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Qu'est-ce qu’un héros?

Publié le 07/10/2018

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Le héros véritable est donc exemplaire au sens où l'on peut s’identifier à lui. C’est sa dimension « projectionnelle » (Greimas). Il n’est pas forcément un exemplum, un modèle de comportement, toujours digne d’admiration. Quand Aristote écrit qu’Homère a fait d’Achille « un exemple de dureté », ce n’est pas pour nous inviter à imiter cette inhumanité, mais plutôt pour suggérer son universalité. Les choses se compliquent dès lors un peu puisque ce « héros idéologique », comme l’appelle V. Jouve, peut à la rigueur n’être pas central. Lévine dans Anna Karénine, ou Philinthe dans Le Misanthrope sont de ces « héros convexes non protagonistes » (V. Jouve). Corneille notait déjà dans un commentaire sur sa pièce La Mort de Pompée (1642) qu’il y avait « quelque chose d’extraordinaire dans le titre de ce poème, qui porte le nom d’un héros qui n’y parle pas ». Et qui est le véritable héros du Père Goriot ? Le personnage éponyme, qui finit en paria ? ou Rastignac, type même de l’ambitieux prêt à tout ?
 
2. Héros convexe, héros concave
 
Si tous les héros sont loin d’être des modèles, dignes d’être loués ou imités, ils n’en seraient donc pas moins toujours exemplaires au sens faiblev: en tant qu’ils représentent des attitudes communes. Telle est la thèse de Vincent Jouve. Prenant acte de l’invention par le réalisme de héros non héroïques, voire d’anti-héros, le théoricien n’en croit pas moins possible de sauver cette notion d’exemplarité comme une caractéristique toujours pertinente, un « trait permanent » du héros. C’est la fonction de cette distinction, un peu jargonnante mais bien utile, entre les personnages convexes et concaves: convexes, i. e. « à la conduite exemplaire » ; « concaves », c’est-à-dire, au contraire, « loin d’être exemplaires ». « Emma Bovary, poursuit V. Jouve, Frédéric Moreau ou Molloy n’ont par leur attitude rien de glorieux, ils sont néanmoins les protagonistes d’un itinéraire qui, lui, est souvent édifiant », en quoi ils demeurent exemplaires, « au sens second (en tant que \"sujets d’une histoire qui doit servir d’avertissement ou de leçon\") ». On songe à Mauriac: « Aussi vivant [sic] que ces héros [du roman en général] nous apparaissent, ils ont toujours une signification, leur destinée comporte une leçon, une morale s’en dégage ».~Le critère d’identification du héros n’est plus très loin ici d’être d’ordre didactique.
 
L’intérêt de la thèse de V. Jouve est dans son ambition synthétique. Elle permet en effet d’intégrer la subversion réaliste du modèle héroïque, ce « crépuscule des dieux » (Pierre Glaudes et Yves Reuter, Le Personnage, 1998). « Je me compare toujours à un modèle parfait, et qui ne peut exister », déclare Fabrice del Dongo. Ph. Hamon, avant tout spécialiste de Zola, a méthodiquement analysé cet effort des naturalistes pour se situer dans la « moyenne des événements humains » (Maupassant), le choix des romanciers se portant vers des individus que rien ne distingue parce qu’ils sont représentatifs. Leur caractérisation s’opère, comme l’observe Jakobson, par la sélection de «

L’un des avantages d’une telle définition, émotionnelle et, pour ainsi dire, phénoménologique du héros (dans la mesure où elle le définit en fonction de la vie mentale du lecteur), est d’établir, contrairement aux modèles précédents (épique et idéologique), la déconnexion de l’éthique et de l’esthétique (déjà soulignée par Kierkegaard). Malgré ce que laisse croire une conception naïve du héros, celui-ci n’est en rien comptable de la morale commune. Lorenzaccio, Hernani, Ruy Blas... : les romantiques ont inventé des héros qui mêlent en
 
eux le bien et le mal - tel est même le fondement de leur esthétique. Lancelot, épris de la reine Guenièvre, était-il donc un modèle de vertu? Et le propre des héros tragiques n’est-il pas de se laisser emporter par des passions funestes, de se livrer, depuis les Atrides, aux plus noirs forfaits?
 
