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Régnier annonce à Rapin qu'il va composer une satire contre Malherbe et son école

Publié le 09/02/2012

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malherbe

Monsieur,

N'était la chaude sympathie que vous m'avez daigné témoigner en mainte occurrence, je n'oserais troubler votre docte labeur; ni vous soumettre un mien projet, s'il ne visait l'honneur des lettres françaises, à quoi vous avez voué votre précieuse vie. Après tant d'autres, je recours donc à vos lumières et sollicite votre approbation, vous tenant pour l'arbitre universel et le suprême juge ès matières de goût et poésie. Gardien des pures traditions. vous avez toujours, en vos savants ouvrages, professé un respect si profond ...

malherbe

« grincheux et ses écoliers manifestent de détrôner à la fois et les écrivains de l'antiquité- ces maîtres éternels du goût- et ceux qui, le siècle dernier, sous leur patronage et conduite, firent briller notre langue d'un éclat sans précédent.

C'est, semble-t-il, un article de leur Credo nouvel, de mépriser, de dénigrer ce que nous vénérons.

Pindare, à les en croire, aurait versé dans -le galimatias,· et toutes les muses grégeoises ensemble ne vaudraient celle de ce pédant.

Sans doute, ils montrent un tantinet plus de respect à l'endroit des Latins, mais leurs préférences mêmes sont une injure pour les plus grands.

M.

de Malherbe n'a-t-il pas déclaré sans sourciller que sa faveur alloit à Stace, l'auteur de la Thébaïde! Pour nous qui, naïvement, plaçons dessus tout le divin Virgile, nous trouvons là matière à étonnement.

Les modernes ne sont pas davantage épargnés que l' «antiquaille».

Ronsard, aux yeux de ce vieil oison, n'est qu'un apprentif; la plume de son contempteur s'acharne sur ses plus belles inventions et en a déjà biffé, m'a-t-on rapporté, plus que la moitié, Desportes, prétend-il, manque de clarté; du Bellay, trop facile, n'a point, paraît-il, assez ahané sur son vers; Belleau ignore le parler de la ville ou emploie des mots bouffis de prétention.

Bref, c'est un décri et massacre général.

Et que nous offrent çes démolisseurs pour remplacer ce qu'ils ont juré de détruire? Quel poème admirable a suscité la mode qu'ils se targuent de nous imp9ser? Je cherche encore, mais vainement, Aussi les mettrai-je en demeure de prouver par leurs œuvres la précellence de leur~ théories.

Le résultat n'est pas douteux.

Veufs d'inspiration, d'enthousiasme, incapables de s'~lever, ils sont condamnés à patauger dans la médiocrité.

Du moip.s, s'ils n'ont d'ailes assez robustes pour les porter devers l'Empyrée, que ces oiseaux de basse­ cour ne rognent celles d'autrui! Avec Mn• de Gournay je les compare volon­ tiers à ce renard qui, ayant la queue coup~e, conseilloit à ses compagnons qu'ils s'en fissent faire autant; ou à l'homme qui n'ayant d(l montur(l voulait que chacun allât à pied.

Pour mqi, je n'obtempérerai aux ordres de ces plats rimeurs; je ne ramperoy avec eux; j'entends user du droit de m'élancer d'un libre voilà où me hausse mon génie, à l'instar de la gente et fantasque aron­ delle, sinon en la manière de l'aigle, Ils me reprocheront, COIJlme devant, mes nonchalances~ et moi je dénon­ cerai leurs artifiçes, en quoi ils font consister toute la poétique beauté, Ce pauvre regratteur de mots qu'est Malherbe n'use pas moins ~ cela m'a été dit- d'une demi-rame de papier pour fabriquer une stance; et il triompne quand, après avoir sué sang et eau; il peut enfin lire à ses admirateurs pa­ tentés deux ou trois strophes, en vérité agréables l l'QreUie, vierges d'hiatus, d'enjambements et de rimes faibles, mais sans originalité, vides et boursou­ flées.

Beau sujet de s'enorgueillir qu'une prose sagement rimée! Dans cette chasse aux irrégularités, le venem,· a tué les moineaux et a manqué le vrai gibier : la pensée poétique.

Ah 1 combien je préfère à ses étroites conven­ tions, carcan· qu'il rêve d'imposer à qu~ écrit de verve, la grâce abondante, le doux nonchaloir! J'essayerai de le leur dire en vers, après vous l'avoir confié en prose.

Si encore ils nous laisso~ent franches coudées es langage! Mais non, ils s'opposent de toutes leurs forces à la tentative d'enriçhissem.ent dont se glo­ rifiait la Pléiade.

Impitoyables, ils bannissent les vieux mots auxquels nous voudrions rendre droit de cité, les mots étrangers qu'un chacun emploie quotidiennement, les mots nouveaux savam~ent bâtis et les vocables savou-. »

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