RENÉ Ier D'ANJOU, dit le Bon : sa vie et son oeuvre
Publié le 01/12/2018
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RENÉ Ier D'ANJOU, dit le Bon (1409-1480). Face au prestige qui entoura l’aristocrate, l’œuvre de l’écrivain René d’Anjou ne paraît pas faire le poids : quelques pièces lyriques (échanges avec Charles d’Orléans pour la fête de la Saint-Valentin, pour le Mai célébré en 1444 par la Cour de France); deux ouvrages allégoriques; un traité technique sur les tournois. C’est du moins une tradition de la critique, plus indulgente aux écrivains besogneux qu’aux princes, que de traiter « le bon roi René » en aimable dilettante.
Le « bon roi René »
Grand prince, comme Charles d’Orléans, il est à la fois roi, guerrier, poète, peintre et mécène. René, deuxième fils de Louis II d’Anjou, connaît une vie aventureuse, perd et gagne des couronnes (il fut duc de Bar, de Lorraine, d’Anjou, comte de Provence, roi de Sicile et de Naples). Marié en 1420 à Isabelle de Lorraine, il rejoint les troupes de Charles VII, est fait prisonnier par le duc de Bourgogne; enfermé à Dijon, il y compose des poèmes et décore une chapelle. En 1435, il part récupérer son héritage napolitain, mais en est chassé par Alphonse d’Aragon en 1438. Entre 1445 et 1470, il réside en Anjou; grand féodal et pair du royaume, conseiller du roi, il tient une cour brillante. C’est le temps des fêtes, des pas d’armes et tournois, auxquels le roi de France lui-même participe (pas de Saumur). Chassé par Louis XI, il finit sa vie à Aix-en-Provence. Ce personnage fascinant est une vivante synthèse de la culture de
«
son
temps : cosmopolite, ouvert sur l'Italie et l'Orient, il
parle cinq langues et frappe ses contemporains par ses
goûts exotiques (il se fait accompagner d'un cortège de
nains, de Maures, de singes, possède une véritable ména
gerie).
Il est J'un des principaux metteurs en scène de
cette «chevalerie spectaculaire» dans laquelle l'aristo
cratie du temps investit ses rêves : participant ou organi
sateur, René déploie sa magnificence de souverain dans
ces fêtes où la réalité est entièrement récupérée par
l'imaginaire (Nancy; Châlons; emprise de la Gueule du
Dragon, pas de la Bergère à Tarascon).
Son rôle de
mécène fut considérable : initié lui-même à la peinture
par Van Eyck, Ii emploie Nicolas Flament, confie à Guil
laume Porchier J'illustration du Livre du cuer d'amour
espris (1457), s'entoure d'écrivains comme Pierre de
Hesdin, Louis de Beauveau, Jean du Perier, Antoine de
La Sale.
Le Livre du cuer d'amour espris
Cette œuvre à elle seule suffirait à laver René d'Anjou
de tout reproche d'amateurisme, ou alors à prouver que
celui-ci est J'élégance suprême de l'art.
Synthèse des
motifs lyriques (le «cœur arraché>>), romanesques (la
quête avec ses diverses étapes) et allégoriques (personni
fications et situations du Roman de la Rose), elle est
aussi un exemple éclatant d'une esthétique du regard, de
la fascination, qui se répand à cette époque et qui se
traduit dans le texte par la complaisance descriptive, le
goût prononcé pour les blasons et l'ornementation.
La fable : selon une convention vieille de deux siè
cles, le narrateur s'endort (les illustrations représentent
volontiers la scène au lit) : « Moitié lors par
fantasie/Moitié dormant en resverie/Ou que fust vision
ou songe/Advis m'estoit et sans mensonge/Qu' Amours
hors du corps mon cuer mist/Et que a Desir le soumist ».
Le topos d'ouverture donne déjà la mesure du raffine
ment : sous l'wévitable opposition du «songe>> et du
« mensonge >> et la formule canonique « advis m'estoit »
se glisse l'hésitation; est-ce un rêve, garantie de vérité,
ou un produit de 1' imagination ( « fantasie » ), une fic
tion? Nous suivons les aventures du chevalier Cuer et de
son écuyer Dé�ir, à la recherche de dame Mercy empri
sonnée par Dangier dans le manoir de Rebellion (cf.
Roman de la Rose), à travers des épreuves mi
arthuriennes, mi-allégoriques : tempête à la Fontaine de
Fortune, combats avec Soucy et Courroux, prison dans
le Tertre dénué de liesse, délivrance par Renommée.
Avec le soutien de Désir, Largesse et Espérance, Cuer
arrive à l'île du dieu Amour, visite l'hôpital des amou
reux malades et le cimetière, orné de blasons, des amants
célèbres.
Il obrient un baiser, mais, quand i 1 veut emme
ner la dame au Chastel de Plaisance, il tombe dans une
embuscade tendue par Dangier et les >.
