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RABELAIS OU DE LA CRÉATION DANS L'OEUVRE RABELAISIENNE

Publié le 02/09/2013

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rabelais

 

RABELAIS, un auteur facile. Et sans mystères, du moins pour un lecteur instruit aux bonnes lettres, nourri de latin et plus encore de grec, féru de mythologie et d'histoires anciennes : bref, parfait humaniste à la façon dont on l'était en France, entre 186o et 1880. Verve entraînante et intarissable; langue dont la richesse n'a pas fini d'émerveiller nos philologues; style d'un rythme, d'une ampleur, d'une harmonie surprenants pour le temps. Et quant au reste : goût français du bon vin pinaud qui se boit avec des châtaignes et des noix; goût non moins français d'une gau­driole sans perversité, alternant avec la prud'homie sentencieuse d'une sagesse rustique, amour terrien de la paix, sens de l'ordre, respect d'un pouvoir fort, mais seulement s'il est juste (relisez les pages admirables du Tiers Livre sur la façon de gagner les peuples nouvellement conquis). Pour philosophie enfin, un platonisme largement étoffé couvrant de son manteau des états d'es­prit assez simples, exempts de fanatisme et de partisanerie. Bref, exactement ce qu'il faut pour plaire aux humanistes dont nous parlions à l'instant : gens de cabinet, mais intrépides navigateurs en pensée, sobres et continents en fait, mais grands buveurs et paillards en paroles; toujours prêts à soupçonner le pire pour qu'on ne les taxe pas de naïveté; se défendant enfin de mettre leur pensée en forme, mais prolongeant volontiers celle des autres au-delà de ses limites voulues : voilà Rabelais — et vous voyez bien qu'il est facile et sans mystères «...

 

A le prendre tout fait, peut-être. Mais pourquoi, mais comment s'est-il fait?

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« d'alambic, «tout diapré, pullulant, purpuré, à pompettes, tout émaillé et boutonné» - sachons que ce sera uniquement pour complaire à Abel Lefranc, qui tient pour un Rabelais à nez cyranéen.

Au fond, il n'en sait guère plus que nous sur le chapitre de cet appendice.

Et c'est gênant.

Parler d'un inconnu, gageure.

Mais, dans sa biographie, que de trous? Enfance, jeunesse, entrée au couvent : rien, nous ne savons rien.

C'est brusquement en 1521 qne nous saisissons sa piste.

Il est cordelier au couvent de Fontenay-le-Comte, en Poitou.

Il étudie le grec avec une ferveur sacrée - et il adresse à Guil­ laume Budé, prince des hellénistes, une lettre qui n'a vraiment rien à voir avec sa légende, 1521.

Or, né en 1483, Rabelais aurait alors trente-huit ans; né en i490, trente et un - et né seulement en 1494, vingt-sept.

Ne rien savoir d'utile sur les vingt-sept, sinon les trente-huit premières années de la vie d'un écrivain -c'est peu! L'énigme en particulier reste entière, de son entrée en religion.

Vocation libre ou contrainte d'ordre familial? On l'avait, au baptême, nommé François - et certes, tous les François ne deviennent pas franciscains, mais quelques-uns le sont, que leur nom semble vouer par avance au Poverello? Si peu que nous sachions de Luther, ce contempo­ rain de Rabelais, nous possédons sur son entrée et sa vie au couvent des données qui nous seraient bien utiles pour comprendre l'esprit du créateur de Pantagruel.

Quelques lueurs cependant.

Peu après 1521, frère François quitte son ordre, mais non les ordres.

On le fait bénédictin au couvent de Maillezais, en Vendée - et il entre dans la familia­ rité de l'évêque du lieu.

On croit tenir son Rabelais : jeune religieux d'esprit vif, grand liseur de beaux textes antiques et voué à une sorte de secrétariat qui le conduira, plus tard, à un bénéfice? Point.

Ce Rabelais s'évanouit, et c'est seulement en 1530, à Montpellier, que nous le retrouvons, inscrit cette fois à la Faculté de Médecine.

Au printemps de 1532, il est à Lyon; il y publie chez Gryphe de savants opuscules, se fait nommer au concours médecin de l'Hôtel-Dieu, et un beau jour d'automne, chez Claude Nourry dit le Prince, éditeur populaire d'almanachs et de romans de chevalerie - il publie le Pantagruel.

Ainsi, voilà un homme qui, d'un coup, crée quelque chose comme le roman d'observation.

Un homme qui, d'un seul coup également, crée la prose française moderne, et manie avec une surprenante maîtrise l'un des plus admirables instruments d'expression dont ait jamais disposé un écrivain français.

D'où sort cela? Pas des cordeliers, bien sûr : dans leurs plates-bandes se récoltaient peut-être des choux et de pauvres salades à demi sauvages; assurément on n'y culti­ vait ni la prose française, ni l'art du conteur.

Et je veux bien qu'un cordelier, voué à fréquenter les simples et les bonnes gens, ait pu se rendre attentif, tout grécisant et latinisant qu'il fût, aux besoins de ceux qui « ne savaient pas décliner Rosa, la rose » : cette remarque ne nous en dit pas long sur la genèse du génie rabelaisien-Alors? Le don, j'entends bien; le génie naturel; l'opium qui fait dormir ...

Mieux vaudrait encore, parlant de ce siècle, évoquer l'aura, le souffle qu'un homme bien doué, en ces années d'exaltation, devait sentir passer sans cesse sur son visage ...

Ne continuons pas à dérouler le film plein de trous, de fuites et de réapparitions que repré­ sente la vie mouvante de François Rabelais.

Voyages à Rome et en Italie dans les bagages d'un illustre prélat, Jean du Bellay, cousin du poète Joachim.

Séjours à Lyon, et sans doute à Paris, dans de vivants milieux d'éditeurs et d'humanistes.

Retour à Montpellier où, en avril-mai 1537, il passe solennellement sa licence et son doctorat en médecine : l'absence de ces grades ne l'avait point empêché du reste d'exercer.

Quelques épisodes : un stage à Saint-Maur, capitale bénédic­ tine; un séjour en Piémont, auprès du frère de Jean du Bellay, Guillaume, un des grands servi­ teurs de la France du temps, une mission à Metz, en I 546, où il fait œuvre d'agent secret, tout en remplissant les fonctions de médecin municipal; un dernier voyage à Rome, enfin, en 1548.

Il meurt à Paris, entre la fin de 1553 et le 1er mai 1554.

C'est tout.

Et c'est beaucoup, si l'on songe au néant du temps où Michelet, par un prodige de divination, campait dans sa Renaissance un Rabelais étonnamment «juste », tiré d'une poignée de faits rigoureusement « faux »; mais au prix de nos désirs, comme ce beaucoup est peu!. »

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