Devoir de Philosophie

ROBBE-GRILLET Alain : sa vie et son oeuvre

Publié le 01/12/2018

Extrait du document

grillet

ROBBE-GRILLET Alain (né en 1922). A considérer le « nouveau roman » comme une « histoire », une difficile mais passionnante traversée des lettres d’après guerre, avec ses grands rôles et ses grands moments, la moderne aventure d’une écriture qui ose prendre en compte nos mots et nos images pour en déformer le sens (trop) commun, il est indéniable que ces jeux subtils de construction, de massacre, de cache-cache et de miroirs ne sauraient avoir meneur plus représentatif que l’auteur de Projet pour une révolution à New York et de Djinn.

 

Ainsi promu chef de file d’un mouvement qu’il a, parmi les premiers, contribué à lancer, tant par ses positions théoriques que par sa production romanesque et cinématographique, cible privilégiée, depuis bientôt trente ans, d’une critique de tradition, mais traduit en vingt-cinq langues et intégré désormais aux manuels de littérature, objet protéiforme d’une masse d’études et de recherches, Robbe-Grillet a peu à peu imposé au grand public son image ambiguë : sous l’apparente provocation que comporte toujours la liberté de parole, l’ironie — destructrice, au besoin — garde ici son sens littéral d’inlassable remise en question. Un jeu, avec quel feu?

 

Projets et glissements...

 

Rien pourtant, dans son orientation première, ne semblait destiner Robbe-Grillet à ce vedettariat littéraire. « En fait, dit-il, j’ai toujours été un débutant : j'ai commencé une carrière d’ingénieur agronome à vingt ans, une autre de romancier à trente, une de cinéaste à quarante... De la même façon, à cinquante ans, je me suis mis à peindre... A soixante ans, peut-être, je ferai de la musique... » (réponse à François Jost, dans Obliques, 1978).

 

Né à Brest en 1922, diplômé de l’institut national d’agronomie, Alain Robbe-Grillet a d’abord exercé « avec sérieux le métier à la fois passionnant et lucratif » d’agronome. De 1945 à 1948, il est chargé de mission à l’institut national de la statistique, puis, à partir de 1950, attaché comme ingénieur à l’institut des fruits et agrumes coloniaux, pour le compte duquel il effectue de longs séjours en Guinée, au Maroc, à la Guadeloupe et à la Martinique. Impressions coloniales qui se retrouveront dans la Jalousie. Jusqu’alors, aucun texte, sinon scientifique, n’a paru sous la signature d’Alain Robbe-Grillet. En 1949, son premier roman, Un régicide, est « poliment refusé » par les éditeurs (il ne sera publié qu’en 1978). Quelques brefs comptes rendus dans les mensuels littéraires (la revue Critique, en particulier) n’ont pas encore forcé l’attention.

 

Le tournant décisif se situe dans les deux années 1954-1955, quand, successivement, le prix Fénéon puis le prix des Critiques viennent couronner le nouvel auteur des Gommes et du Voyeur. Succès localisé, qui n’a rien d’une consécration (deux ans plus tard, la Jalousie, qu'aucun prix ne signale au public, rencontre un accueil assez confidentiel), mais qui suscite, entraînant dans son sillage un ensemble encore mal cimenté de réflexions nouvelles (c’est l’époque où se regroupent, autour de Jérôme Lindon, dont Robbe-Grillet est devenu conseiller littéraire, les « romanciers de Minuit »), l’une des plus ardentes et des plus durables polémiques que la critique ait, de longtemps, connues. Querelle des Anciens et des Modernes, Barthes réfutant Mauriac, « révolution » dans laquelle le cas Robbe-Grillet se détache de façon exemplaire. Car, réfractaire à toute tentative de récupération humaniste et non content d’écrire des romans, voire des textes brefs — tels certains des Instantanés, publiés en 1962 — où l’objectivisme le plus désespérant côtoie le plus scandaleux désordre narratif, l’auteur se mêle d’exprimer quelques idées subversives sur la péremption des vieilles recettes romanesques. La plupart des essais repris plus tard sous le titre Pour un nouveau roman (1963) datent de cette époque. De même la série d’articles publiés par l’Express au cours de l’hiver 1955-1956.

