Portée morale de La Chute de Camus

l'ordre établi) plutôt que la vertu, au nom de laquelle on déclenche parfois des révolutions. Quand Ciamence veut traquer ceux qui ont « les apparences pour eux » (p. 41 ), c’est aux bourgeois qu’il fait allusion.

Au lieu de flatter les pauvres pour mieux les endormir, Ciamence a même eu l’idée, à une époque de sa vie, de les insulter. S’il hurlait « Sale pauvre » au pied des échafaudages (p. 97), c’était sans doute par provocation ; mais c’était aussi, comme le «Assommons les pauvres! »1 de Baudelaire, une manière de leur rendre leur dignité en les forçant à la révolte.

La sincérité

Tandis que la révolte sociale d’un déclassé risque d’être imputée à l’amertume d’un échec personnel, celle de Ciamence ne souffre aucun soupçon : c’est une fois parvenu au sommet de l’échelle sociale qu’il a jugé celle-ci dérisoire. De même, c’est au moment où il applique une forme de morale qui n’est pas négligeable (aider les aveugles dans la rue, agir en faveur des pauvres...) qu’il exige encore plus de lui-même : il craint en effet que sa conduite présente les apparences de la charité au lieu d’obéir à une charité authentique.

Sa morale rejoint ici celle de Montaigne. Celui-ci estimait en effet que, si on le louait pour des vertus qu’il ne possédait pas vraiment, l’éloge ne pouvait lui faire aucun plaisir, car on louait en réalité un autre que lui. « Il me plaît d’être moins loué, pourvu que je sois mieux connu », écrit-il dans les Essais (Livre lll, chap. 5).

La nostalgie de l’absolu

L’horreur des demi-mesures a fait basculer Ciamence d’un paradis suspect (celui de l'ordre et des valeurs bourgeoises) vers ce qu’il désigne lui-même comme l’enfer. Lamour du prochain n’est rien, à ses yeux, si on n’est pas capable de coucher sur le sol du moment où un ami est privé de sa chambre (p. 36). Comme il n’a pas la force de