Mercy retourne en captivité, Cuer finit son existence en
prières à l'hôpital d'Amour.
Du roman à la parabole : René se réfère explicite
ment à la Queste («pour mieux donner à entendre ceste
mienne euvre, qui est de la manière de la queste de tres
doulce Mercy au Cuer d'Amour Espris, ensuivray les
termes du parler du livre de la conqueste du Sang
Greai »).
C'est en effet le roman arthurien qui sert ici de
modèle et fournit jusqu'aux transitions ( « or dit li contes
que ...
»): fontaine aventureuse, passage périlleux, châ
teau sinistre, nef pilotée par une demoiselle, cimetière
sur une île, château des merveilles, autant de péripéties
du corpus arthurien.
Les procédés de composition roma
nesque (entrelacement) prennent le pas sur les schémas
habituels de l'allégorie (psychomachia, discours); le sens
lui-même naît d'une technique pratiquée dans la Queste,
la « parabole >> (cf.
la dédicace à Jean de Bourbon); mais
si chaque épisode intervient à titre de parabole, nous n'avons
pas ici l'invasion de l'idéologie, ni les exégèses
qui, dans le modèle, viennent constamment doubler la
narration : comme si René, lui, ne voulait offrir que l'as
pect visuel, séduisant, du signe, rejoignant ainsi le
« mystère >> de Guillaume de Lorris et l'allégorie impli
cite de Charles d'Orléans.
Le réel et l'imaginaire : l'entrée dans le monde allé
gorique se fait progressivement.
Dès la dédicace, l'auteur
nous met en présence de personnifications étroitement
liées à sa vie, Fortune, Amour et Destinée; le prologue
en vers marque la rupture, camouflée par l'hésitation
entre rêve et fiction : d'autres figures se présentent, plus
riches de connotations romanesques, Pitié, Discort; le
lien est définitivement brisé quand le cœur perd son
possessif, se libère à la fois du corps et du sujet.
Le
«réel» se situe ailleurs, à un second degré, dans les
images imposées par la description et l'illustration.
Le texte et l'image: l'imaginaire se condense, se
concrétise en des moments où le texte «donne à voir».
L'allégorie se reconnaît comme tentative d'iconographie
par le langage.
L'œuvre littéraire se met en abyme dans
l'évocation d'œuvres d'art: les deux statues devant le
Chastel de Plaisance.
les tapisseries elles-mêmes allégo
riques, les curiosités du parc et, surtout, les blasons des
amants célèbres (César, Auguste, David, Énée, Pâris,
Hercule, Tristan, Boccace, Pétrarque, Meung, Chartier,
Machaut, Louis de Beauveau, Pierre de Brézé et divers
princes).
Cent trente paragraphes sur trois cent quinze y
sont consacrés.
Par l'écriture allégorique, la« fantasie »,
imagination libre et créatrice, se fixe en « ymagina
cion », son aspect visuel.
A cette recherche répondent
les illustrations du texte : les passages descriptifs sont
des guides pour l'enlumineur.
Image et texte se conju
guent pour créer une réalité qui ne relève plus de la
distinction > .
Le moi éclaté : le moi est un « lieu >> d'où émergent
des personnifications (métaphore du cœur arraché), leur
point de convergence, le foyer où s'entrecoupent les
actions de forces antagonistes réparties en séries d'adju
vants et d'adversaires et polarisées, en un second sys
tème, autour de Cuer et de Mercy, symboles du désir et
de la satisfaction.
Mais ces localisations précises coiffent
une topographie plus vague, où se croisent éléments du
moi et de l'autre, signes idéologiques, «objets>> limites
de l'allégorie, telles ces combinaisons de noms concrets
avec des déterminants abstraits (Fon tai ne de Fortune,
Maison de Bon Repos).
[Voir aussi ALLÉGORIE
MÉDIÉVALE).
Amour humain et amour divin,
ou le Cœur mortifié
Dans le Mortifiement de Vaine Plaisance (1455), c'est
une inspiration bien différente que l'on rencontre : l'allé
gorie y assume une tâche plus classique d'enseignement
moral.
Au thème lyrique du débat entre Cœur et Corps
(Œil) se substitue la lutte d'une âme dévote contre un
« cu er plain de vaine plaisance >>; l'âme oppose son désir
comblé par la présence divine aux désirs toujours insatis
faits, «abusés>>, d'un cœur incapable de s'élever; seule
la Croix purgera le cœur de ces vanités.
Ici ne règne plus
la « parab�le >> mais la « similitude» (terme par lequel
le Moyen Age désigne la parabole biblique).
Les règ le s du jeu
Dans le Traité de la forme et devis comme on peut
faire les tournois.
René énonce, comme La Sale, les
règles techniques de la fête chevaleresque.
Prouesses,
exploits, pratique des armes sont l'alibi d'un jeu dont le
sens profond est l'ostentation, Je paraitre, le spectacle.
»
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