 

Délaissant l’agronomie, Robbe-Grillet se lance définitivement dans l’« exercice problématique de la littérature ». Dans le labyrinthe, en 1959, clôt une première « série » romanesque : des textes de l’égarement et de la narration impossible à travers un monde de surfaces aussitôt investies par le fantasme ou, au contraire, livrées à l’ennui, méticuleux, inlassable, du regard descriptif.

 

Les mots et les images

 

Qu’un regard à ce point dénué d’« alibi, [d’]épaisseur et [de] profondeur » (R. Barthes), explorant avec méthode sa « cellule génératrice » (titre du premier chapitre de Topologie d'une cité fantôme, 1975), découvre le nécessaire passage de la « chambre secrète » (Instantanés) à la caméra, faut-il s’en étonner? A partir de 1960, aussi bien, la carrière de Robbe-Grillet va s’inscrire dans un perpétuel va-et-vient entre roman et film. C’est d’abord, en collaboration avec Alain Resnais, l’événement cinématographique de l’année 1961 : T Année dernière à Marienbad (Lion d’or du festival de Venise). Suivent, à partir de l'immortelle (1963), les films de Robbe-Grillet auteur et réalisateur : Trans-Europ-Express, 1966: L'homme qui ment, 1968; l'Eden et après, 1971; Glissements progressifs du plaisir, 1974; le Jeu avec le feu, 1975. Œuvres complexes et foisonnantes, réalisées avec une équipe stable, qui déjouent la narration par de constantes et ironiques interférences thématiques.

 

Manipulant ainsi des images, jouant avec ces images que nous imposent quotidiennement nos collectives mythologies (espionnage, érotisme, polices secrètes, aventures, technologies, révolutions, etc.), Alain Robbe-Grillet, parallèlement, va constituer ses romans en lieux privilégiés, où se travaillent et se transforment tous nos stéréotypes. En 1965, la Maison de rendez-vous ouvre cette voie qu’emprunte, en 1970, Projet pour une révolution à New York. Images encore, le tableau, la photographie que l’artiste propose à nos déchiffrements. Dans quel but construire alors, à partir d’elles, des narrations possibles, jouer en illusionniste des objets et des éléments du décor, animer ce qui est fixe? Ou bien, sur des formes de Delvaux, de David Hamilton, de Magritte, de Rauschenberg (cf. Topologie d'une cité fantôme), glisser un vers de Verlaine (ibid.); mêler aux évocations tourmentées d’Ingres, aux reflets d’irina Ionesco, un thème wagnérien (Souvenirs du triangle d'or, 1978), ou emprunter un titre, Djinn (1981), à Victor Hugo; écrire ses Mots à lui, céder à la « tentation humaniste » mais en livrant une autobiographie subtilement fictive (Le miroir qui revient, 1985) et, continuellement, ramener, réintroduire les images, les noms, les phrases, les obsessions et les objets fétiches d’un auteur nommé Robbe-Grillet : dans quel propos? Mais reprenons...

 

La cafetière et le cageot

 