Pour Tomachevski c’est là un point capital: « Ce n’est que dans les formes primitives » que « le rapport émotionnel envers le héros coïncide obligatoirement avec le code traditionnel de la morale et de la vie
 
sociale » ; et c’est l’erreur des « critiques des années 1860 » que d’avoir « apprécié les héros du point de vue de l’utilité sociale de leur caractère et de leur idéologie ». « Ainsi, ajoute Hamon, hiérarchie morale ne s’identifie pas nécessairement à hiérarchie fonctionnelle (narrative) : les \"bons\", les personnages \"sympathiques\" » ne sont pas forcément les héros. Et Mauriac de confesser sa faiblesse pour « le héros [misérable] du Nœud de vipères ou l’empoisonneuse Thérèse Desqueyroux, aussi horribles qu’ils apparaissent », et corollairement, son « antipathie à l’égard des personnages les plus dignes d’être aimés ». Toute La Comédie humaine repose sur cette dissociation de l’éthique et de l’esthétique, les héros les plus fascinants - du Marsais, Maxime de Trailles, Rastignac, Vautrin... - étant aussi les plus cyniques.



« I.

Un personnage exceptionnel? 1.

Héros et héroïsme Historiquement et étymologiquement, la notion de héros vient de la culture et de la langue grecques.

On affirme couramment que le héros, pour les Grecs, est un demi-dieu, issu d'une divinité et d'un être humain, à l'instar d'Héraklès (qualifié de hérôs theos par Pindare), Achille – fils d'une déesse, Thétis, et d'un mortel, Pélée – ou Enée, fils d'Aphrodite et du bouvier Anchise.

Mais c'est loin d'être le cas de tous les héros de la guerre de Troie.

En grec, le sens premier du mot héros n'est pas théologique mais sociologique: ceux qu'Homère qualifie ainsi, ce sont les chefs militaires, les généraux à la tête de l'armée, tel Agamemnon – autant de rois et de princes.

Par suite, l'Odyssée appelle « héros » tout homme qui se distingue par son courage au combat ou par quelque talent. Cela étant, la référence à ces personnages mythologiques n'est pas forcément éclairante pour la définition du héros en littérature.

En effet, Achille, Hector ou Enée, parce qu'ils appartiennent aux croyances collectives, sont des héros inconditionnels.

Héros a priori, pour ainsi dire, ils le demeurent dans tout contexte, même quand ils sont tournés en dérision sur le mode burlesque (Scarron, Le Virgile travesti). C'est au sens où ses épistolières écrivent à des héros consacrés (Pénélope à Ulysse, Phèdre à Hippolyte, Ariane à Thésée, Médée à Jason ...

) qu'Ovide a pu intituler Héroïdes l'un de ses recueils poétiques.

De même, les héros que la tragédie met en scène sont généralement des figures légendaires, tirées de la mythologie.

Quel que soit leur rôle dans l'action et quoi qu'ils fassent, Ajax (chez Sophocle), Médée, Hippolyte, Andromaque ou Hélène (chez Euripide) sont des héros et des héroïnes parce que la tradition les a désignés comme tels, indépendamment de toute transposition littéraire.

A cet égard, leur statut héroïque n'est donc pas problématique. Si elle emprunte donc ses personnages à l'imaginaire national, l'épopée, « poème héroïque » par excellence, n'en fixe pas moins le type littéraire du héros, au sens le plus noble du terme.

Une idéologie aristocratique, élitiste et guerrière, fonde ici une topique où le héros se distingue tout à la fois par sa naissance, sa force physique, sa vaillance au combat et sa capacité à affronter victorieusement les épreuves.

Encore ses exploits, aussi éclatants soient-ils, ne suffisent-ils peut-être pas à reconnaître un héros comme tel.

Pour être héroïque, il faut être capable de dépassement de soi: l'abnégation, le sacrifice de son propre bonheur au salut commun, voilà des qualités indispensables.

Critère décisif, le héros épique ne craint pas la mort, pourvu qu'elle soit glorieuse et qu'elle lui confère une sorte d'immortalité, dans la mémoire des hommes.

Supérieur au commun des mortels, il appelle alors un traitement sublime. Ce type du héros proprement héroïque n'est pas réservé à l'épopée ou à la tragédie (celles de Corneille notamment). Comme le montre Bakhtine (Esthétique et théorie du roman), tout un pan du genre romanesque est fondé sur « l'idée de l'épreuve du héros », qui lui est « essentielle ».

C'est « 2. »

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