Portrait de Jean-Jacques Rousseau
Publié le 14/02/2012
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Timon vient de lire Molière. Une noble indignation s'empare de lui. Il saute sur sa plume et déverse sur le papier le trop-plein de son coeur ... En vain je l'exhorte au calme : «Quoi? qu'avez-vous écrit? ... :. « Ce théâtre est une école de vices et de mauvaises moeurs? ... :. Médiocre est ma tendresse pour Poquelin; jamais, pourtant, mon emportement n'alla si loin. Mais il poursuit : « Pour multiplier ses plaisanteries, cet homme trouble tout l'ordre de la société... « - « De grâce, arrêtez, Timon ... Est-ce bien à vous de dénoncer les perturbateurs de cet ordre ? Médecin, guérissez-vous vous-même ... « Timon ne veut rien entendre; il prend maintenant à partie le Misanthrope. Il démontre brillamment...
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«
que de tous les hommes que j'ai connus en ma vie, aucun ne fut meilleur
que moi.~ II va plus loin en son fol orgueil : «Un Etat sensé aurait élevé
des
statues à l'auteur de l'Emile », écrit-il sérieusement à M.
de Malesherbes.
Pareilles affirmations ne tirent guère à conséquence, mais ce maniaque a
l'orgueil violent.
Quiconque· le pique ou le contrarie reçoit, en retour, les
plus grossières injures, les plus cruels sarcasmes.
Voltaire et les Encyclo
pédistes - la « coterie holbachique » - l'ont maintes fois éprouvé.
Il
revendique le droit exclusif de contr.edire sans être contredit, d'être dog
matique et pédant impunément, de jeter des défis au bon sens, à la société
sans en être repris.
Il s'enivre de cet orgueil d'être seul à penser· comme
lui : «Je me trouve seul au milieu de la multitude autant par· mes idées
que par mes sentiments.
» II est, il veut être « le Solitaire », promeneur
ou non ..
Il a.
répandu ce goût malsain de la solitude orgueiUeuse, dont
Chateaubriand sera l'un des plus célèbres héritiers, dont se targuera toute
une génération.
Après son jugement faux, son orgueil insensé, ce ·qui frappe le plus en
Timon, c'est le pas qu'il a laissé prendre en sa vie matérielle, morale et
intellectuelle à ces deux magnifiques et trompeuses puissances : la sen
sibilité et l'imagination.
« Sa sensibilité, disait .
David Hume qui le reçut
chez lui en Angleterre - l'imprudent! - l'a mis dans· l'état d'un homme
dépouillé de sa peau et- exposé, au vif, aux intempéries de l'air.»· Il est
doué de· sens délicats.
Il se rappelle, longtemps après, « les temps, les
lieux, les personnes, tous les objets environnants, la température de l'air,
son odeur, sa couleur ».
Cinquante ans après il se souvient de la maîtrise
d'Annecy, tout ce qu'on y répétait, tout ce qu'on chantait au chœur ...
il
garde une affection tendre pour ùn certain air du Conditor alme siderum
qui marche par· iambes, parce qu'un dimanche de l'Avent il entendit
chanter cette hymnè avant ·le jour sur le perron de la cathédrale, selon un
rite de cette église .•..
Il obéit à tontes les impulsions de ses sens et règle
sa conduite.
sur eux ! « Dominé par mes sens, avoue-t-il, quoique je puisse
faire, je n'ai jamais SU' résister .à leurs impressions>.
Je laisse, à chaque
instant,· mon ·sang s'allumer,; Ia colère et l'indignation s'emparer de mes
sen.s, ·je cède à la- nature cette première explosion que toutes mes forces
ne ·pourraient arrêter ni suspendre.
» Et cette même sensibilité qui déferle
en vagues tempêtueuses, qui jaillit ·à la manière des laves, explose comme
la pondre,_ se résout parfois en une'· sentimentalité morbide ou · puérile.
>«Né sensible et bon, portant la pitié jusqu'à la faiblesse; et me· sentant
exalter par tout ce qui tient à la générosité, je fus humain, bienfaisant
pâr goût, par passion même.
» Tant de sensibilité qu'il n'a pas voulu com
primer a comme atrophié chez Timon cette maîtresse pièce de l'âme : la
volonté.
Il se · reconnait «faible, facile.
à décourager, sortant du repos par
secousses, mais y rentrant par goût...
Dès que mon devoir et mon cœur
étaient· en contradiction, le premier eut rarement la victoire.~ De là son
impuissance à conduire par ordre ses idées, à accomplir- une tâche qui 1 lui répugne,· à mener à bien une œuvre de longue haleine.
De là encore
cette· ~dmiration sincère, passionnée, mais aussi alanguie et paresseuse
de la nature, extase de :fakir, délire à demi sauvage, dont on ne sait au
juste s'il faut la louer' où· la blâmer ...
La sensiblerie de Timon lui survivra :.
»
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