Au commencement, « la cafetière est sur la table » (Instantanés). Provoquant, instantanément, le scandale littéraire que l’on sait. A découvrir ces descriptions qui, semblables au rapport du biologiste examinant ses moisissures, de l’arpenteur mesurant des parcelles ou de l’ingénieur restituant une figure, investissent jusqu’à la minutie — et ce, dès le Voyeur — un monde d’objets privés de sens et dépouillés de toute complicité anthropomorphique, il est loisible de récuser ce réalisme « inhumain », de renvoyer, tel Claude Mauriac, à la malheureuse « technique du cageot » (à propos de Ponge). Mais on oublie trop vite que, sur cette table originelle (destinée à devenir, au fil des textes futurs, table d’opération, de dissection, de multiplication, de mixage...), une vision, d’abord, se réfléchit. Que « sur la partie sphérique de la cafetière brille un reflet déformé »... une tache « assez imprécise »... « c’est sans doute encore l’ombre du mannequin »... lequel « n’est pas à sa place »... Que la cafetière masque « entièrement » le dessin du dessous de plat... Fenêtre, miroir, mannequin : que voyons-nous du monde, sinon reflets, trompe-l’œil et faux-semblants? Wallas, dans les Gommes, observateur dérisoire d’« un quartier de tomate apparemment sans défaut », ne perçoit pas l’essentiel de cette œdipienne machinerie de théâtre qui, « introduisant] çà et là, sournoisement une inversion, un décalage, une confusion, une courbure, [va] accomplir peu à peu [son] œuvre » (ibid.). Mathias, le héros du Voyeur, perd (volontairement?) son propos dans d’étranges fixations optiques. Le narrateur invisible de la Jalousie s’abîme dans d’impossibles reconstitutions. Car les pièces du puzzle manquent toujours, chez Robbe-Grillet; la perception n’est jamais complète; l’image, si soigneusement cernée, se met à bouger, les informations étaient truquées, le temps échappe, hier et aujourd’hui se confondent : « C’est le matin, c’est le soir... Je suis là. J’étais là. Je me souviens... Je cherche quelque chose. Il commence à faire nuit. Je ne me rappelle pas bien ce que c’était... » (Topologie d'une cité fantôme).

grillet

« aussitôt investies par le fantasme ou, au contraire, livrées à l'ennui, méticuleux, inlassable, du regard descriptif.

Les mots et les images Qu'un regard à ce point dénué d'« alibi, [d' ]épaisseur et [de] profondeur» (R.

Barthes), explorant avec méthode sa « cellule génératrice» (titre du premier cha­ pitre de Topologie d'une cité fantôme, 1975), découvre le nécessaire passage de la «chambre secrète» (Instan­ tanés) à la caméra, faut-il s'en étonner? A partir de 1960, aussi bien, la carrière de Robbe-Grillet va s'inscrire dans un perpétuel va-et-vient entre roman et film.

C'est d'abord, en collaboration avec Alain Resnais, l'événe­ ment cinématographique de l'année 1961 : l'Année der­ nière à Marienbad (Lion d'or du festival de Venise).

Suivent, à partir de l'Immortelle (1963), les films de Robbe-Grillet auteur et réalisateur : Trans-Europ­ Express.

1966: L'homme qui ment, 1968; l'Éden et après, 1971; Glissements progressifs du plaisir, 1974; Le Jeu avec le feu, 1975.

Œuvres complexes et foisonnantes, réalisées avec une équipe stable, qui déjouent la narra­ tion par de constantes et ironiques interférences thé­ matiques.

Manipulant ainsi des images, jouant avec ces images que nous imposent quotidiennement nos collectives mythologies (espionnage, érotisme, polices secrètes, aventures, technologies, révolutions, etc.), Alain Robbe­ Grillet, parallèlement, va constituer ses romans en lieux privilégiés, où se travaillent et se transforment tous nos stéréotypes.

En 1965, la Maison de rende"{.-vous ouvre cette voie qu'emprunte, en 1970, Projet pour une révolu­ tion à New York.

Images encore, le tableau, la photogra­ phie que l'artiste propose à nos déchiffrements.

Dans quel but construire alors, à partir d'elles, des narrations possibles, jouer en illusionniste des objets et des élé­ ments du décor, animer ce qui est fixe? Ou bien, sur des formes de Deh·aux, de David Hamilton, de Magritte, de Rauschenberg (cf.

