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Rastignac, une année d'initiation («Eugène de Rastignac... bachelier en Droit», pp. 56-57) - Le père Goriot de Balzac

Publié le 17/01/2022

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Eugène de Rastignac était revenu dans une disposition d'esprit que doivent avoir connue les jeunes gens supérieurs, ou ceux auxquels une position difficile communique momentanément les qualités des hommes d'élite. Pendant sa première année de séjour à Paris, le peu de travail que veulent les premiers grades à prendre dans la Faculté l'avait laissé libre de goûter les délices visibles du Paris matériel. Un étudiant n'a pas trop de temps s'il veut connaître le répertoire de chaque théâtre, étudier les issues du labyrinthe parisien, savoir les usages, apprendre la langue et s'habituer aux plaisirs particuliers de la capitale ; fouiller les bons et les mauvais endroits, suivre les cours qui amusent, inventorier les richesses des musées. Un étudiant se passionne alors pour des niaiseries qui lui paraissent grandioses. Il a son grand homme, un professeur du Collège de France, payé pour se tenir à la hauteur de son auditoire. Il rehausse sa cravate et se pose pour la femme des premières galeries de l'Opéra-Comique. Dans ces initiations successives, il se dépouille de son aubier, agrandit l'horizon de sa vie, et finit par concevoir la superposition des couches humaines qui composent la société. S'il a commencé par admirer les voitures au défilé des Champs-Elysées par un beau soleil, il arrive bientôt à les envier. Eugène avait subi cet apprentissage à son insu, quand il partit en vacances, après avoir été reçu bachelier ès Lettres et bachelier en Droit. [La partie commentée s'arrête ici ; la suite est proposée pour une réflexion personnelle.] Ses illusions d'enfance, ses idées de province avaient disparu. Son intelligence modifiée, son ambition exaltée lui firent voir juste au milieu du manoir paternel, au sein de la famille. Son père, sa mère, ses deux frères, ses deux soeurs, et une tante dont la fortune consistait en pensions, vivaient sur la petite terre de Rastignac. Ce domaine d'un revenu d'environ trois mille francs était soumis à l'incertitude qui régit le produit tout industriel de la vigne, et néanmoins il fallait en extraire chaque année douze cents francs pour lui. L'aspect de cette constante détresse qui lui était généreusement cachée, la comparaison qu'il fut forcé d'établir entre ses soeurs, qui lui semblaient si belles dans son enfance, et les femmes de Paris, qui lui avaient réalisé le type d'une beauté rêvée, l'avenir incertain de cette nombreuse famille qui reposait sur lui, la parcimonieuse attention avec laquelle il vit serrer les plus minces productions, la boisson faite pour sa famille avec les marcs de pressoir, enfin une foule de circonstances inutiles à consigner ici, décuplèrent son désir de parvenir et lui donnèrent soif des distinctions.

« D'emblée, Rastignac est présenté comme un garçon hors du commun, un étudiant aux capacités exceptionnelles : ilappartient à la classe des «jeunes gens supérieurs», il a «les qualités des hommes d'élite», avec une réserve,«momentanément». La sphère de ses intérêts n'est pas d'un intellectuel : d'abord il prend ses distances par rapport au savoiruniversitaire, persuadé du «peu de travail que veulent les premiers grades à prendre dans la Faculté».

Il se rend libreainsi d'ouvrir les yeux sur la réalité vraie, celle du monde, cela en une formule où chaque terme dit la prédominancedes sens : «goûter les délices visibles du Paris matériel», la capitale étant perçue comme un mets délectable offertà la dégustation, notion prépondérante de plaisir et d'attachement au concret.Le dynamisme de l'apprentissage L'écriture suit le mouvement de cet apprentissage : vivacité de la phrase, choix des verbes et des substantifsévoquant les domaines auxquels le héros rêve d'accéder. Le rythme de la phrase.

