de conclure ironique­ ment : « La seule leçon pratique à tirer du livre, c'est que l'ouvrier doit éviter de dégringoler d'un échafaudage 2• » Peut-on essayer de répondre à ces critiques? Jacques Rougerie, dans une récente étude, essaie de définir« le Parisien moyen insurgé en 187::: » : «Pas vraiment encore un prolétaire au sens moderne qu'on attribue à ce terme; les grandes fabriques (les usines) sQnt encore l'excep­ tion à Paris, où on en compte tout au plus quelques dizaines, et les statistiques dénombrent en moyenne quatre ouvriers pour un patron.

Plus tout à fait un artisan, puisque ont commencé, surtout avec l'Empire, à se développer certaines formes de travail i:p.oderne dans la métallurgie, le chemin de fer, la confection ( ...

).

Pour l'ouvrier parisien, l'adversaire de classe véritable, sauf rares exceptions, ce n'est pas son patron direct; celui-ci d'ailleurs sert volontiers dans la.

Garde nationale insurgée aux côtés de ceux qu'il emploie; il y a même fréquemment un commandement, parce qu'il est, lui aussi, bon cc patriote >>, républicain, victime du cc privi­ lège» et du cc monopole ».

C'est comme jadis l'épicier« acca­ pareur » de subsistances au temps du siège, le propriétaire, parasite qui extorque des loyers toujours plus exorbitants, « le marchand de religion '" le curé qui suborne femmes et enfants 3• » C'est bien là le monde de L'assommoir : ·des artisans, des boutiques, quelques fabriques dans la rue Marcadet et dans lesquelles commence à s'introduire la mécanisation (chap.

vr), la grande maison de rapport d'où monte au moment du terme une grande lamentation (chap.

x), un clergé très critiqué et qui expédie au rabais les cérémonies religieuses.

1.

Jean Fréville, p.

100.

2.

Edmond Lepelletier, p.

313.

3.

Nouvel Observateur, 15-21 mars 1971, «Les drapeaux de l'an II».

- 60 -. »

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