Topologie d'une cité fantôme), glisser un vers de Verlaine (ibid.); mêler aux évocations tour­ mentées d'Ingres, aux reflets d'lrina Ionesco, un thème wagnérien (Souvenirs du triangle d'or, 1978), ou emprunter un titre, Djinn (1981), à Victor Hugo; écrire ses Mots à lui, céder à la « tentation humaniste » mais en livrant une autobiographie subtilement fictive (Le miroir qui revient, 1985) et, continuellement, ramener, réintro­ duire les images, les noms, les phrases, les obsessions et les objets fétiches d'un auteur nommé Robbe-Grillet: dans quel propos? Mais reprenons ...

La cafetière et le cageot Au commencement, « la cafetière est sur la table » (Instantanés).

Provoquant, instantanément, le scandale littéraire que l'on sait.

A découvrir ces descriptions qui, semblables au rapport du biologiste examinant ses moi­ sissures, de 1' arpenteur mesurant des parcelles ou de l'ingénieur restituant une figure, investissent jusqu'à la minutie -et ce, dès le Voyeur -un monde d'objets privés de sens et dépouillés de toute complicité anthropo­ morphique, il est loisible de récuser ce réalisme > (Topologie d'une cité fantôme).

Surfaces mouvantes nécessairement tenues sous la limitation d'un regard-et d'un regard partial et trouble -, comment les choses seraient-elles entamées par ces descriptions dont on a trop vite souligné le pointillisme rigoureux et que pourtant, dès 1961, l'auteur lui-même qualifiait de « parfaitement subjectives »? Quelle construction, dès lors, sinon imaginaire? «Chaque homme, à son tour, doit réinventer les choses autour de lui.

Ce sont les vraies choses, nettes, dures et brillantes, du monde réel.

Elles ne renvoient à aucun autre monde.

Elles ne sont le signe de rien d'autre que d'elles-mêmes.

Et le seul contact que l'homme puisse entretenir avec elles, c'est de les imaginer» (« Joë Bousquet, le rêveur», dans Critique, oct.

1953).

Descriptions, il est vrai.

Mais faussement réalistes, et que leur miniaturisa­ tion même fait chavirer dans la déréalité, rien n'étant « plus fantastique, en définitive, que la précision ».

Des­ criptions piégées où le désir d'exhaustivité ne traduit que l'angoisse du non-(sa)voir.

Jalousies et pavés disjoints ...

Le trou Aussi bien, pauses rassurantes en ce qu'elles se don­ nent un instant l'illusion d'appréhender les objets, ces descriptions ne tissent dans l'œuvre qu'un réseau des plus lâches entre les mailles duquel tout échappe en se confondant.

Les questions fusent, faussement naïves : « Quand ai-je dit que ...

Ai-je déjà signalé ...

Et pour- quoi ...

Mais où était-ce ...

?» (Projet pour une révolution à New York).

La narration semble alors progresser dans une forêt d'inconnues.

Il pourrait s'agir du simple trou mémoriel, tel le blanc qui s'installe au centre même du Voyeur et compromet toute chance de reconstitution logique.

Ou du brouillage que le délire du soldat malade et l'étrangeté des lieux provoquent Dans le labyrinthe.

A la vérité, le trou est permanent, structurel chez Robbe­ Grillet.

Il y a toujours dans le dessin la« paroi absente » (ibid.), dans l'histoire d'une cité morte les inscriptions effacées ou les documents perdus (Topologie ...

), dans celle d'un personnage l'explication ignorée (Djinn), dans une révolution la confusion des rôles (Projet pour une révolution), sans oublier un narrateur incapable ou désor­ donné qui s'embrouille dans de faux rapports lorsqu'il ne fuit pas -sous quelle menace? Non, Je réel n'est pas lisse; les pavés sont disjoints sur la voie (en impasse) que l'on devait suivre (Djinn, wz trou rouge entre les pavés disjoints); la poussière même est interrompue par la trace d'objets absents, le plafond montre une fissure (dans la chambre du Labyrin­ the), la tache sur le mur a été gommée (la Jalousie), et même la tomate n'était pas intacte :. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles