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Publius Ovidius Naso, dit Ovide : LES MÉTAMORPHOSES - Livre III

Publié le 22/02/2012

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Tirésias, dont la célébrité s'était répandue à travers les villes d'Aonie, donnait au peuple qui le consultait des réponses infaillibles. La première qui fit l'expérience de sa véracité et vit se confirmer ses dires fut Liriopé, la nymphe azurée, que jadis le Céphise enlaça dans les replis de son cours et qu'une fois prisonnière de ses eaux, il violenta. Merveilleusement belle, elle devint grosse et mit au monde un enfant capable, dès sa naissance, d'être aimé des nymphes, et lui donne le nom de Narcisse. Consulté à son sujet, ­ l'enfant verrait-il des longues années d'une vieillesse prolongée ? ­ "Oui, s'il ne se connaît pas," dit le devin interprète du destin. Longtemps la parole du prophète parut dénuée de sens. Elle fut justifiée par la façon dont tournèrent les choses, par la manière dont mourut Narcisse et l'étrangeté de sa folie. Car le fils du Céphise avait à trois lustres ajouté une année, et il pouvait sembler un enfant aussi bien qu'un jeune homme.
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« puisque depuis tant de siècles se prolonge votre existence, qu'au cours de cette longue durée vous vous rappeliezavoir langui comme moi ? Je suis séduit, je vois, mais ce que je vois et qui me séduit, je ne puis le saisir ; si grandeest l'erreur qui m'abuse dans mon amour.

Et, pour ajouter encore à ma douleur, ni l'immensité de la mer ne noussépare, ni une longue route, ni des montagnes, ni des murailles aux portes closes : une mince couche d'eau est toutce qui empêche notre union.

Il aspire lui-même à mon étreinte ; car, chaque fois que j'ai tendu les lèvres à cesondes limpides, lui, chaque fois, de sa bouche renversée, il a cherché à atteindre la mienne.

On croirait qu'on peut letoucher, bien faible est l'obstacle entre nos ardeurs.

Qui que tu sois, sors, viens ! Pourquoi, enfant sans pareil, tejoues-tu de moi ? Quand je te cherche, quelle est ta retraite ? Certes, je ne suis ni d'un air ni d'un âge à te faire fuir! Des nymphes m'ont aimé, moi aussi.

Sur ton visage chéri tu me laisses lire je ne sais quel espoir, et, quand je tetends les bras, tu me les tends de ton côté ; à mon sourire répond ton sourire, et souvent aussi j'ai vu couler teslarmes quand j'en versais ; d'un signe de tête tu réponds aussi à mes signes ; et, autant que je le devine aumouvement de ta bouche charmante, tu me renvoies des mots qui n'arrivent pas à mes oreilles ! Tu n'es autre quemoi-même, je l'ai compris ; je ne suis plus dupe de ma propre image.

C'est pour moi que je brûle d'amour, et cetteardeur, je la provoque à la fois et la ressens.

Que faire ? Être sollicité ou solliciteur ? Et que solliciter désormais ? Ceque je désire, je le porte en moi-même, mon dénuement est venu de ma richesse.

Oh ! si je pouvais me dissocier demon propre corps ! Souhait insolite chez un amant, ce que j'aime, je voudrais en être séparé.

Et voici que la douleurm'enlève mes forces ; il ne me reste plus longtemps à vivre et je m'éteins à la fleur de mon âge.

Mais mourir nem'est pas à charge, puisqu'en mourant je déposerai le fardeau de ma douleur.

Pour celui qui est l'objet de matendresse, j'aurais souhaité une plus longue vie.

Maintenant, tous deux, unis de cOeur, nous exhalerons ensemblenotre dernier souffle."Il dit, et, insensé, revint encore à sa contemplation.

Mais ses larmes troublèrent les eaux et, dans l'étang agité,l'image devint indistincte.

Quand il la vit s'évanouir : "Où te réfugies-tu ? Reste encore et ne m'abandonne pas,cruel, moi qui t'aime !" s'écria-t-il.

"Ce que je ne puis toucher, qu'il me soit permis d'en repaître mes yeux, et d'ennourrir ma misérable folie !" Et, tout en se lamentant, il écarta, depuis le haut, son vêtement et frappa son sein nude la paume de ses mains de marbre.

Sous les coups, sa poitrine se teinta de rose, tout de même que font les fruitsqui, en partie blancs, rosissent en partie, ou comme, sur les grappes tavelées, le grain, encore vert, se colore depourpre.

Quand il le vit dans l'eau redevenue limpide, il n'en put supporter davantage ; mais, comme on voit fondrela cire blonde à la douce chaleur de la flamme ou la rosée matinale à la tiédeur du soleil, ainsi, épuisé par l'amour, ildépérit et peu à peu un feu secret le consume.

Maintenant, son teint n'offre plus sa blancheur mêlée d'incarnat.

Il aperdu sa vigueur et ses forces, et tout ce qui naguère en lui séduisait les yeux ; rien ne reste de ce corps qu'avaitjadis aimé Écho.

A ce spectacle, bien que son ressentiment n'eût rien oublié, la nymphe fut pénétrée de douleur, ettous les "Hélas !" qu'avait poussés le malheureux enfant, elle les redoublait d'"Hélas !" que répétait sa voix.

Et,quand il avait de ses mains frappé ses bras, elle renvoyait à son tour fidèlement le son des coups.

La dernière parolede Narcisse, les yeux plongés dans cette eau devenue familière, fut : "Hélas ! enfant chéri, mon vain amour !" et lesite en renvoya tous les mots.

Et, quand il dit : "Adieu !" "Adieu !" dit aussi Écho.

Puis il posa sa tête fatiguée surl'herbe verte, et la nuit ferma ces yeux emplis d'admiration pour la beauté de leur maître.

Et, même quand il eut étéreçu dans l'infernal séjour, il se contemplait encore dans l'eau du Styx.

Ses sOeurs les Naïades firent retentir leurspleurs et déposèrent sur la tombe de leur frère leurs cheveux coupés.

Les Dryades le pleurèrent aussi.

Le son de cespleurs est redoublé par Écho.

Et déjà elles préparaient le bûcher, les torches que l'on secoue, la civière ; mais lecorps avait disparu.

A sa place, elles trouvent une fleur jaune safran dont le cOeur est entouré de feuilles blanches.. »

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