Le jeune homme va faire preuve d'un tempérament de découvreur, exprimé dans la vivacitéde la phrase : une série d'infinitifs juxtaposés, des segments brefs dont chacun marque une étape dansl'appropriation de Paris, une tentative conquérante dans les détours du labyrinthe : Un étudiant n'a pas trop de temps s'il veut connaître le répertoire de chaque théâtre, étudier les issues dulabyrinthe parisien, savoir les usages, apprendre la.

langue, et s'habituer aux plaisirs particuliers de la capitale ;fouiller les bons et les mauvais endroits, suivre les cours qui amusent, inventorier les richesses des musées. Les verbes.

En outre, l'élément dominant est chaque fois le verbe, tous verbes dynamiques appartenant au registrede la connaissance, de l'appétit intellectuel, de l'exploration mentale : «connaître...

étudier...

savoir...

apprendre...fouiller...

inventorier».

Cette succession dit l'impatience enthousiaste de l'étudiant, avide de savoir et qui «n'a pastrop de temps s'il veut...» Or Rastignac veut tout. Les substantifs.

Le champ de ces découvertes est inscrit dans les substantifs, que l'on peut classer sous deuxrubriques : - La rubrique culture comporte «le répertoire de chaque théâtre...

les richesses des musées...

les cours quiamusent...

un professeur au collège de France».

Toutes ces découvertes sont d'autant plus excitantes que lacapitale est ressentie comme un pays complexe, offrant matière à l'investigation intellectuelle, encore à travers lessubstantifs : il s'agit «d'étudier les issues du labyrinthe parisien, savoir les usages, apprendre la langue», un paysmystérieux, presque étranger pour un provincial, qui a sa topographie sinueuse, un «labyrinthe», ses mœurs propres,ses us et coutumes, les «usages», enfin son idiome.

Cette passion de comprendre a dû être celle du jeune Balzacdébarquant de Tours dans la capitale. - La rubrique plaisir, relations, vie sociale réunit «les issues du labyrinthe parisien...

les usages, la langue...

plaisirsparticuliers de la capitale...

les bons et les mauvais endroits...

la femme des premières galeries de l'Opéra-Comique».Les révélations sont de l'ordre du cœur et des sens.

Les satisfactions de l'amour ne sont qu'entrevues, ardemmentsouhaitées, mais inaccessibles encore : la femme est désirée, mais à distance dans «les premières galeries». Les effets de l'apprentissage Ces effets, qui marquent l'aboutissement de l'initiation, se résument en trois verbes «concevoir...

admirer...

envier». Concevoir dit une opération de l'ordre de l'intelligence : l'étudiant «finit par concevoir la superposition des coucheshumaines qui composent la société».

Il a compris l'essentiel : la société se subdivise en classes, qui sont fortinégales par leur position. Admirer relève de l'affectivité : «admirer les voitures au défilé des Champs-Elysées par un beau soleil» ; le verbetraduit l'éblouissement du jeune homme à pied devant le symbole visible et éclatant de l'élégance et du luxe, lasplendeur des équipage. Envier appartient au registre du désir, «il arrive bientôt à les envier».

Rastignac n'est pas un intellectuel qui secontente d'analyser, ni un apprenti romancier qui observe pour raconter ; ce qu'il veut surtout, c'est conquérir,posséder.

Il passe très vite de la connaissance au désir d'appropriation.

Puis du désir à l'acte, en s'introduisant chezmadame de Beauséant. (conclusion) Ce portrait tranche sur les précédents.

Le personnage est jeune.

On le saisit dans le mouvement de sonapprentissage. Un portrait en action.

Du point de vue de la technique narrative, ce texte nous offre, non pas l'état statique d'uneconscience à un moment donné, mais le récit d'un itinéraire intérieur d'une année.

Un éclairage rétrospectif estporté sur le personnage, procédé habituel dans les pages d'exposition, où le narrateur fait le point sur le passé. »

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